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Épilogue meurtrier

Après le paroxysme de la crise grecque, le commissaire Kostas Charitos est confronté aux poussées xénophobes, à l’Aube dorée et à tout ce qui profite de la situation.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/20/note-de-lecture-epilogue-meurtrier-petros-markaris/



Dans la « Trilogie de la crise » dont les trois volumes précédaient tout juste cet « Épilogue meurtrier », Katérina, la fille du commissaire athénien Kostas Charitos, était passée progressivement de juriste débutante et fraîchement mariée à ardente avocate des droits des êtres humains, surtout lorsque ces droits sont le plus souvent bafoués ou niés, comme c’est le cas des immigrants, légaux ou illégaux, en Grèce comme dans bien d’autres pays. Supervisant aussi bénévolement un foyer pour sans-abri, elle est principalement active dans la défense d’employés face à leurs patrons pour le moins indélicats, dirait l’euphémisme.



Lorsqu’un matin elle est sauvagement agressée à la sortie du Palais de Justice par des motards cagoulés, le commissaire se retrouve pris presque malgré lui dans un sombre scénario criminel, mêlant de manière a priori inextricable ce qui ressemble d’un côté à des crimes racistes, et de l’autre, conduite par d’énigmatiques et anonymes « Grecs des années 50 », une vengeance à l’encontre de tout ce qui a sapé le service public au cours des cinquante dernières années… C’est comme toujours en bon père de famille, épris de quotidien et néanmoins magnifiquement obsessionnel, que le commissaire parviendra à saisir ce qui se passe réellement derrière les mauvais reflets d’une Aube dorée.



Publié en 2014, traduit en 2015 au Seuil par Michel Volkovitch, le neuvième volume de la série Kostas Charitos imaginée par Petros Markaris constitue, comme son titre l’indique d’emblée (mais évidemment, il n’indique pas uniquement cela), une coda à la Trilogie de la crise : le calme socio-économique vaguement revenu, dans une Grèce meurtrie mais ayant pour l’instant survécu à ses avanies, c’est un autre genre d’ennemi du peuple qui tient le haut du pavé, celui qui se drape dans la « simple » xénophobie pour promouvoir de facto un authentique fascisme.



Le superbe « Victoria n’existe pas » (2013) de Yannis Tsirbas, ou les non moins intenses « Ça va aller, tu vas voir » (2010) et « Le salut viendra de la mer » (2014) de Chrìstos Ikonòmou, nous avaient déjà montré en beauté le cocktail détonant et hautement délétère que constituent la xénophobie et la présence de réfugiés fuyant des zones de guerre et de misère à travers la Méditerranée, en Grèce. En inscrivant cette réalité dans les tours et détours d’une enquête policière confiée par Petros Markaris à son commissaire bourru – commissaire plutôt issu d’un milieu franchement conservateur, même si son meilleur ami est un communiste, et même si sa fille s’écarte nettement de ce chemin ancestral -, « Épilogue meurtrier » nous montre comme mine de rien l’un des vrais visages, corrompus et glauques, du fascisme – ce qui ne nous surprendra pas outre mesure de la part d’un auteur qui a connu la sinistre dictature des colonels aux premières loges, et qui a été le principal scénariste des chefs d’œuvre cinématographiques de Theo Angelopoulos tels que « Le Voyage des Comédiens » (1975), « Le Pas suspendu de la cigogne » (1991) ou « L’Éternité et un jour » (1998), par exemple.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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L'empoisonneuse d'Istanbul

En voyage touristique organisé à Istanbul, le commissaire Kostas Charitos est contraint à l’action par une série de meurtres liés à l’exode grec de 1955, cinquante ans plus tôt.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/03/note-de-lecture-lempoisonneuse-distanbul-petros-markaris/



Pour des raisons familiales qui s’éclaireront le moment venu (et qui – rassurons d’emblée les lectrices et lecteurs inquiets – trouveront une issue relativement favorable dans les épisodes suivants de la saga Kostas Charitos, le commissaire et son épouse Adriani sont en voyage organisé à Istanbul. Parcours de visites « classique », teinté éventuellement de la nostalgie et du ressentiment dont beaucoup de Grecs originaires de la cité, qu’ils ont parfois dû, eux-mêmes ou leurs parents et grands-parents, quitter précipitamment après les « événements » de 1955, et parcouru occasionnellement des clivages politiques, entre touristes grecs, qui parcourent toujours leur pays en ces années 2000, bien après la guerre civile et la dictature des colonels. Les vacances légèrement fiévreuses du commissaire vont toutefois prendre un tour bien différent, et l’obliger à certaines acrobaties diplomatiques aventureuses avec la police turque, lorsqu’une série de meurtres au moyen d’un poison particulier se mettent tout à coup à toucher, sur place, diverses personnes liées, visiblement de près ou même en apparence de beaucoup plus loin, à l’exode des Grecs locaux après 1955.



