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4,06

sur 2398 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Nous sommes en 1871, au coeur de l'immense marché des Halles parisiennes constitué par les pavillons Baltard, récemment construits.

L'auteur nous décrit avec son talent habituel, toute la beauté et la richesse architecturale de ces lieux emblématiques. On se promène à ses côtés dans le brouhaha des allées bruyantes, couvertes par les voix tonitruantes des maraîchers, fromagers, poissonniers, charcutiers, fleuristes, etc… qui appellent les chalands et s'interpellent parfois dans un langage « fleuri ». Tel un artiste peintre, il dévoile devant nos yeux ébahis, toute la palette de couleurs des fruits, des légumes et des fleurs, foisonnant sur les étalages. Les poissons, les volailles, et la charcuterie ne sont pas en reste et se laissent admirer. Les fromages très variés et odorants chatouillent nos narines… Rien n'est laissé au hasard, l'agitation du marché côtoie les secrets d'alcôve, les commérages flirtent avec les discours complotistes, c'est toute une vie trépidante qui se réveille et prend forme, sans jamais nous lasser…

Emile Zola met en exergue l'opulence des braves gens, replets et rondouillards, considérés comme honnête, en opposition à la pauvreté des personnages fluets et mal portants, à la moralité jugée douteuse. Dans ce roman, l'accent est également mis sur la forte influence et l'emprise morale que certaines femmes, au caractère bien trempé, exercent sur les hommes afin de modeler leur comportement et faire plier leur volonté jusqu'au basculement de leur destin.
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Pris d'une envie soudaine de lire un Zola, c'est le titre qui m'a fait choisir celui-ci. J'éprouvais alors le besoin d'une littérature charnue, vorace, au style truculent et tapageur gorgé de métaphores. Je n'ai pas été déçu, ce roman a toute l'épaisseur ventrue des « gras », le type sociologique grotesque dans lequel l'auteur englobe la bourgeoisie indolente et repue des boutiquiers du Second Empire, désignée aussi comme les « honnêtes gens ». Leurs antagonistes, les « maigres », n'échappent pas à son ironie, je ne m'attendais pas à un roman aussi cruel. Je me suis senti désemparé après avoir lu la dernière page, et troublé aussi. Zola était-il misanthrope ? Si on ne connaissait pas le journaliste, ses romans pourraient nous le laisser croire. Les commentaires et les analyses littéraires mettent surtout en avant le grandiose des descriptions. Il y en a beaucoup, parfois trop, mais elles ne débordent presque jamais du cadre romanesque, elles ont toujours une portée symbolique en correspondance avec les personnages et l'environnement dépeint. Rien n'est laissé au hasard, le moindre détail mentionné dans le décor ou la démarche d'un personnage s'intègre parfaitement dans un tableau d'ensemble dont l'unité est toujours perceptible par le lecteur. le plus incroyable c'est que l'inspiration n'est jamais étouffée par cette rigueur architecturale, le dernier tiers du roman est même particulièrement haletant.
Pour donner un aperçu du génie stylistique de l'auteur, voici un court extrait. Revenu de son exil en Guyane, Florent, un « maigre », retrouve son frère « gras » devenu charcutier et fait la connaissance de la famille de celui-ci, sa femme Lisa et sa fille Pauline :
« Il était gras, en effet, trop gras pour ses trente ans. Il débordait dans sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l'emmaillotaient comme un énorme poupon. Sa face rasée s'était allongée, avait pris à la longue une lointaine ressemblance avec le groin de ces cochons, de cette viande, où ses mains s'enfonçaient et vivaient, la journée entière. Florent le reconnaissait à peine. Il s'était assis, il passait de son frère à la belle Lisa, à la petite Pauline. Ils suaient la santé ; ils étaient superbes, carrés, luisants ; ils le regardaient avec l'étonnement de gens très gras pris d'une vague inquiétude en face d'un maigre. Et le chat lui-même, dont la peau pétait de graisse, arrondissait ses yeux jaunes, l'examinait d'un air défiant. »
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Que dire sur l écriture de Zola qui n'a pas encore été dit ?

