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Critiques de Bohumil Hrabal (137)
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Une trop bruyante solitude

Relecture salutaire.



Bohumil Hrabal est un écrivain tchèque tout à la fois très connu et confidentiel. Connu et souvent considéré comme "l'autre" grand écrivain tchèque de la fin du XXe siècle (à côté de Milan Kundera), et confidentiel parce qu'une grande partie de son oeuvre a été publiée initialement sous le manteau, qu'il fut interdit de publication (de 1970 à 1976 puis de 1982 à 1985, me souffle Wikipedia), que certains de ses ouvrages ont été pilonnés. Confidentiel également car, finalement assez peu connus sous nos cieux, les titres de ses livres, et surtout de celui-ci, se transmettaient il y a quelques décennies comme de précieuses confidences. J'ai ainsi eu connaissance de l'existence de cette Trop Bruyante solitude par une amie qui me donnait alors l'impression de se livrer plus que lorsqu'elle m'ouvrait les draps de son lit quelques semaines plus tôt... mais je m'égare. Je dois dire que cette première lecture, il y a environ vingt-cinq ans, m'avait laissé pour le moins dubitatif, et que l'étiquette de "chef d'oeuvre de l'auteur" me semblait pour le moins exagérée.



Qu'en dire aujourd'hui, après cette tardive relecture ? Une oeuvre complexe, imagée, dont il semble clair qu'elle est aussi (mais pas seulement) une attaque féroce contre un régime absurde. Toutefois, la dénonciation est en filigrane : ce n'est jamais simpliste, évident ou transparent, mais plutôt diffus, comme une ambiance qui naîtrait de la confrontation incessante entre une trivialité à la limite de la grossièreté et une poésie indéfinissable. Tous les chapitres ou presque commencent par la même accroche, mais tous apportent une nouvelle pierre à l'édifice, et nous conduisent à l'inéluctable conclusion. Les parallèlles abondent, et, si j'osais, finissent par se croiser, du destin des souris à la guerre des rats, des métaphores obscures à la sombre cave où Hanta, écrasé par son destin, illumine les recoins et quelques instants de ses précieuses trouvailles littéraires, philosophiques ou artistiques.



Inclassable, exigeant, mais aussi salutaire témoignage, ce livre mérite à mon sens le petit effort nécessaire à sa découverte.



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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

« le drame le plus austère est issu de la même substance que le grotesque le plus trivial ».



Bohumil Hrabal (1914-1997) a raconté qu'il avait rédigé “Moi qui ai servi le roi d'Angleterre” en dix-huit jours et d'une seule traite lors de la canicule de l'été 1971 ». Sans doute dans sa taverne favorite, tant ce monologue incroyable, débordant d'imagination et d'humour burlesque, semble totalement déjanté. Mais ne nous y trompons pas c'est aussi une fable douce amère comme une bonne bière. Elle évoque l'histoire de la Tchécoslovaquie des années 20 aux années 60. Publié clandestinement sous samizdat, le livre sera d'abord édité en R.F.A en 1980 avant d'être publié en Tchécoslovaquie à la chute du Mur.

C'est l'histoire d'un petit groom complexé prêt à tout pour devenir millionnaire et posséder un hôtel. Quand enfin son rêve se réalise, il découvre qu'il ne sera jamais admis à la table des grands. L'arrivée des communistes met fin à ses ambitions et le contraint à vivre seul au fin fond de la forêt.

A partir de cette trame toute simple Hrabal bâtit un monologue baroque en cinq épisodes avec pour conteur, un héros à la tchatche intarissable et des personnages secondaires formidables.

L'ascension est pétillante et joyeusement décadente. La descente est terrible et l'humour bien sombre.



« Maintenant que tu es groom chez nous, rappelle-toi bien ceci : tu n'as rien vu, rien entendu ! Répète! " Je répondis donc que dans son établissement , je n'avais rien vu ni rien entendu. Mais le patron de poursuivre , en me tirant l'oreille droite: "Or rappelle-toi aussi que tu dois tout voir et tout entendre! Répète! " Je répétai donc, interloqué, que désormais je verrais tout et entendrais tout. Voilà comment j'avais débuté".



Nous suivons donc d'hôtel de province campagnard en grand-hôtel, de grand hôtel en palace pragois, l'ascension extraordinaire de Jan Ditie, le narrateur aux origines modestes. C'est un enfant naturel, petit, blond aux yeux bleus, très débrouillard et intuitif. Un gamin de quatorze ans bien attachant ma foi sauf qu'il est aussi parfaitement cynique et amoral. C'est le roi de la combine. Il tient cela de sa grand-mère qui l'a élevé. Elle récupérait les sous-vêtements sales que des voyageurs de commerce jetaient par la fenêtre aux bains pour les revendre ensuite aux ouvriers sur les chantiers. Et d'ajouter cette image étonnante « « Parfois, les chemises jetées écartaient soudainement les bras comme un agent de la circulation à une intersection, ou comme le Christ. » le petit groom vend des saucisses à la gare, aux riches étrangers, juste un peu avant que le train ne démarre. Il n'aura évidemment pas le temps de leur rendre la monnaie mais saura courir le long du quai en se lamentant. Jan fait son apprentissage auprès de serveurs et de maîtres d'hôtel tout à fait remarquables et compétents qui lui apprennent à espionner, à voler et à profiter des jolis restes de la riche clientèle bourgeoise venue faire ripaille et se montrer. Il découvre l'Eden, bordel célèbre et y dépense l'argent de ses saucisses sans compter, en couvrant ces dames de pétales de rose. Elles le reconnaissent en ville avec sa belle cravate à pois bleus. Et il peut alors parader dans la rue, ivre de puissance et de gloire. Un énorme représentant en machines à découper le salami hongrois qui l'a vu s'y prendre à la gare, lui permet de contempler sur le parquet ciré de sa chambre, l'étalage fabuleux de ses beaux billets de banque. Bientôt Jan monte à à Prague et accède à l'hôtel de Paris, un splendide palace. Skrivánek le maître d'hôtel au regard d'aigle, le prend sous son aile et lui apprend à bien observer la clientèle internationale pour deviner à son apparence, sa nationalité et son origine sociale. ils parient sur celui qui commandera le dîner et le maître gagne toujours. A Jan qui s'en étonne, Skrivánek lui répond toujours : « parce que j'ai servi le roi d'Angleterre ». Et bientôt l'élève surpassera le maître à l'occasion d'un extravagant banquet en l'honneur de l'empereur d'Éthiopie, le Négus en personne, qui lui permettra d'accumuler un pactole en pourboires et d'arborer fièrement une splendide décoration...







