Notre rôle, en vérité, paraît des plus inexplicables. A quelle doctrine appartenons-nous donc? Ennemi de ceux qui ne veulent pas des esprits, ennemi de ceux qui les acceptent, aurions-nous donc à tel point l'esprit d'opposition, que nous ne puissions plaire à personne et que nous fassions la guerre à tout le monde? Dans une position si délicate, nous comprenons qu'on ait peine à nous bien définir et que, regardé comme un mécréant par les uns, nous soyons si souvent classé par les autres parmi les sorciers et les tourneurs de baguette. On a peine à se rendre compte de tant d'efforts simultanés contre deux doctrines qui s'exècrent.
Beaucoup de personnes peut-être vont s'alarmer de la résurrection d'un ennemi dont elles avaient béni la mort; nous leur devons quelques mots d'explication.
D'abord, il ne s'agit plus exclusivement d'ennemis à conjurer; désormais les vrais consolateurs ne nous feront plus défaut, puisque sous ce titre d'Esprits nous allons réunir toutes LES FORCES SURINTELLIGENTES, divines, angéliques, démoniaques et surhumaines (ou manales). Les dimensions d'un tel cadre sont donc en rapport avec les dimensions du sujet, puisque c'est l'invisible tout entier, autrement dit l'infini spirituel qui va s'y trouver renfermé.
Nos esprits légers ne peuvent donc se douter que, plus inexplicable mille fois dans sa disparition subite que dans son invasion même, cette frénésie, de générale et publique qu'elle était dans les premières années, est devenue privée, secrète, mystique, et, grâce aux folles dénégations de la science, infiniment moins guérissable qu'elle ne l'était dans le principe. Tout fanatisme, en effet, se développe en raison de l'injustice, et toute conversion se roidit contre un prédicateur qui ment à l'évidence.
Si nous avions la prétention d'implanter, dès les premiers pas, la doctrine de nos interventions surnaturelles sur le terrain scientifique qui les repousse avec le plus de hauteur et de succès apparent, nous commettrions une grande faute. Ce serait compromettre toutes nos ressources, que de les précipiter, dès la première heure et sans préparation suffisante, au plus fort de la mêlée.
Autour de ce drapeau de la spiritophobie scientifique et générale qui fait toujours notre étonnement, il y a cependant encore deux camps très-distincts, celui des inébranlables et celui des très-embarrassés.