Ce livre nous offre des descriptions fabuleuses des halles, des légumes, des poissons, de la charcuterie, ....
En lisant celles-ci, on a l'impression, non seulement de voir, mais également de sentir le marché du matin.
Mêlant à cela une intrigue rondement mener et qui n'est pas tendre avec la bassesse de l'esprit humain, Zola nous livre une oeuvre majestueuse.... mais cela on le savait déjà !
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Ce livre fait le récit d'une parenthèse. Un élément perturbateur débarque et à la fin il est éliminé, la vie du quartier retrouve son cours habituel. Il est possible de se demander si ce n'est pas le cas de tous romans : pas tout à fait, c'est une des formes possibles. La temporalité est très courte et c'est l'arrivée du personnage principal qui va bouleverser la vie des Halles.

C'est aussi de grandes images qui restent en tête avec les descriptions de ce ventre d'abondance indécente, qui déborde de gras, d'odeurs, de produits, de déchets.

Autrement, c'était fort sympathique, il y a juste eu un passage au milieu où on nous introduit deux personnages pour mieux expliquer les événements qui suivent, qui m'a fait sortir du récit, mais je n'avais pas eu de problème avec l'introduction comme pour les deux premiers volumes.
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Une nuit, aux portes de Paris, Madame François, maraichère de Nanterre, doit arrêter son cheval Balthazar : un corps empêche le passage de sa voiture à légumes. Ce corps, c'est celui de Florent, condamné à la déportation pour sa participation au coup d'état de 1848. Echappé de Cayenne, il est tombé, vaincu par la faim. Il est emmené par la maraichère à la Pointe Sainte Eustache, son ancien quartier, avant l'aube. Tandis que les maraîchers vendent leurs produits aux marchands, Florent, toujours affamé, découvre les récents travaux des halles. Il n'a qu'une hâte, retrouver son frère Quenu, charcutier prospère dont le ventre ne cesse de s'arrondir…

Une plongée dans les Halles de Paris, quartier historique du 1er arrondissement, dont le surnom « le Ventre de Paris » évoque à loisir les étals débordants de mets en tous genres. Ces halles dont la modernité repousse, effraie ou séduit, attirent chaque jour des milliers de clients et de marchands répartis dans les dix pavillons de métal et de verre. Dans ses allées, il est facile de confondre le marchand et la marchandise : telle vieillarde vend des légumes fades et fanés, telle demoiselle des fruits colorés et gorgés de sucre… Tout l'art de Zola résidant en ce façonnage de l'Homme.

Florent, nommé contrôleur des halles, traîne le lecteur parmi les gras marchands : les poissonniers, charcutiers, volailleurs, tripiers, fromagers, légumiers jusqu'à provoquer l'indigestion des plus maigres. Dans les pavillons et les ruelles environnantes, l'opulence côtoie à loisir les meurt-la-faim, les étals débordants frôlent les ventres vides et les instincts les plus bas dévorent l'innocence des jeunes gens tandis que la rumeur poursuit son oeuvre.

Florent, pourtant au coeur de l'intrigue en est le grand absent : il tend presque à s'effacer au monde, subissant les appétits de ses compagnons et ne prenant part tardivement qu'à la seule véritable action qui vaille d'être menée selon lui : la révolution.

Ce troisième tome est pour moi un véritable miroir de la société du second empire. Il en devient la métaphore romanesque. Et c'est Claude Lantier, peintre raté, dont les oeuvres sont toujours en germe, qui la décrit le mieux. Il va peu à peu tenir les rennes du roman, prophétisant la chute de quelques-uns de ses protagonistes.
Comme si lire les prédictions de peintre ignoré ou incompris revenait à écouter l'écrivain naturaliste examinant à la fois les personnages qu'il a crées et le milieu dans lequel ils évoluent. Tout simplement fascinant.