Même si j'ai un peu calé à la fin j'ai lu ce livre exubérant avec gourmandise. Je vous conseille de l'attaquer avec une Kozel bien fraîche à portée de main.

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Une trop bruyante solitude

Dans Une Trop Bruyante Solitude, Bohumil Hrabal nous présente une réflexion poignante sur la puissance salvatrice de la littérature



Hanta, ouvrier dans une usine de recyclage de papiers, écrasant quotidiennement des ouvrages philosophiques interdits (Bible, Talmud, écrits de Lao-Tseu, ...), des reproductions de peintures célébres et une souris de temps à autre



Cultivé malgré lui, passant ses journées à feuilleter ce qu'il devrait détruire, Hanta fait l'apologie de la beauté de la lecture et de l'art, une beauté que pour lui les Hommes n'arrivent plus à percevoir



Hommes qui sont entrés dans une ère où on ne prend plus aucun plaisir à travailler, car la producitivé est maître de toute chose



Hanta vit sa solitude comme une expérience existentielle et transcendante et sa fin est aussi tragique que sublime, c'est un texte court et plein d'humanité



Critique du progressisme totalitaire et du productiviste, Une trop bruyante solitude nous rappelle l'importance de chérir chaque moment de la vie



Note : 📦 / 20
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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

Moi qui ai servi le roi d'Angleterre est la confession burlesque d'un tchèque soucieux de faire oublier ses origines modestes et sa taille qui ne l'est pas moins en "s'élevant" dans la société. Dans ce qui tout d'une logorrhée, le narrateur, avide de promotion sociale et toujours disposé à ce que l'inconcevable devienne pour lui réalité, s'applique, sur un mode furieusement itératif, à raconter sa montée en grade dans le domaine de l'hôtellerie restauration, de simple loufiat à propriétaire d'un hôtel de prestige, Présence d'esprit et opportunisme, talonnette et plastron amidonné pour se hausser du col, ainsi qu'une dose intangible de chance, sont de la plus haute importance pour faire son beurre en Tchécoslovaquie; et louvoyer entre les écueils que sont les revirements d'une histoire qui s'étend du début des années 20 jusqu'au Printemps de Prague, en passant par l'occupation nazie.



Dans ce soliloque alliant goût de l'absurde, grandiloquence et aveux désarmants de détachement des pires turpitudes Bohumil Hrabal façonne, de manière réjouissante et féroce, une prosopopée du destin déroutant d'un pays qui a connu bien des tours et des détours, à travers les aventures d'un personnage qui a tout de la girouette flairant d'où souffle le vent de l'histoire.
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Cours de danse pour adultes et élèves avancés

Ce livre est formidable, loufoque, tendre, cocasse. Sans doute pas le livre le plus connu de Hrabal mais peut-être le plus poétique et charmant. Un vieil homme raconte ses souvenirs à une demoiselle, d'une seule traite (Une seule phrase de 110 pages !), mêlant évocations nostalgiques et moments gaillards. A lire si possible à haute voix, en se laissant porter. Intéressante préface de Milan Kundera.
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Trains étroitement surveillés

L'action de ce roman très court est teinté d'une ambiance très étrange. Tout se passe en temps de guerre, on y trouve beaucoup de soldats, beaucoup d'armes et d'explosifs. A travers une narration cocasse et à la limite de l'absurde on y trouve énormément de souffrance et d'espoir qui nous porte à une fin bouleversante.


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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre

J’ai déjà lu beaucoup de livres de Bohumil Hrabal, qui est un de mes auteurs tchèques de prédilection, et jusqu’ici, mon livre préféré de lui a été « Une trop bruyante solitude ». Je resterai attaché à ce roman qui est pour moi un

« grand » livre important, mais « Moi qui ai servi le roi d’Angleterre » m’a paru indéniablement plus profond encore et je tiens à vivement remercier une amie babéliote de me l’avoir offert ! Ce roman est encore davantage passionnant ! Il a encore plus de force et de charme !



Quand on lit du Hrabal, on sent à chaque page que les humains l’intéressent profondément, et qu’il ne peut rester indifférent à leur sort. Grâce à son génie, il arrive à donner du relief aux êtres simples, à les magnifier, toujours avec beaucoup de fantaisie, de tendresse et de poésie. Il arrive à faire briller ses personnages dans la grande lumière. Bien sûr, il les transforme, et les déforme parfois aussi ! Il les enrichit par son imagination déchaînée, et il arrive à nous transmettre facilement son intérêt pour ses personnages.

Il aime insérer beaucoup d’épisodes comiques dans le courant de sa narration. Les gags, blagues, exagérations et fanfaronnades y sont courants. Avec son style baroque, il arrive à balayer souvent toute moralité, à relier le bien au mal et la cruauté du monde à sa beauté.



Et j’ai bien retrouvé tous ces traits caractéristiques de l’écriture de Hrabal dans ce roman, mais avec encore un cran au-dessus, plus passionnant et plus psychologique ! Je trouve que dans « Moi qui ai servi le roi d’Angleterre » il y a un élan baroque qui nous mène encore plus loin, dans les contradictions et les paradoxes de l’âme humaine, et dans une sorte d’étrangeté énigmatique de notre existence.

Ce livre est un roman initiatique, d’apprentissage à la Vie, et la vie du héros de Hrabal dans ce roman, n’est pas des plus simples ! Au début du livre, le narrateur-héros qui est un jeune garçon de quatorze ans, travaille en tant que groom dans un grand hôtel pragois dans les années vingt. Il est de petite taille, ce qui le gêne et lui donne un sentiment d’infériorité, mais il veut surpasser ce complexe et devenir quelqu’un qu’on admire et que l’on considère. On comprend vite que le narrateur veut goûter pleinement à la vie. Il est malin, et trouve même quelques combines pour s’enrichir petit à petit, en plus de son emploi, en n’hésitant pas à escroquer habilement. Il observe autour de lui tous les notables qui fréquentent cet hôtel. Il veut leur ressembler. Il a envie de jouer au grand seigneur, lui, le petit groom, devenir aussi important qu’eux, il veut à tout prix et rapidement briller en société, amasser beaucoup d’argent pour éprouver une sensation de puissance.

