On entre directement dans ce livre par la nouvelle « Les imposteurs », qui donne son nom à ce recueil de nouvelles. Un journaliste désespéré est contraint de provoquer lui-même des personnes pour avoir quelque chose à écrire ! Il va rencontrer un chanteur d'opérette qui aime beaucoup se vanter, et un employé qui travaille à la morgue comme coiffeur, et qui, portant une blouse blanche, aime se faire passer pour un docteur.
Quand on regarde autour de soi, ne voit-on pas surtout des gens qui confondent ce qu'ils sont avec ce qu'ils auraient voulu être ? Les voilà les imposteurs !
Le journaliste en question, se rend compte qu'il a toujours vu le journalisme comme un art, et qu'
il y a plutôt laissé des plumes ! Il va perdre au jeu et sera contraint de miser sur sa dignité humaine !
La nouvelle qui suit, s'enchaîne bien avec la morgue, puisqu'elle s'intitule « L'enterrement », mais alors qu'on imagine que cela va être triste, c'est à une cascade de gags désopilants auxquels on assiste qui font penser à ceux des films de Laurel et Hardy !
Dans la nouvelle « A l'arbre vert »,
il y a beaucoup d'humour aussi, mais ici il est noir. le tenancier du café « A l'arbre vert », conte sur un ton badin, un certain nombre d'accidents qui font intervenir un tramway avec différents véhicules et des piétons : « Deux bonnes femmes ! Celle qui était au volant avait voulu faire une queue de poisson, mais elle avait raté son coup et elle avait si bien encastré sa Minor qu'on a dû les sortir toutes les deux avec des crampons. Un petit bout dans un cercueil, un petit bout dans l'autre, pour que ça donne plus ou moins deux bonnes femmes. »
La nouvelle « le trèfle incarnat » aurait pu s'appeler « Les chemises miraculeuses ». C'est une nouvelle amusante et un brin fantastique. Un certain M. Hendrych, vend des chemises qui semblent protéger le corps de tout danger ! Les personnes qui les portent sont toujours indemnes en cas d'accident. Dans cette histoire intervient aussi un curieux curé si songeur que lors de son cours de catéchisme, il donne l'impression de ne pas être là ! Un curé qui aime boire du vermouth et qui a une force si colossale qu'il arrive à soulever entre ses dents ses deux soubrettes dans une nappe nouée !
En lisant toutes ces histoires baroques de Hrabal, où les blagues, fanfaronnades, et exagérations sont légion, on sent à chaque page que les humains l'intéressent profondément, et qu'il n'arriverait jamais à rester indifférent au sort des nombreuses personnes qui l'entourent, de ces personnages multiples qui peuvent sembler insignifiants au premier abord. Il leur donne du relief, les magnifie par sa fantaisie et par son style poétique. En fait, il arrive à traiter les gens et les accidents de la vie comme des grands événements de l'histoire du monde !
Il faut dire que
Bohumil Hrabal a exercé de nombreux métiers, qui lui ont fait partager la vie de simples gens. Il a été successivement magasinier, commis voyageur, ouvrier dans une usine métallurgique, employé de bureau, machiniste, figurant de théâtre, et même chef de gare.
Mais ce serait une erreur de le considérer comme un génie du peuple qui n'a puisé son inspiration que dans la réalité vécue, dans la vie quotidienne des gens du peuple.
Hrabal était aussi Docteur en droit, qui a obtenu son diplôme à l'Université Charles de Prague juste après la Seconde Guerre mondiale. C'était un homme dont les allures plébéiennes cachaient une culture aussi profonde que vaste. Passionné de la philosophie et de l'art, il se considérait comme l'héritier de Kafka, il connaissait en profondeur et admirait
Apollinaire, Eliot, Breton, l'art surréaliste et cubiste, il était connaisseur et ami des peintres et graveurs modernes et mettait souvent sa plume au service de leur art. Ceux qui l'avaient entendu parler de la musique étaient étonnés par l'étendue de ses goûts musicaux et l'importance du rôle que la musique, sous ses formes classique et moderne, jouait dans sa vie.
Derrière
Bohumil Hrabal, le buveur de bière, l'homme du peuple et l'auteur d'histoires gaillardes,
il y a aussi un grand intellectuel dont les romans, contes et essais, ont été non seulement nourris par la vie quotidienne et l'imagerie populaire, mais sont aussi profondément enracinés dans la culture occidentale, un intellectuel qui partageait les préoccupations des grands esprits de son temps. Les dignitaires de l'Université de Padou qui l'ont nommé Docteur honoris causa ont mis en relief par leur geste justement cet aspect de la personnalité de Hrabal.
Je vous laisse découvrir les nombreuses autres nouvelles de ce livre. Il y en quinze au total.
Toutes regorgent de ces petits épisodes, de ces gags irrésistibles, qui nous font rire parfois un peu contre notre gré, car il s'agit la plupart du temps de l'humour noir. Mais jamais cependant ces gags ne sont gratuits. Ils finissent par dévoiler la nature des faits, la réalité sous-jacente, l'étrangeté assez énigmatique de notre existence.
Toute l'oeuvre de
Bohumil Hrabal est une ode à la joie d'un homme et d'une pensée qui se découvrent libres, malgré et contre les barrages dont on a pris soin de les entourer.
Notons qu'il en faut souvent peu pour être heureux, peut-être suffit-il même, tout simplement, de prendre la vie du bon côté, comme elle vient et se présente à nous.
D'ailleurs, pour illustrer ce propos, je trouve que cette phrase tirée de la nouvelle « Les imposteurs » représente bien ce que l'on peut appeler un petit bonheur fugace :
« Monsieur Chlumecky, le patron du café U Zeleneho Stromu (A l'arbre vert), dont la plus grande joie était au réveil de se servir sa première bière… » Une manière effectivement de constater qu'il en faut peu, et même très peu, pour être heureux !
Ce recueil de nouvelles me paraît être le livre idéal pour quelqu'un qui n'a pas encore fait connaissance avec les récits improbables et les personnages facétieux de
Bohumil Hrabal.
Je lui accorde 4/5.