Lien : https://litteralfr.webnode.f..
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C'est toujours le même plaisir que celui de retrouver un épisode de la saga des Rougon-Macquart, le troisième ici en l'espèce ... Celui-ci est consacré à l'histoire de Lisa, fille d'Antoine Macquart et Joséphine (voir la Fortune des Rougon), soeur de Gervaise (voir l'histoire si émouvante de l'Assomoir), et à celle, plus en discrétion, de Claude Lantier, fils de Gervaise, neveu de la belle Lisa, demi-frère de Nana, frère de l'Étienne du célèbre Germinal. le drame se noue aux Halles, c'est génial, émouvant, exotique, comme on écrit plus, vivement le prochain, bref... pub !!!
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Troisième volet de la saga des Rougon-Macquart avec un personnage qui ne fait pas parti de la famille puisqu'il s'agit de Florent, frère du mari de Lisa Macquart.
Florent est un échapé du bagne de Guyane où il avait été condamné quelques années auparavant (condamnation injuste). D'une maigreur effrayante, il rejoint son frère qui lui est gras à éclater dans sa charcuterie triomphante. Par l'intermédiaire de ses connaissances, Quenu trouve une place d'inspecteur à Florent, aux Halles. Mais Florent a toujours l'esprit révolutionnaire (peut être par vengeance contre le gouvernement qui l'a condamné) et fréquente un cercle politique activiste. Il est aussi l'objet de toutes les attentions du quartier et des Halles.
Lisa, voyant les conséquences néfastes que l'arrestation pourraient engendrer sur son mari et son commerce, préfère dénoncer Florent elle-même à la police. Elle découvre qu'il y a tout un dossier sur son beau-frère composé de multiples témoignages de son entourage. Un matin, Florent est arrêté... et déporté.
Zola livre ici un roman naturaliste. On croule sous les descriptions, souvent exagérées et même écoeurantes de la vie et des produits des Halles (Viandes, Fromages, Fleurs, Fruits, Légumes, Charcuteries, Volailles, etc). Il fait des Halles un personnage à part entière. On cottoie également Claude Lantier fils de Gervaise Macquart, dans son rôle de guide pour Florent mais en peintre artistique extravagant.
Un roman qui ne se déroule que dans les Halles, avec les gras qui ont su s'adapter au système et les maigres...
Des descriptions sur tous les produits, en multitude, allant jusqu'à l'indigestion, jusqu'à l'écoeurement à en devenir gras
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Florent, bagnard échappé de l'Île du Diable, arrive affamé aux halles de Paris, à bord d'un chariot chargé de carottes et navets. le jour se lève. Il découvre une à une les senteurs, les saveurs des étalages: ceux de la marées, de la triperie, des fromages,... Il retrouve son frère et fait la rencontre de sa belle-soeur Lisa qui lui offre sa part de l'héritage de leur oncle charcutier. Il refuse, se contente du logis, accepte du bout des lèvres un poste d'inspecteur remplaçant aux Halles. Vivant de peu, il verse le revenu de sa charge à celui qu'il remplace parce que ce dernier est malade. Florent, le maigre, gêne parmis ces gras qui passent leurs heures de loisir à remplir leurs panses et celles des bourgeois durant leurs heures ouvrées. Tous ces gras le dégoûtent comme le dégôutent les Tuileries et le gouvernement qui y siège. Avec les buveurs d'un café au coin de la rue Rambuteau, il formente une révolte. de chimère, cette révolte commence à prendre consistance. Combien de temps faudra-t-il aux gras des halles pour expectorer ce malhonnête intrus qui dérange leur paisible digestion?