C’est son rêve, c’est ce à quoi il veut parvenir.



Les propos narrés sont assez euphoriques, lyriques. Au fil d’un long monologue, le héros nous fait part de ses rencontres avec les clients de l’hôtel qui lui sont sympathiques, et on a droit à nombre d’anecdotes, amusantes et divertissantes. Comme toujours, on n’est pas en reste avec Hrabal qui aime la palabre et la fantaisie ! Les phrases sont longues, parfois un peu répétitives et en lisant on a comme le souffle coupé, car c’est assez rythmé !

Au gré de ses rencontres, notamment avec des représentants de commerce, il apprend plein de choses nouvelles qui vont lui servir. « L’argent ouvre les portes du monde entier » lui disent-ils. « Il suffit d’attraper les choses par le bon bout. » Grâce à une recommandation, il va accéder à un nouvel emploi dans un hôtel de standing. Et en entendant les conversations de certains clients, il sera très tenté d’aller découvrir l’Eden, un célèbre bordel, situé à proximité. Il y fera l’apprentissage du sexe. Tel un rituel, il va s’y rendre régulièrement chaque semaine. Il y sera à chaque fois avec une prostituée différente. Il y dépensera son argent sans compter. Pour lui, y passer un moment, c’est goûter à l’extase. « L’argent m’avait ouvert les portes non seulement de l’Eden, mais aussi de la considération. »



Puis il va encore gravir une marche dans son ascension sociale en accédant à un nouveau poste dans un hôtel encore plus somptueux de Prague. Suite à une gaffe du 1er garçon de la salle de restaurant, il sera promu à sa place.

Ces péripéties sont amusantes et les descriptions des personnages et des scènes sont cocasses.

Le maître d’hôtel de l’établissement lui dit qu’un jour, il a lui-même servi le roi d’Angleterre, en personne ! Ce maître d’hôtel a un regard très affuté. Il lui donne plein de conseils, notamment celui de bien observer les clients pour jauger leurs capacités financières et évaluer ce qu’ils pourraient se permettre de dépenser… Ce grand hôtel a été choisi pour accueillir le Président de la République en personne avec un hôte étranger à sa table. De grands préparatifs s’annoncent… Le grand Empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié sera là en personne avec sa propre équipe de cuisiniers pour préparer des agapes inoubliables ! Le récit du banquet gargantuesque avec un chameau dont le corps a été farci de deux antilopes, elles-mêmes farcies de dindons, le tout ayant étant embroché par les cuisiniers de l’Empereur est absolument inoubliable ! Notre héros va être apprécié de l’Empereur lui-même, au point qu’il va recevoir de sa part une médaille pour le remercier de son service impeccable ! Avec cette promotion et les pourboires qu’il reçoit régulièrement dans cet hôtel de grand standing, il arrive à déposer beaucoup d’argent en caisse d’épargne ce qui va lui permettre de devenir millionnaire.



Mais bientôt, l’histoire de notre héros arriviste et amoral, va être mêlée à la grande Histoire.

Il a décidé d’apprendre l’allemand et il va rencontrer une jeune Allemande aryenne, Lisa, qui est en fait professeur de gymnastique, infirmière au grade de commandant dans l’armée allemande. Elle va tomber amoureuse de lui. A cette période, les Allemands se sont emparés des Sudètes, et bien sûr les Tchèques détestent les Allemands ! Et comme il s’est entiché d’une allemande, il se voit perdre son emploi à l’hôtel. Mais une nouvelle place de garçon et de futur maître d’hôtel l’attend du côté de Cheb (une ville tchèque proche de la frontière allemande) où le père de Lisa est restaurateur !

Son amoureuse est fière de lui expliquer que la région de Cheb est réputée pour son air pur et ses stations thermales, et qu’elle héberge la 1re station européenne d’élevage eugénique de la race humaine ! Et c’est tout un pan de l’Histoire nazie qui défile entre les lignes…

Après avoir pu prouver son ascendance aryenne et germanique puisque son grand-père s’appelait Johann Ditie, et après être passé par une visite médicale devant un major SS et fait des analyses de son sperme, le narrateur est déclaré apte à se marier avec sa jeune amoureuse.

Néanmoins, plus tard, même une fois marié, il ne se sentira pas intégré parmi les officiers SS et de la Wehrmacht qui ont l’air de le considérer toujours comme un « péquenot » tchèque. Et il ne pourra pas s’empêcher lui-même de penser à ses compatriotes tchèques, qui sont alors fusillés par les pelotons d’exécution allemands à Prague, à Brno et dans les autres villes tombées sous la juridiction allemande. L’histoire du village martyr tchèque de Lidice va être évoquée, qui avait subi les représailles des Allemands après l’assassinat du Reichprotektor Heydrich.



Avec Lisa, notre narrateur aura un fils, qui malheureusement s’avèrera débile et devra être interné dans un asile d’enfants aliénés. Et puis l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Lisa mourra décapitée sous les bombes. Son mari va retrouver contre elle, sous son corps, une mallette contenant des timbres-poste de très grande valeur. Avec la vente de ces timbres, notre narrateur va faire construire un hôtel de grande classe, qui va attirer des gens fortunés !

Mais les feux de la bonne époque pour le narrateur devenu millionnaire vont bientôt s’éteindre, avec l’arrivée au pouvoir des communistes… En février, les échos du Coup de Prague, parviennent déjà en sourdine aux oreilles des millionnaires, et petit à petit, ces gens fortunés reçoivent une convocation de la part des autorités. Tous les droits de propriété vont désormais passer entre les mains du peuple.

Et là, Hrabal avec son imagination débordante a le don de transformer des situations affligeantes, en situations inversées, improbables ! Le narrateur qui veut toujours et encore faire partie des personnes reconnues millionnaires, au lieu de conserver sa liberté, va se rendre au centre d’internement et se faire noter sur le listing, alors que son nom n’était pas mentionné ! Mais dans la prison dans laquelle il va se retrouver, il ne subira aucune brimade, loin de là ! Le commandant du centre est « un bon bougre gentil comme tout. » Les millionnaires prisonniers n’y manquent de rien, mangent comme quatre à chaque repas, peuvent voir leurs épouses, et même les anciennes entraineuses de bar y vont être accueillies à bras ouverts ! « Au bout d’un mois, tous les internés étaient déjà bien bronzés puisqu’ils prenaient tout le temps des bains de soleil sur les côteaux du jardin. » C’est la vie de château ! C’est totalement baroque !