Publiée en 2008, traduite en français en 2010 par Caroline Nicolas pour Seuil Policiers, « L’empoisonneuse d’Istanbul » est la cinquième enquête conduite par le commissaire Kostas Charitos de Petros Markaris. Se déroulant quelques semaines avant le début de la « Trilogie de la crise », avec « Liquidations à la Grecque », elle est la dernière pour un bon moment à ne pas être en prise avec l’actualité immédiate (fût-elle par moments légèrement science-fictive) de la Grèce. Enquête plus « intemporelle », donc, même si elle est comme de coutume chez l’auteur férocement reliée à l’histoire du pays, j’ai préféré vous en parler, une fois n’est pas coutume, après les péripéties criminelles engagées au cœur de l’effondrement financier des années 2010.



Histoire de vengeance improbable qui nous permet de parcourir, à hauteur d’homme et de femme, l’une des facettes de l’animosité séculaire entre Grecs et Turcs, elle nous plonge dans un curieux climat, largement inconnu des lectrices et lecteurs de par chez nous, celui de la nostalgie éventuellement vindicative liée au pogrom d’Istanbul de 1955, qui déclencha l’émigration massive de la grande majorité des 135 000 Grecs de la ville à l’époque. En effet, si la « Grande Catastrophe » liée à la fin de la guerre gréco-turque de 1922 et au traité de Lausanne de 1923 et au chaotique « échange de populations » (on ne parlait pas encore à l’époque d’épuration ethnique) avait vu le chassé-croisé d’un million et demi de chrétiens chassés d’Asie et de 500 000 musulmans repoussés hors d’Europe, les communautés orthodoxes d’Istanbul n’avaient, par dérogation (et certainement un peu parce que les Alliés occupaient la ville depuis la fin de la première guerre mondiale…), pas été concernées par ce règlement ô combien douteux. C’est trente ans plus tard que l’émigration « forcée » prit place, avec son lot de crimes et de spoliations, et sa cohorte de profiteurs d’aubaines économiques « à saisir », qui fournissent la toile de fond de cette enquête prenant place encore cinquante ans plus tard. On notera d’ailleurs à quel point Petros Markaris est habile dans la pratique d’un décentrage largement ironique vis-à-vis de ses compatriotes, et comment il évite avec art de souffler sur les braises gréco-turques, en soulignant les comportements loin d’être angéliques de certains Grecs nantis vis-à-vis de moins chanceux qu’eux – et la rapacité largement partagée des deux côtés du Bosphore. La fibre sociale rusée et ambiguë qui parcourt les travaux de l’auteur prend ainsi, ici, un tour parfois joliment inattendu.


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Pain, éducation, liberté

Au cœur de la crise grecque de 2010, le commissaire Kostas Charitos et son équipe de la brigade criminelle d’Athènes enquêtent sur des meurtres ordinaires qui ne le sont peut-être pas tant que ça.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/19/note-de-lecture-la-trilogie-de-la-crise-petros-markaris/



Publiés respectivement en 2010, 2011 et 2012, avant d’être traduits en français en 2012, 2013 et 2014 par Michel Volkovitch au Seuil, les romans « Liquidations à la grecque », « Le justicier d’Athènes » et « Pain, éducation, liberté » de Petros Markaris constituent ensemble la « Trilogie de la crise », prenant place au fil de la crise économique et financière vécue par la Grèce en 2008-2010 (avec ses prolongements jusqu’en 2015 et au-delà), lorsque la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI) a imposé au pays un plan d’ajustement particulièrement drastique face à la menace de sortie des traités monétaires européens que représentait l’effondrement budgétaire du gouvernement de Giorgios Papandréou.



Ayant pour personnage principal le commissaire Kostas Charitos, de la Brigade criminelle d’Athènes, ils en constituent les 6ème, 7ème et 8ème enquêtes, au sein d’un cycle commencé en 1995 avec « Journal de la nuit » (j’ai aussi lu à ce stade sa 5ème, « L’empoisonneuse d’Istanbul », mais pour diverses raisons, je préfère vous en parler ultérieurement sur ce blog).