Zola a écrit sur base de cette succinte intrigue une fresque gargantuesque. le Ventre de Paris est un livre dont certaines pages laissent les doigts graisseux et d'autres aux lecteurs un relent aigre de marée. On ne ressort pas indemne d'une lecture de cet acabit-là.
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(Reproduction d'une critique de Barbey d'Aurevilly, simplement pour rire, j'aime bien Zola)
Est-ce là un roman personnel ?… L'auteur de ce livre de haute graisse, car il est de haute graisse, aurait-il été, il faut bien le dire, charcutier ?… Aurait-il aimé une charcutière ?… Ou, non moins sérieux mais plus impersonnel, croirait-il que la Charcuterie est l'idéal des temps modernes, et l'aurait-il seulement peinte avec l'amour d'un grand artiste pour une grande chose ? Ma foi ! Je le croirais plutôt.

Toujours est-il (voici la nouveauté !) Que nulle part et dans aucun livre la charcuterie n'a été traitée avec cette importance, et décrite avec autant de science technique et de connaissance du métier. Assurément, il y autre chose que de la charcuterie et des charcutiers dans le livre de M. Zola, dans ce Ventre de Paris qui est la Halle, sans métaphore. Tous les genres de comestibles, toutes les choses du ventre, légumes, poissons, volailles, viandes de boucherie, fruits et fromages, y sont traités à fond et peints avec un détail infini et une passion qu'on dirait famélique, tant elle est intense ! Mais, il faut bien le reconnaître, c'est la charcuterie, cette spécialité de la charcuterie, qui trône sur toutes les autres mangeailles étalées ici avec un luxe de couleurs qui fait venir vraiment par trop d'eau à la bouche… Oui ! C'est la charcuterie, c'est la cochonnaille, qui, entre toutes les victuailles de la terre, est la chose sacrée pour M. Zola.
Rabelais, ce grand rieur qui se permettait tout, cet Homère-Priape sans feuille de vigne ; Rabelais, l'auteur de Gargantua, a un jour raconté la bataille des Cervelas et des Andouilles, mais il riait au-dessus de sa plantureuse et folle Epopée. M. Emile Zola ne rit point, lui. « Il ne rigoile pas », comme disait précisément Rabelais. Non pas ! Il est grave et convaincu dans sa charcuterie. Pour Rabelais, en ses bacchanales de bouffon, les andouilles, les cervelas, les triples, le piot, ne sont que de la ripaille et de la goinfrerie. Mais pour M. Zola, toute cette cochonnaille, qu'il nous étale et dont il nous repait, et dont il finit par nous donner le mal de coeur, c'est de l'art.
Il croit dire le dernier mot de l'art en faisant du boudin, M. Zola !
(…)

Son Ventre de Paris est l'oeuvre à présent la plus avancée (et vous pouvez l'entendre comme il vous plaira !) dans le sens de vulgarité et de matière qui nous emporte de plus en plus… Mais ce ne sera pas la dernière ! Il y a plus bas que le ventre. Il y a ce qu'on y met et il y a a ce qui en sort. Aujourd'hui on nous donne de la charcuterie. Demain, ce sera de la vidange. Et ce sera peut-être M. Zola qui nous décrira cette nouvelle chose, avec cette plume qui n'oublie rien.
Délicieuse perspective ! Si le charmant mouvement intellectuel continue, la Littérature française aura la chance de mourir asphyxiée derrière la porte infecte du cabinet d'Héliogabale.