Les situations sont baroques et les lieux aussi. Ce centre d’internement que détient et utilise le pouvoir communiste, est un ancien institut d’études théologiques où trônent encore partout des crucifix et des tableaux de la vie de tous les saints ! Mais cette « période agréable que certains eussent aimé vivre à l’infini » va avoir une fin : le centre d’internement va être dissous. Un avis officiel de Prague laissait au narrateur le choix entre un internement à la prison de Pankrac (réputée pour ses sévices) ou l’engagement dans une brigade de travaux imposés. Et notre narrateur va choisir une affectation de cantonnier à l’entretien d’une route en pleine campagne loin de tout. Pour le narrateur, les félicitations, la considération d’autrui envers lui, vont devenir le cadet de ses soucis. Là, il n’a plus à se soucier de quelque statut que ce soit !



Ce roman est remarquable par son comique absurde, et avec sa verve burlesque, il est totalement jouissif. Et en même temps, son récit tragi-comique qui contient beaucoup de scènes extraordinaires, étonnantes, et irrévérencieuses, nous surprend ! Le personnage du héros qui possède la faculté de traverser les cauchemars de l’Histoire sans cesser de rêver est original. C’est un personnage ambigu, à la psychologie dérangeante. Avec ce roman corrosif, Hrabal nous amène à méditer sur le sens à donner à notre existence humaine. A la fin du récit, quand le héros vieillissant se trouve isolé loin du monde, est-ce pour lui la paix, le renoncement, l’acceptation du destin ou bien le désespoir de la solitude et de l’abandon ? En tout cas il a enfin le temps de se retourner vers son étrange et absurde trajectoire de vie pour en faire le récit !



« Les gens du village avaient forcé la barrière de neige pour venir jusqu’à moi et la frayeur que je leur avais inspirée confirmait que j’étais décidément un spécimen rare, l’élève du maître d’Hôtel Skrivanek qui a servi le roi d’Angleterre ; et moi j’ai eu l’honneur de servir l’Empereur d’Ethiopie qui m’a distingué pour toujours en me décernant cette décoration, ainsi j’ai eu la force d’écrire pour les lecteurs cette histoire, d’inconcevable devenu réalité. »



Dommage que l’on ne puisse donner que cinq étoiles ! Ce véritable chef d’œuvre de la littérature tchèque du XXe siècle en mérite bien davantage !

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Une trop bruyante solitude

« Une trop bruyante solitude », un des chefs-d’œuvre de Bohumil Hrabal, est une œuvre tragi-comique et une parabole qui dénonce les régimes totalitaires.

« Tous les inquisiteurs du monde brûlent vainement les livres : quand ces livres ont consigné quelque chose de valable, on entend encore leur rire silencieux au milieu des flammes, parce qu’un vrai livre renvoie toujours ailleurs, hors de lui-même ».

Le roman, sous la forme d’un monologue, nous raconte l’histoire d’Hanta, un presseur de papier alcoolique qui vit seul et qui travaille dans une usine de recyclage de papiers. Depuis 35 ans, il pilonne et détruit des livres et papiers divers à l'aide d'une presse mécanique dans une cave humide infestée de souris. Mais il sauve régulièrement de nombreux chefs-d'œuvres de la littérature ou de la philosophie qu’il refile sous le manteau à des passionnés ou qu’il ramène chez lui en si grand nombre qu’ils forment des tours prêtes à s'effondrer à chaque instant, dans chaque pièce, jusqu’au-dessus de son lit, où il risque d’être écrasé et enseveli. Quand il ne peut sauver du pilon les trésors de notre culture mondiale, il pense longuement aux éléments qui vont constituer ses ballots car il veut offrir une sépulture unique et digne aux œuvres qu’il chérit. Il n’est donc guère productif ou du moins pas suffisamment ce qui lui attire les foudres de son supérieur.

« … lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, comme un petit verre de liqueur jusqu'à ce que l'idée se dissolve en moi comme l'alcool; elle s'infiltre si lentement qu'elle n'imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu'aux racines de mes veines (…) ».

Hanta, féru de littérature, à la fois sauveur mais aussi bourreau des livres, rompt sa solitude grâce à la lecture. Il vit avec ses souvenirs et avec les auteurs des livres, fantômes avec qui il échange.

La critique du régime communiste est implicite. Hanta ne se plaint jamais mais Hrabal nous fait ressentir l’atmosphère oppressante d’un régime qui méprise l’art et broie les individus comme les livres. La guerre est d’ailleurs présente (son absurdité particulièrement) via celle que se livre les rats dans les égouts de Podbaba.



« Une trop bruyante solitude » (d'abord diffusé en 1976 à Prague sous forme de publication clandestine) est une critique virulente des sociétés totalitaires. C’est le livre qui a valu au grand écrivain tchèque le plus de notoriété. Il a été adapté au cinéma et au théâtre.

C’est le deuxième livre de Hrabal que je lis (après « Trains étroitement surveillés ») et sa réputation de chef-d’œuvre n’est absolument pas usurpée. On y retrouve grotesque et humour noir. Ce texte est très fort, j’ai encore une fois adoré. Prochaine lecture de Hrabal : « Moi qui ai servi le roi d’Angleterre ».
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Trains étroitement surveillés

Bohumil Hrabal est l’un des plus grands écrivains tchèques du XXème siècle.

« Trains étroitement surveillés » publié en 1965 est le roman qui m’a été fortement recommandé pour découvrir son œuvre singulière. Il inspira le film éponyme de 1966, réalisé par Jiří Menzel, , un des représentants de la Nouvelle Vague tchèque (film qui reçut l’Oscar du meilleur film étranger en 1968).

Nous sommes dans une petite gare de Bohême sous occupation allemande, en 1945 alors que la fin de la guerre approche.

