Citations sur Magellan (190)
Seul atteint les plus hautes cimes du bonheur celui qui s'élance des profondeurs extrêmes du désespoir.
… du jour où Vasco de Gama a débarqué aux Indes, le Portugal veut le gâteau pour lui seul et regarde l’Afrique, l’Inde et le Brésil comme sa propriété. De Gibraltar à Singapour et jusqu’en Chine aucun bâtiment n’a le droit de sillonner les mers, personne ne peut faire de commerce sur une moitié du globe s’il n’appartient à la plus infime nation de la petite Europe.
C’est pourquoi un spectacle magnifique se déroule en cette journée du 25 mars 1505, où la première flotte de guerre portugaise quitte Lisbonne pour conquérir un nouvel empire, spectacle seulement comparable dans l’histoire à celui d’Alexandre franchissant l’Hellespont. La tâche qu’elle se propose n’est pas moins présomptueuse : l’asservissement d’un monde.
Tout ce qui est oriental a sans cesse exercé sur l'Europe , à cause de son éloignement, de sa rareté, de son exotisme, et peut-être aussi en raison de sa cherté, une sorte de suggestion, de fascination.
Il faudra attendre longtemps pour que les fruits de la terre, aujourd'hui les plus communs comme la patate, le maïs et la tomate trouvent un droit de cité pérenne en Europe ; on n'utilise pas encore le citron pour assaisonner ; le sucre pour adoucir, et l'on ignore toujours les vertus toniques du café, ou du thé ; même les princes et les grands s'abandonnent à leur bestiale gloutonnerie pour tromper la fastidieuse monotonie de leur repas. Mais ô prodige, un seul petit grain d'épice indienne , une pincée de poivre, un rien de macis séché, un zeste de gingembre ou de cannelle ajoutés aux plats les plus frustres, et le palais soudain flatté se trouve tout excité par ces saveurs intenses venues d'ailleurs. Entre les modes grossièrement majeur et mineur de l'acide et du doux, du pimenté et du fade, résonne dès lors tout une gamme subtile de tons et de demi-tons culinaires ; et bientôt les papilles gustatives encore barbares au Moyen-âge ne peuvent plus se passer de ces stimulants nouveaux.
Dans la mémoire des grands exploits, le monde préfère toujours se focaliser sur les instants dramatiques ou pittoresques qui synthétisent les hauts faits du héros: César traversant le Rubicon, Napoléon au pont d'Arcole.
Car l'essentiel est fait : il a prouvé qu'en poursuivant toujours dans la même direction, que ce soit du côté où le soleil se lève ou du côté opposé, on doit revenir au point d'où l'on est parti. Ce que les savants supposaient depuis des milliers d'années est devenu, grâce au courage d'un individu, une certitude : la terre est ronde et voici un homme qui vient d'en faire l'expérience.
C’est vraiment par euphémisme qu’on appelle cette route un « détroit ». En réalité c’est un carrefour ininterrompu, un labyrinthe de baies, de fjords et de canaux, qu’on ne peut traverser qu’au prix des plus grandes difficultés et en faisant appel à tout l’art du navigateur. Ces baies aux formes multiples se resserrent, s’arrondissent, trois, quatre fois la route bifurque, tantôt à droite, tantôt à gauche, et l’on ne sait jamais où est la bonne direction, à l’Ouest, au Nord ou au Sud. Il faut éviter les bas-fonds, contourner les rochers et toujours le vent hostile souffle et tourbillonne, soulevant l’eau, secouant les voiles. On comprend pourquoi cette route fut pendant des siècles l’effroi des marins. C’est par dizaines qu’au cours des expéditions suivantes les navires se sont échoués sur cette côte inhospitalière, et ce qui prouve le mieux les qualités extraordinaires de navigateur de Magellan c’est le fait que lui, qui a été le premier à parcourir cette voie dangereuse, fut aussi pendant de longues années le seul à l’avoir fait sans accident.
...Magellan – semblable en cela à Napoléon – se montre aussi hardi dans la conception de son expédition que méticuleux et méthodique dans l’examen, le choix des détails.
Il (Magellan) a vu et appris tout ce qu’un soldat, tout ce qu’un marin doit savoir sur terre et sur mer. Il a doublé quatre fois le cap de Bonne-Espérance, deux fois par l’ouest, deux fois par l’est. Il a frôlé la mort en maintes occasions, il a été blessé trois fois. Il a visité une foule de pays, il connaît mieux la partie orientale du globe que les plus fameux géographes et cartographes de son temps. Dix années d’expérience l’ont formé à toutes les techniques militaires, il s’entend à manier l’épée et l’arquebuse, la boussole et le gouvernail, à larguer la voile et à tirer le canon. Il sait lire et tracer un portulan, jeter la sonde aussi bien qu’un vieux pilote et se servir des instruments de bord avec autant de précision qu’un « maître de l’astrologie ». Calmes plats interminables, cyclones de plusieurs jours, batailles navales et terrestres, pillages, guets-apens, naufrages, il connaît, il a vécu tout cela.
Le monde tourne maintenant des regards étonnés et envieux vers cet insignifiant petit peuple de marins, relégué à l’extrême pointe de l’Europe. Pendant que les grandes puissances, la France, l’Allemagne, l’Italie s’entre-déchirent dans des guerres stupides, leur frère cadet, le Portugal, décuple, centuple son champ d’action. Rien ne peut plus entraver son formidable essor. Il est devenu du jour au lendemain la première nation maritime du monde, il a acquis par son activité non seulement de nouvelles provinces mais même de véritables continents. Dix ans encore, et le plus petit État d’Europe pourra prétendre posséder et régir un territoire plus vaste que l’empire romain au temps de sa plus grande extension.