Eh bien, M. Zola me semble bâti pour aller aussi loin que possible dans cette voie descendante qui nous conduit… j'ai déjà dit où… Il est jeune, je crois, et il a malheureusement de l'avenir. Il a débuté par des bégaiements dont je me suis un peu moqué (La Confession de Claude), mais la voix qui manquait de justesse et de force, lui est venue. Il a fini par bien poser, et d'aplomb, son archet sur les cordes de son violon, et il nous a joué cet air horrible de Thérèse Raquin qui fait saigner le coeur et l'oreille, et que nous allons entendre au théâtre pour qu'il les y fasse saigner mieux.
(…)
Il était encore, en ce temps de Thérèse Raquin, M. Zola, dans le milieu bas où il se vautrait, un reste d'âme, un lambeau de vie spirituelle ; mais il a fini par tuer tout cela avec les couteaux de cuisine — avec les couteaux à boudin — de sa littérature. du temps de Thérèse Raquin, il voyait rouge comme le chourineur et il charcutait dans le crime et la chair humaine.
Mais, à présent, il est plus calme et moins terrible, parce qu'il est plus mort encore aux choses de l'âme, et il ne charcute plus que un comme un simple charcutier.
Là est tombé son talent, — dans un saloir qui ne le salera pas ! Cet homme, à qui on put croire du tempérament littéraire, qui peignit dans sa Thérèse Raquin — un livre qu'il ne recommncera pas ! — les épouvantables remords des natures physiques, plus forts que leur abrutissement, n'est plus capable que de faire l'étalage, comme un garçon, chez les charcutiers qu'il adore. Il n'est plus capable que de décrire, de décrire sans cesse et toujours, les viandes et leurs couleurs, et leurs nuances, et leurs oppositions.
Que dis-je ? Tout charcutier qu'il soit de préférence (Dans son Ventre de Paris, la seule femme un peu intéressante qu'il y ait est une charcutière), il ne peint cependant pas que de la charcuterie. Il peint tout, dans cette Halle qu'il a choisie comme sujet de peinture intéressante, dans cette Halle qui est bien plus le sujet de son livre que les personnages qui s'y agitent, et il peint avec une telle absorption de lui-même dans l'objet, qu'il n'est plus une main conduite par une pensée, mais une espèce de palette mécanique, un pinceau qui va par l'effet d'un ressort, un procédé.

(…)

L'auteur du Ventre de Paris, dont la chair, pour parler comme lui, est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert, malgré son amour monstrueux des choses basses, des couleurs criantes jusqu'à vociférer, et son cynique mépris des inspirations morales et des beautés intellectuelles dans les oeuvres, a du talent encore. Mais cela ne sera pas long, s'il ne se retourne pas !… Il est à la limite extrême. Et, puisque la charcuterie, et le porc, qui en est la base, tienne tant de place dans son livre et les contemplations de sa pensée, il n'aura pas peur de mon image : il est sur le rebord de l'auge à cochon du réalisme, dans laquelle il peut se noyer tout entier. Malheureusement, je le sais, il est attiré magnifiquement vers cette auge. le cochon l'excite. (…)

Du reste, il n'y a pas que l'art du porc salé qui ait ses hommages. Les fromages, qu'il comprend et peint aussi bien que les côtelettes froides en pyramide et les gelées, tremblantes et immobiles, dans leurs transparences de topazes, sur le marbre blanc des comptoirs. Je voudrais vous faire voir et flairer ces fromages pour vous donner une idée de la manière violente, inouïe, emphatique, musicale, et, ma foi ! Sublime, dont M. Zola les aborde à leur tour, avec ce pinceau qui se met dans tout, pour peindre tout :

« Autour d'elles, les fromages puaient… (Quelle solennité de début !) A coté des pains de beurre à la livre, dans des feuille de poirée, s'élargissait un cantal géant, comme fendu à coups hache ; puis venaient un chester, couleur d'or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare (c'est beau et glorieux pour un fromage !), des hollande, ronds comme des têtes coupées (détail qui doit les faire aimer !), barbouillées de sang séché, avec cette dureté de crânes vides qui les fait nommer têtes de mort (c'est complet !). Un parmesan, au milieu de cette lourdeur de pâte cuite, ajoutait sa pointe d'odeur aromatique (bon, pour celui-là !) Trois brie, sur des planches rondes, avaient (touchant !) Des mélancolies de lunes éteintes : deux, très secs, étaient dans leur plein ; le troisième, dans son 2ème quartier, coulait, se vidait d'une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l'aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir… »