Nous y suivons Milos Hrama (le narrateur), jeune homme naïf et maladroit, stagiaire des chemins de fer de l’État qui reprend son poste après une tentative de suicide. Autour de lui, gravitent des personnages pittoresques et hauts en couleur. Notamment l’adjoint du chef de gare, M.Hubicka qui est le centre de l’attention après avoir couvert de tous les tampons du bureau les fesses d’une télégraphiste lors d’une garde de nuit. L’affaire fait grand bruit. Quant au chef de gare, il passe son temps à nourrir ses pigeons.

Si cette petite gare vit au rythme des trains qui passent, la guerre est un arrière plan (rappelé constamment par ces trains ) qui va finir par s’imposer sur le devant de la scène. Mais même en arrière plan, l’horreur de la guerre ne se laisse jamais oubliée.



« Trains étroitement surveillés » est un mélange singulier et très réussi de tragique, de poésie, de surréalisme et de burlesque mélancolique. Hrabal crée un contraste saisissant en alliant dérision, absurdité tragi-comique et événements tragiques.

Ce court roman d’apprentissage n’a rien d’un roman de gare (vous me pardonnerez cette facilité 😁), c’est un véritable bijou littéraire et un moment fort de lecture.

Attention, c’est un roman dur et certaines scènes sont très éprouvantes.
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Une trop bruyante solitude

Un personnage qui considère que mettre des livres au pilon est un crime contre l'humanité et qui a du mal à se frayer un chemin dans son appartement envahi par les livres sauvés, ça peut déjà éveiller votre intérêt. Si j'ajoute sa déploration du manque de curiosité de ses contemporains pour la culture classique, c'est sans doute un plus.

Mais attention ! Ce livre n'est pas un Farenheit 451 tchèque : il n'y a pas de gitanes délurées ni de scatologie chez Bradbury. Et puis les personnes qui tentent de sauver les livres ici sont des doux dingues dont l'entreprise est vouée à l'échec, quand ce n'est pas carrément pour mettre les livres au tombeau.

PS : aucune des fins alternatives présentées dans la collection Pavillons chez Robert Laffont n'arrive à la cheville de la fin stupéfiante de beauté et de cruauté retenue dans toutes les éditions.
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Une trop bruyante solitude

Aussi court que puissant. Une lecture sous pression, tendue, on avance presque en sueur. Pour qui aime les livres ce petit bijou de lucidité amère est à lire de toute urgence. Un héros inqualifiable que l’on observe dans sa métamorphose et dont on voit très vite la destinée : cela ne gâche rien au contraire, le final n’en est que plus beau. Superbe !
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La petite ville où le temps s'arrêta

Cela fait un moment qu’« Une trop bruyante solitude » de Hrabal figure dans ma pile à lire. En croisant ce roman-ci à la bibliothèque, je me suis dit que ça serait toujours une première rencontre avec l’auteur.



Le narrateur est un jeune garçon qui essaie d’exister entre un père dur et obsédé par quelques passions, une mère qui veut toujours profiter de sa jeunesse et qui n’a pas vraiment la fibre maternelle, et un oncle braillard et grand gueule, passant de phases de misérable à celle de grand seigneur (pour deux jours) dès qu’il touche sa paie – exister, et si possible, obtenir un peu d’amour au passage.



J’enchaîne involontairement les romans avec des familles dysfonctionnelles en ce moment, et cette nouvelle redite m’a rapidement rebuté. Même si je n’exclus pas de lire un autre roman de l’auteur (ou le même, je reconnais que ce n’était pas le bon moment), je n’ai pas eu non plus de coup de cœur pour l’écriture qui m’aurait permis de poursuivre la lecture.
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Une trop bruyante solitude

Un livre qui interpelle ne serait ce que par son titre ! une fable existentielle qui m'a fait penser à Kafka ,avec moins de talent à mon humble avis.

C'est un livre difficile ,dont les inteprétations peuvent être diverses ... court heureusement! teinté d'humour parfois, comme pour adoucirou tourner en dérision les difficultés de la vie .Un livre qui parle de littérature ,à quel point cell-çi est essentielle ,justement pour continuer à vivre .
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Les imposteurs et autres nouvelles

On entre directement dans ce livre par la nouvelle « Les imposteurs », qui donne son nom à ce recueil de nouvelles. Un journaliste désespéré est contraint de provoquer lui-même des personnes pour avoir quelque chose à écrire ! Il va rencontrer un chanteur d’opérette qui aime beaucoup se vanter, et un employé qui travaille à la morgue comme coiffeur, et qui, portant une blouse blanche, aime se faire passer pour un docteur.

Quand on regarde autour de soi, ne voit-on pas surtout des gens qui confondent ce qu’ils sont avec ce qu’ils auraient voulu être ? Les voilà les imposteurs !

Le journaliste en question, se rend compte qu’il a toujours vu le journalisme comme un art, et qu’il y a plutôt laissé des plumes ! Il va perdre au jeu et sera contraint de miser sur sa dignité humaine !



La nouvelle qui suit, s’enchaîne bien avec la morgue, puisqu’elle s’intitule « L’enterrement », mais alors qu’on imagine que cela va être triste, c’est à une cascade de gags désopilants auxquels on assiste qui font penser à ceux des films de Laurel et Hardy !



Dans la nouvelle « A l’arbre vert », il y a beaucoup d’humour aussi, mais ici il est noir. Le tenancier du café « A l’arbre vert », conte sur un ton badin, un certain nombre d’accidents qui font intervenir un tramway avec différents véhicules et des piétons : « Deux bonnes femmes ! Celle qui était au volant avait voulu faire une queue de poisson, mais elle avait raté son coup et elle avait si bien encastré sa Minor qu’on a dû les sortir toutes les deux avec des crampons. Un petit bout dans un cercueil, un petit bout dans l’autre, pour que ça donne plus ou moins deux bonnes femmes. »



La nouvelle « Le trèfle incarnat » aurait pu s’appeler « Les chemises miraculeuses ». C’est une nouvelle amusante et un brin fantastique. Un certain M. Hendrych, vend des chemises qui semblent protéger le corps de tout danger ! Les personnes qui les portent sont toujours indemnes en cas d’accident. Dans cette histoire intervient aussi un curieux curé si songeur que lors de son cours de catéchisme, il donne l’impression de ne pas être là ! Un curé qui aime boire du vermouth et qui a une force si colossale qu’il arrive à soulever entre ses dents ses deux soubrettes dans une nappe nouée !



