Zweig écrit ce court livre en hommage à
Freud en 1930, une décennie à peine avant la mort de ce dernier. Il l'ouvre sur cette interrogation de
Nietzsche :
« Combien de vérité supporte, combien de vérité ose un esprit ? C'est ce qui est devenu pour moi, de plus en plus, la véritable mesure des valeurs. L'erreur (la foi en l'idéal) n'est pas de l'aveuglement, l'erreur est de la lâcheté… Chaque conquête, chaque pas en avant dans la connaissance découle du courage, de la dureté envers soi, de la propreté envers soi. »
En 1930 déjà, Zweig constatait que les conceptions les plus radicales avancées par
Freud se résorbaient déjà, à travers un révisionnisme souvent inconscient, dans la psychologie générale. le moi reprenait la place centrale que la tradition philosophique lui attribuait, tandis que le sens d'une responsabilité bienveillante animée par la force d'une illusoire volonté autonome se proposait comme solution aux nouveaux symptômes de l'époque. Zweig essaie d'opposer une résistance à ce recyclage reposant fondamentalement sur le malentendu – sur la progression de ce mouvement naturel par lequel la pensée n'a de cesse de vouloir retrouver les fondements sur lesquels elle s'est toujours connue.
Zweig rappelle quelques singularités de l'oeuvre freudienne comme le désir en tant que rapport d'être à manque (« Ce n'est pas l'éternité que veut l'homme, ce n'est pas, selon
Freud, la vie spirituelle que l'âme désire avant tout : elle ne désire qu'instinctivement et aveuglément. le désir universel est le premier souffle de toute vie psychique ») ou des enjeux de pouvoir que recèlent les différentes formes de discours dominants (« La psychanalyse ne recourt ni à l'opium des religions, ni aux extases grisantes des promesses dithyrambiques de
Nietzsche, elle n'assure ni ne promet rien, elle préfère se taire que de consoler »).
Mais qu'il veuille conclure en recourant aux procédés habituels de l'emphase romantique, ou qu'il soit à son tour déçu par le manque apparent de perspectives plaisantes que l'oeuvre freudienne lui fait percevoir, Zweig finit par avouer que la psychanalyse n'est pas assez propice à nourrir les rêveries de l'homme sur lui-même. Quand bien même
Freud n'aurait fait que traverser le paysage comme une flèche, et quand bien même son héritage se réduit par nous en stéréotypes réducteurs, Zweig croit cependant que le « niveau de conscience » de l'humanité s'est suffisamment élevé et que, par une magie qui semble proche de celle de la diffusion de l'information dans le cloud, nous aurions tous comme intrinsèquement digéré et métabolisé la psychanalyse freudienne. Nous pourrions, en somme, nous passer de
Freud, puisque nous savons nous en servir. Mais Zweig trahit justement son incapacité à se servir de la psychanalyse.
« Maintenant que l'art d'interprétation du psychanalyste a montré à l'âme les entraves secrètes qui arrêtent son essor, d'autres pourraient lui parler de sa liberté, lui apprendre à sortir d'elle-même et à rejoindre le Tout universel ». Zweig lit
Freud pour finalement nous enjoindre à retomber dans le mythe de l'unité totalisante et de la progression de la conscience, transformant son intention de faire l'éloge de
Freud en une publicité pour la psychologie analytique de
C. G. Jung qui, pris par le même mirage que Zweig, a pensé pouvoir poursuivre la psychanalyse au point où elle s'en était arrêtée, de l'étude des divers troubles qui lient l'homme au monde, au fantasme d'un sujet qui s'acheminerait jusque vers sa « totalité ». La totalité, c'est-à-dire la volonté d'en conclure définitivement avec l'étonnement.