« Les roquefort, eux aussi, sous des cloches de cristal, prenaient des mines princières, des faces marbrées et grasses, veinées de bleu et de jaune, comme attaqués d'une maladie honteuse de gens riches qui ont trop mangé de truffes (encore un détail friand et affriolant !) ; tandis que, dans un plat, à côté des fromages de chèvre, gros comme un poing d'enfant, durs et grisâtres, rappelaient les cailloux que les boucs, menant leur troupeau, font rouler aux coudes des sentiers pierreux. (Rêverie par les fromages !) »

« Alors, commençaient les puanteurs (quel déroulement superbe !) : les monts-d'or, jaune clair, puant une odeur douceâtre ; les Troyes très épais, meurtris sur les bords, d'âpreté plus forte, ajoutant une fétidité de cave humide ; les camembert, d'un fumet de gibier trop faisandé ; les neufchâtel, les Limbourg, les marolles, les pont-l'évèque, carrés, mettant chacun leur note aiguë (la musique annoncée !)… »

Seulement, il faut bien pourtant que vous le sachiez ! C'est dans cette atmosphère de fromages épiques que se trame le complot contre l'Icarien de Cayenne, entre des commères qui veulent le livrer à la police. Toute la scène y est ; mais, moi, je ne veux vous exposer que ces fromages, qui deviennent terribles à leur tour autant que ces commères endiablées…

« Elles restaient debout… - Dit M. Zola dans le bouquet final des fromages… - C'était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu'aux pointes alcalines de l'olivet. Il y avait des ronflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, pareils à un large chant de basse (ô nez de Beethoven, pourquoi donc ne respire-tu plus ?…)
Cela s'étendait, se soutenait, au milieu du virement général, n'ayant plus de parfums distincts (il appelle cela des parfums !), d'un vertige continu de nausées et d'une force terrible d'asphyxie.
Et cependant, — ajoute-t-il, ce prodigieux peintre de fromages ! — il semblait que c'étaient les paroles mauvaises de Mme Lecoeur et de Mlle Saget qui puaient si fort ! »

C'est ainsi qu'il mêle le drame aux fromages. Mais la frénésie puante de ces fromages, qui se mettent à puer avec cette furie d'infection, l'emporte sur la scène où ces coquines puent à leur tour, de leurs becs infects, sur l'innocence de l'Icarien.
(…)

(Barbey d'Aurevilly, des oeuvres et des hommes, le roman contemporain)
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"Est-ce que vous connaissez la bataille des Gras et des Maigres ?"



Le Ventre de Paris : ce sont les Halles, nouvellement construites (1853 à 1874) que découvre Florent après 8 ans d'absence



Dans ce ventre de Paris convergent toutes les nourritures : légumes et fruits, marée et viandes, volailles, charcuterie, fromages et même fleurs. le roman commence avec l'arrivée du tombereau de Madame François, maraîchère de Nanterre !


Le tombereau heurte Florent, presque mort de faim, d'une maigreur à faire peur, évadé du bagne de Cayenne, déporté après les journées de décembre 1851 arrêté près de la barricade rue Montorgueil. Florent est recueilli par son frère  Quenu, prospère charcutier, gras et bien nourri comme sa femme Lisa, la belle charcutière.

Les descriptions des dentelles et des soieries des toilettes de Renée Saccard dans La Curée, des décors de l'Hôtel de la Plaine Montceau, m'avaient plutôt lassée. J'avais trouvé que  Zola se complaisait dans des longueurs. En revanche, j'ai eu un véritable coup de coeur pour cette exubérance des légumes et des fruits,  surabondance de la nourriture, énumération des victuailles, les descriptions des étalages de la charcuterie . le Ventre de Paris plonge le lecteur dans le monde odorant de l'étal de la marée avec ses poissons, ses moules, ses huitres, dans les paniers remplis de plumes des volaillers, ruisselant des grandes lessives, dégoûtant de sang, d'humeurs et d'excréments.