En lisant toutes ces histoires baroques de Hrabal, où les blagues, fanfaronnades, et exagérations sont légion, on sent à chaque page que les humains l’intéressent profondément, et qu’il n’arriverait jamais à rester indifférent au sort des nombreuses personnes qui l’entourent, de ces personnages multiples qui peuvent sembler insignifiants au premier abord. Il leur donne du relief, les magnifie par sa fantaisie et par son style poétique. En fait, il arrive à traiter les gens et les accidents de la vie comme des grands événements de l’histoire du monde !



Il faut dire que Bohumil Hrabal a exercé de nombreux métiers, qui lui ont fait partager la vie de simples gens. Il a été successivement magasinier, commis voyageur, ouvrier dans une usine métallurgique, employé de bureau, machiniste, figurant de théâtre, et même chef de gare.

Mais ce serait une erreur de le considérer comme un génie du peuple qui n’a puisé son inspiration que dans la réalité vécue, dans la vie quotidienne des gens du peuple.

Hrabal était aussi Docteur en droit, qui a obtenu son diplôme à l’Université Charles de Prague juste après la Seconde Guerre mondiale. C'était un homme dont les allures plébéiennes cachaient une culture aussi profonde que vaste. Passionné de la philosophie et de l'art, il se considérait comme l'héritier de Kafka, il connaissait en profondeur et admirait Apollinaire, Eliot, Breton, l'art surréaliste et cubiste, il était connaisseur et ami des peintres et graveurs modernes et mettait souvent sa plume au service de leur art. Ceux qui l'avaient entendu parler de la musique étaient étonnés par l'étendue de ses goûts musicaux et l'importance du rôle que la musique, sous ses formes classique et moderne, jouait dans sa vie.



Derrière Bohumil Hrabal, le buveur de bière, l’homme du peuple et l’auteur d'histoires gaillardes, il y a aussi un grand intellectuel dont les romans, contes et essais, ont été non seulement nourris par la vie quotidienne et l'imagerie populaire, mais sont aussi profondément enracinés dans la culture occidentale, un intellectuel qui partageait les préoccupations des grands esprits de son temps. Les dignitaires de l'Université de Padou qui l'ont nommé Docteur honoris causa ont mis en relief par leur geste justement cet aspect de la personnalité de Hrabal.



Je vous laisse découvrir les nombreuses autres nouvelles de ce livre. Il y en quinze au total.

Toutes regorgent de ces petits épisodes, de ces gags irrésistibles, qui nous font rire parfois un peu contre notre gré, car il s’agit la plupart du temps de l’humour noir. Mais jamais cependant ces gags ne sont gratuits. Ils finissent par dévoiler la nature des faits, la réalité sous-jacente, l’étrangeté assez énigmatique de notre existence.



Toute l’œuvre de Bohumil Hrabal est une ode à la joie d’un homme et d’une pensée qui se découvrent libres, malgré et contre les barrages dont on a pris soin de les entourer.

Notons qu’il en faut souvent peu pour être heureux, peut-être suffit-il même, tout simplement, de prendre la vie du bon côté, comme elle vient et se présente à nous.

D’ailleurs, pour illustrer ce propos, je trouve que cette phrase tirée de la nouvelle « Les imposteurs » représente bien ce que l’on peut appeler un petit bonheur fugace :

« Monsieur Chlumecky, le patron du café U Zeleneho Stromu (A l’arbre vert), dont la plus grande joie était au réveil de se servir sa première bière… » Une manière effectivement de constater qu’il en faut peu, et même très peu, pour être heureux !



Ce recueil de nouvelles me paraît être le livre idéal pour quelqu’un qui n’a pas encore fait connaissance avec les récits improbables et les personnages facétieux de Bohumil Hrabal.

Je lui accorde 4/5.

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Une trop bruyante solitude

Une trop bruyante solitude/Bohumil Hrabal

Il est dit que ce petit livre est un cri de révolte lancé à l’assaut des sociétés totalitaires. Soit !

Cependant l’histoire ahurissante de cet homme, le narrateur, ouvrier depuis trente-cinq ans dans une usine qui détruit les livres, les gravures et les tableaux pour les recycler en papier d’emballage ou d’autres livres, est assez hermétique.

Bien sûr c’est un déchirement au propre et au figuré de devoir passer à la découpe la Bible, le Talmud, Lao-Tseu, Hegel et Nietzsche entre autres. Mais d’une humeur égale notre homme tel Sisyphe poussant son rocher détruit des montagnes de livres…, soliloque, boit de la bière pour oublier qu’il détruit la culture…etc, jusqu’à n’en plus pouvoir !

Cette fable est relativement bien écrite mais reste assez difficile d’interprétation.

Certes c’est une réflexion profonde sur une société barbare et absurde, un peu comme le monde de Kafka mais en moins prenant.

Mais enfin, heureusement que l’ouvrage ne fait pas 500 pages sinon je ne serais pas allé au bout. ! L’ambiance est nauséeuse et sordide et l’ennui vous guette si vous n’y prêté garde.

Quelques jolies phrases cependant :

« Moi, quand je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool. »

« Ma tête dont les cheveux se sont tous consumés, c’est la caverne d’Ali Baba, et je sais qu’ils devaient être encore plus beaux, les temps où la pensée n’était inscrite que dans la mémoire des hommes. En ces temps là, pour compresser des livres, il aurait fallu presser des têtes humaines. »

Notre narrateur n’hésite pas à sauver des monceaux de livres à l’insu de son supérieur qui lui reproche son manque d’ardeur et de rendement, ceux de Kant notamment dont il cite sa phrase fétiche :

« Deux objets emplissent ma pensée d’une admiration sans cesse nouvelle et croissante…le firmament étoilé au dessus de moi et la loi morale qui est en moi. »

Il fait chaque jour son choix et épargne Camus et Leibniz, Confucius etGoethe, Gauguin et Erasme de Rotterdam.

Pour son amour évident des livres, je respecterai l’écrivain Hrabal et mettrai trois étoiles.

Mais si vous voulez lire ce livre, prenez votre courage à deux mains durant trois heures.

