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Citations de Almudena Grandes (300)


En
montant en voiture, j’eus la sensation que ma grand-mère Teresa, et sa
présence douce et bienfaisante continuaient de voler au-dessus de ma tête,
me recouvrant et me protégeant à la fois. J’étais étourdi et pourtant
tranquille, heureux de savoir mais encore incapable d’analyser ce que je
venais d’apprendre, toutes ces informations qui tournaient dans ma
mémoire – l’image de ma grand-mère, si jolie, si jeune, si fière, ce petit
miracle du temps et de l’histoire qui l’avait fait vivre, qui l’avait tuée, qui
me l’avait rendue après tant d’années sous la forme d’une image digne
d’elle-même, de sa force, de son intelligence et de son courage. Il y avait
une chose héroïque et familière, exemplaire et petite, grandiose et connue,
merveilleuse et quotidienne, espagnole et universelle chez Teresa González
Puerto, et tous ces ingrédients débouchaient au même endroit. Moi.
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« Votre mère a raison, dit-il en la tenant serrée contre lui. Ce qui s’est
passé dans la rue est une honte, c’est notre honte. Et nous ne pouvons pas
regarder ailleurs, car nous ne sommes pas comme eux. Vous savez ce que
j’en pense. Je l’ai dit souvent et je le répéterai, je préfère voir vos frères
morts que traîtres. » Il regarda sa fille aînée, puis la cadette. « Aussi
fascistes, dangereux et coupables soient-ils. C’est le travail des juges pas
celui des barbares. Mais la Junta a fermé les comités de la police secrète,
María, et tes filles ont elles aussi raison… » Il écarta doucement la tête de
sa femme de sa poitrine, lui ôta les cheveux du visage et la regarda. « C’est
une guerre et nous ne l’avons pas commencée. Ils nous ont attaqués, nous
nous défendons, et tu as tes enfants au front, María, deux fils, le mari d’une
de tes filles, le fiancé de l’autre. Tu dois être fière d’eux parce qu’ils ne font
que leur devoir, ils ne sont pas là pour séquestrer des marquis et les tuer
d’une balle dans la nuque. Ils se battent pour toi. Tes fils se battent pour toi,
et pour moi, pour ce que nous sommes toi et moi, pour ce que nous avons
toujours été. Nous sommes tous impliqués, tu ne comprends pas ? C’est ta
famille, toute ta famille, qui joue sa vie. Nous la jouons tous, chacun à notre
tour. Par malheur, ce n’est plus de la politique. C’est la guerre, María. »
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— Et pourtant, ils ne m’ont pratiquement pas laissée parler, dix minutes,
m’ont-ils dit en arrivant, tu te rends compte ? Dix minutes ! » Comme tu es
jolie, pensa Julio. Comme tu es jolie mais comme tu me fais peur. « Mais
bon, c’est comme ça, je ne m’étais guère fait d’illusions non plus. Tu sais,
on m’a invitée à participer parce que je suis une femme, juste pour ça, ils
apprécient qu’il y en ait une à tous leurs meetings, à cause du vote féminin,
et ils auraient voulu qu’il en vienne une importante, mais elles étaient
occupées. Bien sûr. Il y en a si peu, c’est pour ça qu’ils m’ont demandée,
j’étais sous la main… Et pour parler des femmes, juste du thème des
femmes, ils m’ont dit, quel ennui, c’est toujours pareil, comme si je n’avais
pas d’idées sur tout, comme eux… C’est pour cela que j’ai parlé deux fois
plus longtemps et de ce que j’ai voulu. Eh bien oui, il ne manquait plus que
ça : après avoir supporté ton père à la maison, d’être obligée de continuer à
supporter encore ici. Je le leur ai dit au début, je parle de ce que je veux ou
je ne parle pas… Mais ils, tu sais, n’ont pas trouvé que c’était une mauvaise
idée. J’ai eu beaucoup de succès, c’est vrai. »
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Chaque famille a une armoire fermée pleine à craquer de péchés mortels.
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Le coup d'Etat de 1936 ne triompha que dans les provinces où la garde civile se rangea du côté de la rébellion franquiste. Dans les endroits où ses chefs demeurèrent loyaux (à la République), une répression féroce se déchaîna après la fin de la guerre (civile), qui bénéficierait ensuite d'une couverture légale... Inspirée par la volonté expresse de Francisco Franco, la loi du 12 1940 organisa l'épuration de tous les membres des forces armées qui avaient montré le moindre signe de sympathie, ou même de neutralité, envers les institutions ou les partis républicains avant le soulèvement de 1936, même s'ils avaient ensuite lutté dans le camp des rebelles franquistes. Cette loi dite "des responsabilités politiques" n'eut pas seulement des conséquences pénales, qui allèrent des expulsions pures et simples au mur des exécutions, en passant par la prison et les sanctions économiques. Ainsi, au nom de cette loi, on refusa aux veuves et aux orphelins des gardes civils, fusillés ou emprisonnés, la pension qui leur revenait après le départ forcé du chef de famille quand bien même celui-ci avait cotisé pendant des années à la mutuelle de l'institution.
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La peur avait représenté pour eux un paysage, une patrie, une habitude, une condition invariable que l'on ne remet pas en cause, la vie même.
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On peut toujours ne pas vivre et faire comme si l'on vivait, du moins ici, en Espagne, territoire insensible à la loi de la gravité, à la loi de la cause et de l'effet. C'est un pays où personne ne voit jamais une pomme tomber d'un arbre, car toutes les pommes sont déjà par terre depuis le début et c'est plus pratique, plus sage, plus commode pour tout le monde, tant que les paradoxes les plus élémentaires de l'optique jouent en faveur de celui qui manipule les lentilles...