Comme chez beaucoup des plus pertinents polars noirs contemporains (et avant eux, bien entendu, depuis les pères tutélaires Hammett et Chandler, pour ne citer qu’eux), l’intrigue policière, si elle n’est pas un simple prétexte, s’efface avec justesse devant une peinture ramifiée, socio-politique en diable, de toute une époque où l’individu et l’intime sont aux prises et en résonance avec le collectif et avec l’Histoire. À travers les enquêtes conduites par le commissaire Kostas Charitos, ce sont des pans entiers du passé et du présent de la Grèce qui viennent manifester leur présence, en force ou en discrétion. Deuxième guerre mondiale, guerre civile qui la suivit immédiatement, communisme et anti-communisme qui ont depuis lors façonné une très large part du tissu social, dictature des colonels, insurrection de l’école polytechnique, partition de Chypre, exodes d’Asie Mineure (des plus anciens aux plus récents), grands travaux olympiques et corruption généralisée, racisme et immigrés clandestins, réfugiés et extrême-droite plus que résurgente : il n’y a peut-être que chez Manuel Vazquez Montalban et Valerio Varesi (mais, quoique maniant des registres fort différents, François Médéline n’est peut-être pas si loin) que l’on trouve à ce point l’intrication des ombres portées des crimes passés sur un présent englué (des faux espoirs de la movida post-franquiste aux désenchantements d’une mémoire des années de plomb toujours remaniée au désir du plus offrant, en l’espèce).



Jouant à sa manière avec les réjouissants outils qu’affectionnait le regretté Valerio Evangelisti, ceux qui peuvent engendrer des « gentils » énervants et des « méchants » que l’on ne parvient pas à détester totalement, Petros Markaris nous offre dans cette trilogie plusieurs galeries panoramiques de criminels ambigus et de victimes fort peu sympathiques (les précurseurs Giorgio Scerbanenco et, en duo, Maj Sjöwall et Per Wahlöö avaient su aussi jouer de ces ruses pour mieux pénétrer les arcanes chancelants des sociétés italienne ou suédoise au tournant des années 1975-1980). Des promoteurs corrompus aux magouilleurs impénitents, des économistes aux ordres aux politiciens sachant se servir de leurs électrices et électeurs plutôt que l’inverse, des individus bien décidés à écraser tout ce qui sera nécessaire pour arriver aux menteurs patentés cachant de bien sombres secrets de fabrication, cette Athènes des années 2010 en proie à un étésien violent, sans aucune douceur égéenne résiduelle, s’enflamme sans retenue, les crimes particuliers se mêlant inexorablement aux flambées collectives déchaînées par la crise.



À la brigade criminelle d’Athènes, Petros Markaris construit un somptueux police procedural, éminemment politique jusque dans les conflits de services et de personnes, jusque dans l’obséquiosité et la prudence (aux limites même du supportable) vis-à-vis des décideurs politiques et des puissants, jusque dans les faiblesses et les sursauts salvateurs qui parcourent pourtant les enquêtrices et les enquêteurs aux mains liées plus souvent qu’à leur tour. Le tour de force encore plus rare réalisé par l’auteur grec tient sans doute à la manière dont il adosse cette famille métaphorique et dysfonctionnelle à la famille véritable, épouse, enfants, belle-famillle et amis proches, du commissaire volontiers bougon et parfois carrément obstiné. On se prend ainsi, de volume en volume, au jeu de l’évolution d’une cellule vivante au sein d’un tourbillon permanent, socio-économique et politique, sous le signe contraint d’une vie matérielle omniprésente.



Vie matérielle s’il en est, en effet : il n’y a probablement, dans le polar noir contemporain, que chez Alexandra Marinina, lorsqu’elle orchestre les tribulations du couple si amoureux formé par une commandante de la police criminelle moscovite et un brillant professeur de mathématiques, dans les années post-communistes (qui verront donc émerger aussi bien les oligarques et autres nouveaux Russes que les gants de fer du pouvoir poutinien) que la pression économique et financière exercée sur les gens « ordinaires », quelles que soient leurs fonctions et responsabilités sociales à l’heure de l’argent mondialisé triomphant, apparaît dans toute sa force délétère au quotidien.