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Les souffrances du vieux Werther

Je vais l'enoncer a la Magritte: ceci n'est pas un livre. Contrairement a Magritte je vais expliciter: ceci est un cabinet de curiosites. Un melange de tout et de n'importe quoi, sans ordre apparent, qui finit par susciter de l'interet, comme un petit musee d'engins d'autrefois, ici une relation d'attitudes d'autrefois, de contenances, de gesticulations, d'exploits si vous m'y poussez, pour le moins extravagants, racontes par un barjo completement givre avec beaucoup de truculence.



Hrabal retranscrit les souvenirs que lui a dicte un de ses oncles, les peripeties de sa vie au debut du XXe siecle, sous l'empire austro-hongrois. Retransmis tels quels, dans le langage epice et caustique de l'oncle, sautant du coq a l'ane, melangeant les histoires, les lieux et les epoques. Hrabal se permet deux rajouts: une sorte de premier chapitre ou il raconte les rapports qu'il a eu, jeune, avec son vieillissant oncle, ecrit en 1949, et un avertissement au lecteur, date de 1981. Il y avoue que, s'etant rendu compte que “ces histoires qui n'avaient ni pied ni tete possedaient en fait leur propre ordre", il en a utilise certains elements pour son livre Cours de danse pour adultes et eleves avances. Et il nous confie son admiration: “Mon oncle Pepin avait un don que possedent aussi les voyantes et les sorcieres, grace a sa voix il pouvait soigner et guerir, dissiper les preoccupations et egayer la vie" […] “Il y avait en lui quelque chose des hassidim ingenus, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires ou l'on trouve de tout, ou tout est present, comme ici".



Que raconte cet oncle? Ses constantes deambulations dans les diverses provinces austro-hongroises, ses peripeties guerrieres, ses bagarres (et celles d'autres), ses amourettes (ou plutot ses conquetes et ses esquives des qu'il s'agit d'officialiser). Il est tres content de sa vie et ne cache rien. Il a fait la guerre en Italie (la bataille de Monte Grappa) et sur le front russe (les russes jetant leurs armes au cri de “Austrakou nepoutchai!”), il a chante “Wieder heimat wieder heimat" derriere Konrad von Hotzendorf (le chef d'etat-major austro-hongrois), c'est un heros. “Nous etions des heros parce que les russes etaient quatre fois plus nombreux et nous les avions chasses, oui, quels heros, quand ca a mal tourne nous avons chie dans nos frocs exactement comme ceux que nous avions en face". Et la guerre a aussi ses bons cotes: on peut payer les putes avec un quignon de pain.



En temps de paix il passe d'un metier a l'autre, d'une ville a l'autre, d'une amie a l'autre. Et il prodigue ses avis sur tout. le travail? Les boulangers ont interet a bien se laver les mains, les cordonniers en revanche peuvent se gratter le cul tant qu'ils veulent. L'education? “Comenius disait deja que chaque ecole doit avoir son gourdin" (Oui, oui, Comenius, il a son instruction. Il cite aussi, ou rappelle, les grands auteurs tcheques, Bozena Nemkova, Havlicek, Nejedly, Karafiat. Ils ne vous disent rien? normal, creusez la wikipaedia). La musique? “Strauss, l'ami de Schrammel, quant on lui presenta la symphonie Jupiter de Mozart, avoua qu'il ne comprenait rien, tant le pentagramme etait plein de cles de toutes sortes". “En Amerique on garde les noirs pour la musique, et nous nous demandons: c'est en cela que consiste la democratie?”. “Smetana etait un esclave, un pauvre homme qui s'efforcait d'ameliorer la vie spirituelle de cette stupide nation, c'etait un saint, comme notre bon Dvorak, ce ne furent que tourments jusqu'a ce qu'il reussisse a s'echapper de sa condition d'apprenti boucher pour devenir un genie". Les temps qui changent? “Avant dans les tavernes les gens pissaient dehors alors qu'aujourd'hui elles ont des latrines en ciment, mais par contre il y avait de la boisson partout et de la charcuterie et tout ce qu'on voulait, pendant que de nos jours il n'y a rien, ce qu'il y a c'est contre des coupons, et il arrive que le prix vous enleve la faim".



Et maintenant mes gloses, mon exegese: toute cette logorrhee est en fait l'aboutissement de ce que certains commentateurs talmudiques ont appele flux de conscience Joycien. L'exteriorisation du monologue interieur du petit peuple tcheque. Et n'en deplaise a tous ceux qui se sont laisses bourrer le crane par les sbires de l'inquisition universitaire, ce livre prouve qui est le veritable inspirateur de Le cru et le cuit, l'oeuvre qui fit la gloire d'un mythologique vendeur de jeans: Hrabal utilise un langage tres cru mais son livre est cuit a point. Enfin, a point selon de vieilles recettes tcheques, des lecteurs non avertis risquant de s'y casser les dents.

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La petite ville où le temps s'arrêta

Bohumil Hrabal ici nous régale de ses souvenirs d’enfance et il en a des souvenirs et des plutôt hilarants. Avec une naïveté toute enfantine il nous raconte sa famille de pieds nickelés dont les membres mâles sont tous plus ou moins atteints de troubles d'humeur

Le papy acariâtre et bipolaire qui casse son mobilier Sa femme, ainsi que la bonne d’ailleurs, savent s’éclipser au bon moment et revenir quand papy a fini de faire son petit bois. Le papa bon bougre mais qui a aussi hérité d’une partie du caractère du papy et qui brandit ombrageusement sa clé à mollette, aimerais voir son fiston devenir quelqu’un et c’est mal parti car ce dernier fréquente les bars de matelots

Et il y a le tonton Pepi, véritable OVNI, mâtiné de Popeye et du désossé du moulin rouge, de Don Quichotte et de Bukowski, Don Juan bien membré tombeur de ces dames qui alterne périodes de comportements dépressifs et de phases hypomaniaques dont les frasques éclaboussent la famille mais qui met, indéniablement, une ambiance du tonnerre dans le quartier



Ah les week-end passés sous la voiture à faire de la mécanique avec papa

Ah le french cancan de l’oncle Pepi et ses conseils en hygiène sexuelle partagés largement et gracieusement avec les dames du boxon entre deux grands écarts

On rit beaucoup de cette bande d’énergumènes mais quand la vieillesse approche la chute n’en est que plus dure

Non Bohumil Hrabal n’est pas sérieux mais il a beaucoup d’imagination

D’autre part il sait souffler le chaud et le froid et nous fait passer du rire aux larmes. En inversant son monde il devient pathétique. Une belle qualité pour un écrivain d’associer le rire et le drame les deux mamelles de l’être slave d’Europe centrale.