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Mon père était séduisant, riche, puissant et inculte, comme sont incultes les hommes riches et puissants, non qu'ils ne sachent pas beaucoup de choses, car il les savait, mais parce qu'ils se comportent comme si tout ce qu'ils ignorent n'existait pas, comme si ça ne servait à rien, comme si cela n'avait absolument aucune importance.
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Nos femmes s'ennuyaient dans la queue pour le lait, dans celle pour le pain, pour le charbon. Mais ici ce n'était qu'une autre façon de se battre, parce qu'il fallait le faire et on le faisait, sans cesser, sans se lasser, sans se plaindre, tout ça pour ça (la reddition de Madrid par le colonel Casado suite à un coup d'état militaire). Madrid ne mérite pas cette fin si sale, si laide, si triste et indigne…
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Au moment de l'arrestation des officiers communistes par les socialistes qui voulaient livrer la ville à Franco pour sauver leur peau: "Heureusement que tu ne vois pas ça papa, et heureusement que tu ne le vois pas maman. Heureusement que vous ne savez pas qu'on a arrêté le fascisme pour ça, qu'on s'est battu comme des bêtes, qu'on a creusé tellement de tranchées, ravalé tellement de peurs, supporté tellement de bombes, eu tellement faim, qu'on a enterré tellement de morts pour ça, pour ça, pour ça."
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"Pour les stratèges, pour les politiques, pour les historiens, tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais sur le plan humain, je n’en suis pas si sûr… Nous l’avons peut-être gagnée." Antonio Machado, décembre 1938.
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"Tu es mon fils et tu vas le rester, toujours par-dessus tout. Je sais que cela te semble très grave, mais ça ne l'est pas, je sais que ça ne l'est pas. Le temps mettra chaque chose à sa place, je mourrai et tu regretteras ce que tu m'as dit il y a un moment, mais d'ici-là je n'ai pas l'intention de te perdre."
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La Terre tournait sur elle-même et autour du Soleil juste au-dessus de nos corps nus et enlacés. Au-delà, il y avait tout le reste. Au-delà, il y avait l'hiver, la glace, la neige sale, laide et terreuse, maculée de boue et à moitié fondue sous le pas des gens, beaucoup de gens innocents et coupables, loyaux et traitres, conscients ou non de la blessure que leur pas ouvraient dans les trottoirs glacés de l'avenir de leurs enfants ; de leurs petits-enfants ; un horizon coupable, désolé, différent du paysage astucieusement enveloppé d'un joli papier aux couleurs vives dont ils croyaient hériter un jour. p 560
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Il pensa à la cruauté du sort qu'ils partageaient, un destin qui faisait de la guerre un but heureux, souhaitable, presque un premier front à cette existence insupportable, propre aux bêtes de somme soumises à tirer sur une noria jusqu'à épuisement. Cette existence insupportable, celle des camps et le travail forcé, qui représentait la seule paix possible pour eux, les indésirables rouges espagnols. p 516
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p 234... j’avais songé souvent à l’étrange structure de ma famille -- un groupe uni, compact, et en même temps suspendu au-dessus du vide ; rien derrière, rien sur les côtés, ni grands-parents, ni oncles ou tantes, ni cousins, ni parents d’aucune sorte ; juste nous sept, mon père, ma mère, mes frères et soeurs et moi. Pourquoi en vouloir davantage ? nous avait-on toujours dit.
... il n’existait aucune autre version avec laquelle comparer nos souvenirs, aucune source au-delà de la mémoire capricieuse d’un homme qui aimait toujours nous raconter la même chose, son enfance au village, sa jeunesse dans les glaces de Russie, de Pologne.
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Le regard vague, il contemplait le bleu du ciel de printemps qui n’est pas aussi bleu que celui d’hiver, ni aussi beau que celui d’automne, mais qui laisse flotter sur la ville une tendre promesse, qui se trouble de sentir le craquement de l’air et se renouvelle à chaque seconde. p80
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La voix de Raquel filait une pluie tempérée et paisible, qui glissait sur les vérités, les incertitudes mais elle était capable de chevaucher le temps, de pousser les minutes en avant, d’alléger son poids et de donner au plomb une consistance légère, écumeuse, presque aérienne, comme celle du sirop dont elle me parlait pendant que la pluie de ses lèvres, cette pluie qui la faisait parfois sourire, et parfois moi aussi, et réussissait même le prodige de rendre à certains instants l’écorce craquante et douce des jours où c’était toujours maintenant parce qu’il n’existait qu’un adverbe de temps…
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le ciel est si grand, d’un bleu si profond qu’il méprise la science des adjectifs, un bleu beaucoup plus bleu que le bleu ciel…
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Raquel, les jours, les heures, les minutes, les secondes se définissaient par elle et en fonction d’elle. Il n’y avait que deux moments dans ma vie : ceux que je gagnais auprès d’elle et ceux que je perdais dans un monde qui la proclamait dans tout ce qu’il contenait – les personnes et les objets, les paysages et les bâtiments, l’ombre et la lumière – parce que je la voyais partout et que partout je souffrais de ne pouvoir la regarder. Je dégringolai si vite le long de cette pente que je ne parvins pas à prendre conscience de ma propre vitesse. Et avant de pouvoir me rendre compte de ce qui m’arrivait, ma vie était devenue un peu moins qu’un alibi, un simple emballage qui me permettait de vivre une existence plus grande que la mienne et qui s’appelait Raquel, comme le temps.
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"De tous jeunes Espagnols, qui étaient enfants pendant la guerre et possèdent peu de formation politique, se lancent dans la résistance après la victoire alliée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, convaincus que la défaite de l'Axe entraînera la chute de Franco. Tel est leur espoir. Qui meurt dans les pages de ce livre."
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