Comme tout bon citoyen qui se respecte, je donne parfois du temps ou de l'argent aux associations qui me sont chères – sans oublier ensuite de déduire 66 % du montant des dons de mes impôts. Je ne suis pas le seul : en France, une personne sur deux est adhérente d'une association, et une sur trois fait du bénévolat (deux fois plus qu'il y a vingt ans !).
En revanche, je ne m'étais jamais penché sur la face immergée de l'iceberg : le monde associatif est aussi un monde du travail, dans lequel près de 2 millions de personnes sont salariées. Ce monde a son marché, ses emplois, sa hiérarchie, ses rapports sociaux et même, de plus en plus, un penchant pour l'optimisation de son activité autour de l'idée d'« efficacité ».
C'est que le monde associatif, loin d'être un univers enchanté dans lequel tout le monde donne de soi au bénéfice du bien commun, est aussi un lieu où s'expriment conflits et rapports de force, parfois entre les salarié·es et les bénévoles – pourquoi payer correctement un·e employé·e alors qu'un·e bénévole fait l'affaire aussi bien et à moindre coût –, et parfois entre les associations elles-mêmes, qui luttent pour la conquête des fonds publics et la pérennisation de leur activité.
Ce petit ouvrage, très bien fait comme souvent dans la collection « Repères », nous incite alors à tirer les conséquences de ce désenchantement et à le remettre en perspective sur les plans historique et politique. Face à la difficulté d'obtenir des subventions, les associations employeuses se tournent vers leurs usagers pour se financer, ce qui les incitent à privilégier les missions les plus rentables et les publics les plus solvables. Face à la complexification de l'environnement technique et juridique du monde associatif, les associations s'organisent pour « recruter » et retenir les meilleur·es bénévoles.
Jusqu'à aboutir au constat de ce paradoxe, mis au jour par l'analyse sociologique : « Une nouvelle génération de travailleurs associatifs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur les sites spécialisés de recrutement pour travailler dans un secteur qui met en avant un « modèle alternatif de travail », un travail qui « a du sens », « engagé », « porteur de valeurs ». Pourtant, loin de l'idéal, les conditions de travail y sont plus dégradées qu'ailleurs, et le monde associatif est devenu le terreau d'une nouvelle précarité. […] Dans ce marché du travail, c'est le salariat « atypique » [CDD, contrats aidés, services civiques...] qui est typique. » (p. 94)
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Une nouvelle génération de travailleurs associatifs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur les sites spécialisés de recrutement pour travailler dans un secteur qui met en avant un « modèle alternatif de travail », un travail qui « a du sens », « engagé », « porteur de valeurs ».
Pourtant, loin de l’idéal, les conditions de travail y sont plus dégradées qu’ailleurs, et le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. Depuis quelques années, des sociologues du travail associatif pointent une particularité du monde associatif : dans ce marché du travail, c’est le salariat « atypique » [CDD, contrats aidés, services civiques...] qui est typique. Les salariés du monde associatif sont fortement touchés par la précarité, c’est-à-dire par la discontinuité associée à la carence du revenu ou à la carence des protections. Comparé aux secteurs privé et public, le monde associatif est davantage marqué par de fortes disparités en termes de conditions de travail et d’emploi. (p. 94)
Si les conditions d’emploi sont globalement plus dégradées dans le monde associatif que dans le privé ou le public, pourquoi ces emplois trouvent-ils preneurs ?
Anne E. Preston [1989] avance la théorie du « don du travail ». Pour la chercheuse, les conditions de travail moins bonnes du monde associatif par rapport au secteur privé sont compensées par la production de bénéfices sociaux par les organisations dans lesquelles les salariés travaillent. [...] La contribution des individus au bien commun serait une compensation en profits symboliques qui rendrait acceptable une rémunération plus faible.
[...] Si cette explication apporte une part non négligeable à la compréhension du phénomène, pour Matthieu Hély elle n’est pas suffisante. Le statut de travailleur associatif, les conditions d’emploi et de rémunération peuvent aussi être le résultat d’une nécessité ou de l’inexistence d’autres choix. [...] Pour [lui], le monde associatif fonctionne comme une voie de sortie pour ceux désirant réaliser un travail au service de l’intérêt général, plutôt que dans un marché privé déterminé par la recherche de plus-values. (p. 103-105)
Avec 1,5 million d'associations actives, le monde associatif est multiforme, il se caractérise par une infinité de projets, de pratiques, d'acteurs, une diversité d'activités, de tailles, de modèles économiques, etc. C'est un monde d'engagements, de production de richesses et de travail. En 2017, un français sur deux est adhérent d'une association. 22 millions de personnes font du bénévolat et réalisent un volume de travail équivalent à environ 1,4 million d'emplois (en équivalent temps plein). Pris dans sa globalité, le monde associatif a un budget annuel cumulé de plus de 113 milliards d'euros et emploie 1,8 million de salariés. (p. 3)
[Les salariés associatifs] ont des propriétés sociales et des préoccupations proches de celles des fonctionnaires, réalisent une partie des missions de service public, sans pour autant profiter des conditions d'emploi du secteur public.
[...] Pour Mathieu Hély, dans cette nouvelle configuration du monde associatif, tout se passe comme si les salariés des associations réalisaient les missions du public dans les conditions du privé, voire dégradées par rapport à celles du privé classique. (p. 105-106)
En sociologie, Lionel Prouteau propose de distinguer plusieurs dimensions permettant de cerner le bénévolat.
La première est le caractère volontaire de l’activité. Les individus sont bénévoles de leur propre initiative, agissent sans obligation. La deuxième dimension est que la nature des gratifications reçues par le bénévole ne peut pas prendre la forme d’une rémunération monétaire ou en nature (même si les bénévoles peuvent être défrayés pour leurs activités bénévoles). La troisième dimension est que l’activité bénévole doit être tournée vers autrui : le bénévole ne peut être lui-même le seul destinataire des activités auxquelles il contribue. Enfin, la quatrième dimension concerne le lieu dans lequel l’activité est réalisée. Le bénévolat est une activité généralement et principalement associative, mais qui peut être également observée dans des organismes publics, et plus rarement dans des entreprises privées. (p. 73-74)