À la fois symptôme et marqueur indiscret de cet écrasement toujours en cours, on sera tour à tour stupéfié et agacé – au côté des personnages eux-mêmes, donc – par l’une des veritables obsessions partagées par ce peuple qui grouille ici, policier ou non : celle de la circulation à Athènes, casse-tête permanent qui semble reléguer les embarras de Paris ou de Londres au rang d’aimables contretemps occasionnels, casse-tête qui appelle à chaque déplacement échafaudages et combinaisons, prises de risques et paris audacieux, résignations et coups de sang potentiels.



Enfin, que la lectrice ou le lecteur – qui ne reconnaîtrait pas, dans le deuxième et le troisième volumes de cette trilogie, le déroulé historique, tel qu’il nous est connu, de la crise grecque de 2010 et des années suivantes – se rassure : elle ou il n’a pas rêvé, car Petros Markaris s’est permis une belle excursion dans le domaine de la politique-fiction la plus sauvage, dans laquelle la sortie de la Grèce de l’Euro (et le retour afférent de la drachme) ou la mise en place d’une politique économique agressive destinée à attirer les capitaux, par une jeune équipe gouvernementale largement issue de la finance privée (toute ressemblance avec un scénario observable toutes proportions gardées dans un grand pays d’Europe de l’Ouest depuis 2017 ne pourrait être que purement fortuite, naturellement) viennent jouer à leur tour leur rôle de péripéties authentiquement romanesques, déplaçant vers d’autres territoires le contenu fictionnel de cette œuvre policière en apparence si réaliste et terre-à-terre.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Le justicier d'Athènes

Au cœur de la crise grecque de 2010, le commissaire Kostas Charitos et son équipe de la brigade criminelle d’Athènes enquêtent sur des meurtres ordinaires qui ne le sont peut-être pas tant que ça.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/19/note-de-lecture-la-trilogie-de-la-crise-petros-markaris/



Publiés respectivement en 2010, 2011 et 2012, avant d’être traduits en français en 2012, 2013 et 2014 par Michel Volkovitch au Seuil, les romans « Liquidations à la grecque », « Le justicier d’Athènes » et « Pain, éducation, liberté » de Petros Markaris constituent ensemble la « Trilogie de la crise », prenant place au fil de la crise économique et financière vécue par la Grèce en 2008-2010 (avec ses prolongements jusqu’en 2015 et au-delà), lorsque la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI) a imposé au pays un plan d’ajustement particulièrement drastique face à la menace de sortie des traités monétaires européens que représentait l’effondrement budgétaire du gouvernement de Giorgios Papandréou.



Ayant pour personnage principal le commissaire Kostas Charitos, de la Brigade criminelle d’Athènes, ils en constituent les 6ème, 7ème et 8ème enquêtes, au sein d’un cycle commencé en 1995 avec « Journal de la nuit » (j’ai aussi lu à ce stade sa 5ème, « L’empoisonneuse d’Istanbul », mais pour diverses raisons, je préfère vous en parler ultérieurement sur ce blog).



Comme chez beaucoup des plus pertinents polars noirs contemporains (et avant eux, bien entendu, depuis les pères tutélaires Hammett et Chandler, pour ne citer qu’eux), l’intrigue policière, si elle n’est pas un simple prétexte, s’efface avec justesse devant une peinture ramifiée, socio-politique en diable, de toute une époque où l’individu et l’intime sont aux prises et en résonance avec le collectif et avec l’Histoire. À travers les enquêtes conduites par le commissaire Kostas Charitos, ce sont des pans entiers du passé et du présent de la Grèce qui viennent manifester leur présence, en force ou en discrétion. Deuxième guerre mondiale, guerre civile qui la suivit immédiatement, communisme et anti-communisme qui ont depuis lors façonné une très large part du tissu social, dictature des colonels, insurrection de l’école polytechnique, partition de Chypre, exodes d’Asie Mineure (des plus anciens aux plus récents), grands travaux olympiques et corruption généralisée, racisme et immigrés clandestins, réfugiés et extrême-droite plus que résurgente : il n’y a peut-être que chez Manuel Vazquez Montalban et Valerio Varesi (mais, quoique maniant des registres fort différents, François Médéline n’est peut-être pas si loin) que l’on trouve à ce point l’intrication des ombres portées des crimes passés sur un présent englué (des faux espoirs de la movida post-franquiste aux désenchantements d’une mémoire des années de plomb toujours remaniée au désir du plus offrant, en l’espèce).