On a apprécié le rythme soutenu des facéties de la famille, peu de temps mort, ainsi que la diversité des gags et on se dit qu’il n’est pas possible que tout cela soit inventé et sorti de la cervelle de Hrabal (ou alors l’inverse…) Les états d’âmes par contre sont bien slaves et on apprécie que le temps se soit arrêté sur ces êtres d’exception!

Un Hrabal égal à lui-même
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La petite ville où le temps s'arrêta

Je trouve à ce livre des parentés à toute une série d'auteurs et d'origines très diverses... le point commun ça doit être... moi... et ce que j'apprécie et aime profondément. A la fois n'importe quoi, mais touchant, drôle, pathétique, sensible, grotesque, une certaine impudicité ou absence de tabou, ou iconoclaste, où quelque chose est là ou presque, mais sans projet véritable.

On ne sait pas non plus bien trop ce que ça raconte, ce sont des éléments d'une vie, de quelques années de vie "quotidienne".

La routine : faites-moi rire.
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La petite ville où le temps s'arrêta

Les souvenirs d’enfance des écrivains slaves s’avèrent particulièrement croustillants . Ceux de Bohumil Hrabal ne manquent pas à la règle .

Il passe son enfance avant la deuxième guerre , à Nymburk , une paisible bourgade de province où son père est gérant d’une brasserie . Entre deux frères fantasques , le père gérant et l’oncle ouvrier, l’un bricoleur emmerdeur et massacreur de montres à ses heures enragées , l’autre hâbleur céleste et jongleur entre grande vie et misère, auxquels s’y ajoute une série de gais lurons légèrement cinglés, tendres et mélancoliques, il s’initie à un regard halluciné sur la vie quotidienne.

Ce livre infesté d’anecdotes truculentes, où le burlesque emporte sur la tristesse, exhale des effluves de nostalgie pour l’insouciance d’une époque révolue. Un boucher qui exhale des effluves de thé ( le nom qu’il donne au rhum 😁), une bouchère pompette à poil dans un contexte bacchanale vont achever ce tableau triste et désarmant.
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Trains étroitement surveillés

Trains étroitement surveillés est un court récit, presque un huis clos, qui a l'originalité de se dérouler essentiellement dans une petite gare de Bohême pendant la seconde guerre mondiale.

Nous sommes en 1945 et l'armée du 3ème Reich semble ne plus être que l'ombre d'elle-même, mais vous le savez comme moi, une bête à l'agonie, en déroute, n'est jamais aussi dangereuse que lorsqu'elle est aux abois. Les Allemands savent-ils alors qu'ils ont déjà perdu la guerre ?

Pourtant ils continuent de faire transiter par cette gare des Trains étroitement surveillés autant par eux que par les partisans alentour...

Nous faisons la connaissance de quelques personnages pittoresques qui composent le personnel de cette gare, à commencer par le narrateur, le stagiaire, un jeune garçon très naïf, Milos Hrma, qui possède encore la virginité des premiers émois amoureux et dont la vexation d'un coeur épris pour la jeune et belle contrôleuse Macha n'a rien à envier au jeune Werther. Tout ça à cause d'une éjaculation précoce ! Hé oui, il existe aussi des trains qui partent avant l'heure et ce n'est parfois guère mieux que ceux qui arrivent en retard...

Il y a bien sûr le chef de gare, personnage touchant du haut de son quintal et de son nom à particule, - M. le baron Lansky de la rose, qui cultive une passion éperdue pour ses pigeons qui roucoulent dans le colombier tout près et qu'il bichonne toute la journée comme si c'étaient ses propres enfants. Il en oublierait presque les trains qui passent dans sa gare... Gare à sa prochaine promotion qu'il attend avec tant d'impatience !

Mais le plus croquignolesque de tous est sans doute l'adjoint au chef de gare, Hubicka, préposé à la sécurité qui, une nuit de garde passée avec une jeune télégraphiste, se retrouva à la faveur d'un jeu coquin pour briser l'ennui, à tamponner frénétiquement, - je n'ose pas dire à un train d'enfer, l'arrière-train de cette belle callipyge des chemins de fer d'État avec le tampon de la gare, la date du cachet faisant même foi...

Cet événement sera marquant dans tous les sens du terme et mettra en émoi toute la hiérarchie ferroviaire jusqu'au chef de district. C'est peu de dire que les ambitions du chef de gare, qui rêvait de devenir inspecteur des chemins de fer d'État, sont dès lors quelque peu compromises...

Ce récit qui tient à certains moments de la fable burlesque, regorge de petites scènes cocasses de ce genre, non pas pour faire oublier les affres de la guerre, mais pour les inviter dans la narration sous la forme d'une tragi-comédie.

Il y a des scènes poétiques et touchantes, très imagées, habitées par des personnages attachants que je ne suis pas prêt d'oublier. Il y a aussi une tristesse qui traverse les pages et nous étreint. C'est la guerre mille fois vue, mille fois écrite, dite d'une autre manière...

Non, je n'oublierai pas la générosité de cette jeune Tyrolienne, Viktoria, qui a le coeur sur la main et la main prête à aider ce jeune stagiaire à faire une entrée victorieuse et solennelle dans la grande vie.

L'horreur de la guerre n'est pas décrite ici à gros coups de panzers, mais subtilement, par quelques détours emplis de fantaisie et de poésie, qui rendent ce théâtre d'un monde en perdition empli d'humanité.

Il souffle aussi dans cette gare perdue au milieu de ce paysage solitaire de Bohême, un esprit de résistance, mêlant l'irrévérence au désespoir. Comment alors ne pas voir une forme de satire déguisée à l'égard de tous les pouvoirs totalitaires, à commencer par celui qui dirigeait la Tchécoslovaquie de l'époque où Bohumil Hrabal écrivait ce récit ?

Vous l'aurez compris, Trains étroitement surveillés est à l'opposé des romans de gare. C'est pour moi un petit chef d'oeuvre littéraire qui m'a fait découvrir un grand auteur tchèque, Bohumil Hrabal.

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