José Rodrigues dos Santos est connu pour son travail de documentation préalable à l'écriture de ses romans historiques. En voici un bel exemple.
Écrire le roman de ceux qui n'ont pas survécu à l'Holocauste. Tel était le projet. Il a donc réuni une abondance de documents donc certains manuscrits. Et c'est à partir de ces manuscrits découverts enterrés près d'un des crématoires d'Auschwitz (parfois des dizaines d'années après la guerre) qu'il a écrit cette biographie imaginaire du Magicien. Biographie imaginaire, personnage de fiction, et pourtant tout ce qui est raconté ici s'est produit. L'abominable est réel.
JRDS (on me pardonnera le raccourci) alterne le récit de Herbert Levin, dit le Grand Nivelli, illusionniste célèbre du Berlin des années 30, et celui de Francisco, légionnaire portugais engagé malgré lui dans l'armée allemande. Au travers du parcours d'un juif déporté avec sa petite famille, citoyen obéissant ne réalisant pas ce qui lui arrive, et d'un soldat anti-rouges qui prend peu à peu conscience de la Solution Finale, JRDS décrit le monde hallucinant (halluciné ?) des nazis. Entre mysticisme absurde, hypocrisie éhontée, cynisme et "humanisme" dévoyé (on les gaze "pour leur bien, pour éviter qu'ils souffrent"...), on franchit une à une les étapes de ce voyage qui les mène tous les deux à Auschwitz.
Même prisonnier du camp, Levin ne comprend pas ce qui se passe, c'est par trop invraisemblable, on ne peut pas aller jusque là, pense-t-il d'abord. Il doit s'agit de rumeurs, d'erreurs d'interprétation, de fantasmes. Francisco lui est à la recherche d'une jeune russe dont il est tombé amoureux et qui a été déportée. On n'arrive au camp qu'aux 3/4 du roman et l'horreur n'y est encore qu'esquissée... Je crains que le tome 2 (
Le manuscrit de Birkenau, sortie le 6 octobre prochain) ne soit davantage insoutenable si l'auteur est allé au bout de son projet. Écrire et décrire ce qui n'a pas été raconté, ce qu'ont vécu et ressenti ceux qui sont "sortis par les cheminées"...
L'absurdité, le cynisme, la cruauté, le sadisme, ce que l'Humanité a fait de pire, il le raconte au travers du regard de ses deux héros. La dernière partie de ce volume s'intitule "Prélude à la mort", point n'est besoin d'en dire plus....On s'est attaché très vite à Herbert, sa femme et son tout jeune fils. On évolue vis à vis de ce légionnaire assassin, qui passe d'un anti-communisme primaire à la prise de conscience, pour finir par le plaindre. du relatif "confort" de la citadelle de Terezin (Theresienstadt) où le naïf Herbert croit encore à ces régions réservées aux juifs qu'on leur promet à l'horreur des Trains de la Mort, de la Sélection à l'arrivée au Traitement Spécial, JRDS nous raconte tout sans fards et sans exagérer.
Pour le lecteur novice sur le sujet, ce sera parfois difficile à imaginer et à supporter. Pour le lecteur averti qui n'apprendra que peu de choses, vivre de l'intérieur le ressenti, l'effarement, l'incompréhension donne une toute autre vision de la Chose. En cela JRDS innove...
Lecture indispensable donc. José
Dos Santos prouve que le romancier peut se faire historien respectueux des faits....