Jouant à sa manière avec les réjouissants outils qu’affectionnait le regretté Valerio Evangelisti, ceux qui peuvent engendrer des « gentils » énervants et des « méchants » que l’on ne parvient pas à détester totalement, Petros Markaris nous offre dans cette trilogie plusieurs galeries panoramiques de criminels ambigus et de victimes fort peu sympathiques (les précurseurs Giorgio Scerbanenco et, en duo, Maj Sjöwall et Per Wahlöö avaient su aussi jouer de ces ruses pour mieux pénétrer les arcanes chancelants des sociétés italienne ou suédoise au tournant des années 1975-1980). Des promoteurs corrompus aux magouilleurs impénitents, des économistes aux ordres aux politiciens sachant se servir de leurs électrices et électeurs plutôt que l’inverse, des individus bien décidés à écraser tout ce qui sera nécessaire pour arriver aux menteurs patentés cachant de bien sombres secrets de fabrication, cette Athènes des années 2010 en proie à un étésien violent, sans aucune douceur égéenne résiduelle, s’enflamme sans retenue, les crimes particuliers se mêlant inexorablement aux flambées collectives déchaînées par la crise.



À la brigade criminelle d’Athènes, Petros Markaris construit un somptueux police procedural, éminemment politique jusque dans les conflits de services et de personnes, jusque dans l’obséquiosité et la prudence (aux limites même du supportable) vis-à-vis des décideurs politiques et des puissants, jusque dans les faiblesses et les sursauts salvateurs qui parcourent pourtant les enquêtrices et les enquêteurs aux mains liées plus souvent qu’à leur tour. Le tour de force encore plus rare réalisé par l’auteur grec tient sans doute à la manière dont il adosse cette famille métaphorique et dysfonctionnelle à la famille véritable, épouse, enfants, belle-famillle et amis proches, du commissaire volontiers bougon et parfois carrément obstiné. On se prend ainsi, de volume en volume, au jeu de l’évolution d’une cellule vivante au sein d’un tourbillon permanent, socio-économique et politique, sous le signe contraint d’une vie matérielle omniprésente.



Vie matérielle s’il en est, en effet : il n’y a probablement, dans le polar noir contemporain, que chez Alexandra Marinina, lorsqu’elle orchestre les tribulations du couple si amoureux formé par une commandante de la police criminelle moscovite et un brillant professeur de mathématiques, dans les années post-communistes (qui verront donc émerger aussi bien les oligarques et autres nouveaux Russes que les gants de fer du pouvoir poutinien) que la pression économique et financière exercée sur les gens « ordinaires », quelles que soient leurs fonctions et responsabilités sociales à l’heure de l’argent mondialisé triomphant, apparaît dans toute sa force délétère au quotidien.



À la fois symptôme et marqueur indiscret de cet écrasement toujours en cours, on sera tour à tour stupéfié et agacé – au côté des personnages eux-mêmes, donc – par l’une des veritables obsessions partagées par ce peuple qui grouille ici, policier ou non : celle de la circulation à Athènes, casse-tête permanent qui semble reléguer les embarras de Paris ou de Londres au rang d’aimables contretemps occasionnels, casse-tête qui appelle à chaque déplacement échafaudages et combinaisons, prises de risques et paris audacieux, résignations et coups de sang potentiels.



Enfin, que la lectrice ou le lecteur – qui ne reconnaîtrait pas, dans le deuxième et le troisième volumes de cette trilogie, le déroulé historique, tel qu’il nous est connu, de la crise grecque de 2010 et des années suivantes – se rassure : elle ou il n’a pas rêvé, car Petros Markaris s’est permis une belle excursion dans le domaine de la politique-fiction la plus sauvage, dans laquelle la sortie de la Grèce de l’Euro (et le retour afférent de la drachme) ou la mise en place d’une politique économique agressive destinée à attirer les capitaux, par une jeune équipe gouvernementale largement issue de la finance privée (toute ressemblance avec un scénario observable toutes proportions gardées dans un grand pays d’Europe de l’Ouest depuis 2017 ne pourrait être que purement fortuite, naturellement) viennent jouer à leur tour leur rôle de péripéties authentiquement romanesques, déplaçant vers d’autres territoires le contenu fictionnel de cette œuvre policière en apparence si réaliste et terre-à-terre.
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Liquidations à la grecque