Et c'est un peintre, Claude Lantier, qui décrit le mieux ces tableaux naturalistes, opposant l'art moderne, le naturalisme. Son art est croquis ou tableau, mais son oeuvre suprême, c'est avec des boudins, des langues de boeuf, des jambons jaunes qu'il l'a construite.  Il cherche ses sujets dans le peuple des Halles

"Cadine et Marjolin s'aimant au milieu des Halles centrales, dans les légumes, dans la marée, dans la viande. Il les aurait assis sur leur lit de nourriture, les bras à la taille, échangeant le baiser idyllique. Et il voyait là un manifeste artistique, le positivisme de l'art, l'art moderne tout expérimental et tout matérialiste ; il y voyait encore une satire"

Le naturalisme revendiqué en peinture par Claude, est aussi le style littéraire de Zola. Claude, plus loin, l'étend à l'architecture




"Je m'imagine que le besoin de l'alignement n'a pas seul mis de cette façon une rosace de Saint-Eustache au beau milieu des Halles centrales. Voyez-vous, il y a là tout un manifeste : c'est l'art moderne, le réalisme, le
naturalisme, comme vous voudrez l'appeler, qui a grandi en face de l'art ancien..."

Dans la bataille des Gras et des Maigres l'auteur met en scène, dans le rôle des Gras : les commerçants des Halles, poissonnières et charcutières, volaillers et cafetiers, toute une société prospère qui se concurrence, se jalouse, s'observe, s'enrichit...

"C'était le ventre boutiquier, le ventre de l'honnêteté moyenne, se ballonnant, heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux, que jamais les gens de moeurs paisibles n'avaient engraissé si bellement."

Bonne conscience de la Belle Lisa et de sa concurrent la Belle Normande, travailleuses, honnêtes, bien nourries....Certains personnages sont plus nuancés comme les jeunes Marjolin et Cadine, les enfants Muche et Pauline qui jouent dans la boue. Deviendront-ils des Gras quand il seront adultes?  Et la vieille Saget la fouineuse avec son cabas, qui surveille les autres de sa fenêtres, s'attarde pour écouter les rumeurs et qui colportera les ragots : une Maigre? 

"mademoiselle Saget avait certainement laissé dans sa vie  passer une occasion d'engraisser car elle détestait les gras tout en gardant dédain pour les Maigres"

déclare Claude Lantier. 

C'est cette dernière qui déclenchera la guerre en convoquant les commères pour dévoiler le secret de Florent. Et cette mauvaise action se déroule dans les odeurs de fromage. Les odeurs contribuent à l'ambiance :
Comme les tomes précédents de la série des Rougon-Macquart, le Ventre de Paris est un roman politique, qui raconte l'histoire du Second Empire : son avènement avec les barricades et les déportations de 1851 et les oppositions clandestines : les conspirations des révolutionnaires dans les arrières salles du café ainsi que la surveillance des espions et des mouchards, les dénonciations des honnêtes gens qui voient dans l'Empire une stabilité et une prospérité qui garantie leur commerce.

"C'est la politique des honnêtes gens... Je suis reconnaissante au gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil... C'était du propre, n'est-ce pas, en 48 ? L'oncle Gradelle, un digne homme, nous a montré ses livres de ce temps-là. Il a perdu plus de six mille francs... Maintenant que nous avons l'empire, tout marche, tout se vend. Tu ne peux pas dire le contraire... Alors,"

C'est encore Claude qui aura le dernier mot :

Alors, Claude leur montra le poing. Il était exaspéré par cette fête du pavé et du ciel. Il injuriait les Gras, il disait
que les Gras avaient vaincu. Autour de lui, il ne voyait plus que des Gras, s'arrondissant, crevant de santé,

Magistral!
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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