Au cœur de la crise grecque de 2010, le commissaire Kostas Charitos et son équipe de la brigade criminelle d’Athènes enquêtent sur des meurtres ordinaires qui ne le sont peut-être pas tant que ça.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/19/note-de-lecture-la-trilogie-de-la-crise-petros-markaris/



Publiés respectivement en 2010, 2011 et 2012, avant d’être traduits en français en 2012, 2013 et 2014 par Michel Volkovitch au Seuil, les romans « Liquidations à la grecque », « Le justicier d’Athènes » et « Pain, éducation, liberté » de Petros Markaris constituent ensemble la « Trilogie de la crise », prenant place au fil de la crise économique et financière vécue par la Grèce en 2008-2010 (avec ses prolongements jusqu’en 2015 et au-delà), lorsque la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI) a imposé au pays un plan d’ajustement particulièrement drastique face à la menace de sortie des traités monétaires européens que représentait l’effondrement budgétaire du gouvernement de Giorgios Papandréou.



Ayant pour personnage principal le commissaire Kostas Charitos, de la Brigade criminelle d’Athènes, ils en constituent les 6ème, 7ème et 8ème enquêtes, au sein d’un cycle commencé en 1995 avec « Journal de la nuit » (j’ai aussi lu à ce stade sa 5ème, « L’empoisonneuse d’Istanbul », mais pour diverses raisons, je préfère vous en parler ultérieurement sur ce blog).



Comme chez beaucoup des plus pertinents polars noirs contemporains (et avant eux, bien entendu, depuis les pères tutélaires Hammett et Chandler, pour ne citer qu’eux), l’intrigue policière, si elle n’est pas un simple prétexte, s’efface avec justesse devant une peinture ramifiée, socio-politique en diable, de toute une époque où l’individu et l’intime sont aux prises et en résonance avec le collectif et avec l’Histoire. À travers les enquêtes conduites par le commissaire Kostas Charitos, ce sont des pans entiers du passé et du présent de la Grèce qui viennent manifester leur présence, en force ou en discrétion. Deuxième guerre mondiale, guerre civile qui la suivit immédiatement, communisme et anti-communisme qui ont depuis lors façonné une très large part du tissu social, dictature des colonels, insurrection de l’école polytechnique, partition de Chypre, exodes d’Asie Mineure (des plus anciens aux plus récents), grands travaux olympiques et corruption généralisée, racisme et immigrés clandestins, réfugiés et extrême-droite plus que résurgente : il n’y a peut-être que chez Manuel Vazquez Montalban et Valerio Varesi (mais, quoique maniant des registres fort différents, François Médéline n’est peut-être pas si loin) que l’on trouve à ce point l’intrication des ombres portées des crimes passés sur un présent englué (des faux espoirs de la movida post-franquiste aux désenchantements d’une mémoire des années de plomb toujours remaniée au désir du plus offrant, en l’espèce).



Jouant à sa manière avec les réjouissants outils qu’affectionnait le regretté Valerio Evangelisti, ceux qui peuvent engendrer des « gentils » énervants et des « méchants » que l’on ne parvient pas à détester totalement, Petros Markaris nous offre dans cette trilogie plusieurs galeries panoramiques de criminels ambigus et de victimes fort peu sympathiques (les précurseurs Giorgio Scerbanenco et, en duo, Maj Sjöwall et Per Wahlöö avaient su aussi jouer de ces ruses pour mieux pénétrer les arcanes chancelants des sociétés italienne ou suédoise au tournant des années 1975-1980). Des promoteurs corrompus aux magouilleurs impénitents, des économistes aux ordres aux politiciens sachant se servir de leurs électrices et électeurs plutôt que l’inverse, des individus bien décidés à écraser tout ce qui sera nécessaire pour arriver aux menteurs patentés cachant de bien sombres secrets de fabrication, cette Athènes des années 2010 en proie à un étésien violent, sans aucune douceur égéenne résiduelle, s’enflamme sans retenue, les crimes particuliers se mêlant inexorablement aux flambées collectives déchaînées par la crise.



À la brigade criminelle d’Athènes, Petros Markaris construit un somptueux police procedural, éminemment politique jusque dans les conflits de services et de personnes, jusque dans l’obséquiosité et la prudence (aux limites même du supportable) vis-à-vis des décideurs politiques et des puissants, jusque dans les faiblesses et les sursauts salvateurs qui parcourent pourtant les enquêtrices et les enquêteurs aux mains liées plus souvent qu’à leur tour. Le tour de force encore plus rare réalisé par l’auteur grec tient sans doute à la manière dont il adosse cette famille métaphorique et dysfonctionnelle à la famille véritable, épouse, enfants, belle-famillle et amis proches, du commissaire volontiers bougon et parfois carrément obstiné. On se prend ainsi, de volume en volume, au jeu de l’évolution d’une cellule vivante au sein d’un tourbillon permanent, socio-économique et politique, sous le signe contraint d’une vie matérielle omniprésente.



Vie matérielle s’il en est, en effet : il n’y a probablement, dans le polar noir contemporain, que chez Alexandra Marinina, lorsqu’elle orchestre les tribulations du couple si amoureux formé par une commandante de la police criminelle moscovite et un brillant professeur de mathématiques, dans les années post-communistes (qui verront donc émerger aussi bien les oligarques et autres nouveaux Russes que les gants de fer du pouvoir poutinien) que la pression économique et financière exercée sur les gens « ordinaires », quelles que soient leurs fonctions et responsabilités sociales à l’heure de l’argent mondialisé triomphant, apparaît dans toute sa force délétère au quotidien.



À la fois symptôme et marqueur indiscret de cet écrasement toujours en cours, on sera tour à tour stupéfié et agacé – au côté des personnages eux-mêmes, donc – par l’une des veritables obsessions partagées par ce peuple qui grouille ici, policier ou non : celle de la circulation à Athènes, casse-tête permanent qui semble reléguer les embarras de Paris ou de Londres au rang d’aimables contretemps occasionnels, casse-tête qui appelle à chaque déplacement échafaudages et combinaisons, prises de risques et paris audacieux, résignations et coups de sang potentiels.



Enfin, que la lectrice ou le lecteur – qui ne reconnaîtrait pas, dans le deuxième et le troisième volumes de cette trilogie, le déroulé historique, tel qu’il nous est connu, de la crise grecque de 2010 et des années suivantes – se rassure : elle ou il n’a pas rêvé, car Petros Markaris s’est permis une belle excursion dans le domaine de la politique-fiction la plus sauvage, dans laquelle la sortie de la Grèce de l’Euro (et le retour afférent de la drachme) ou la mise en place d’une politique économique agressive destinée à attirer les capitaux, par une jeune équipe gouvernementale largement issue de la finance privée (toute ressemblance avec un scénario observable toutes proportions gardées dans un grand pays d’Europe de l’Ouest depuis 2017 ne pourrait être que purement fortuite, naturellement) viennent jouer à leur tour leur rôle de péripéties authentiquement romanesques, déplaçant vers d’autres territoires le contenu fictionnel de cette œuvre policière en apparence si réaliste et terre-à-terre.
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Mort aux hypocrites

L'histoire est intéressante sur le fond en tant que dénonciateur de la crise économique qui a touché la Grèce plus fortement que d'autres pays européens et y montrent effectivement l'hypocrisie de la société actuelle.



Une telle hypocrisie où nous pouvons nous demander si effectivement il est possible d'agir sans arrière-pensée.

le moindre sera peut-être la satisfaction d'être reconnue par ses paires pour sa philanthropie.

le moindre des maux hypocrites est peut-être l'ego d'avoir accompli sans retirer aucune richesse matérielle de cet acte.



L'histoire en tant que telle ne tient pas vraiment en haleine, les rebondissements sont un peu fades. Je salue surtout le message porté.



"En ce bas monde, certains naissent et d’autres meurent. Seulement quand on m’appelle, ce n’est pas simplement qu’ils sont morts, mais qu’on les a tués."
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Une défense béton

Charitos tente en vain de percer le mur du silence et, victime d'un malaise cardiaque, se retrouve à l'hôpital, où, de surcroît, sa fille tombe amoureuse du médecin !

L'auteur nous montre un pays corrompu et un flic antipathique, raciste (contre les immigrés albanais) qui n'a de cesse de conclure son enquête.

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Le Che s'est suicidé

En pleine période de convalescence, le commissaire Charitos est tranquillement chez lui, et regarde une émission de grande écoute à la télévision. Soudain, Phavérios, l'homme d'affaire invité du talk-show, sort une arme et se tire une balle dans la tête. En direct.

Le commissaire doit donc enquêter sur ce suicide. Puis, voilà qu'un député et un journaliste se suicident dans des circonstances semblables. L'affaire prend une étrange tournure.
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