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Citations de Charif Majdalani (183)


La bêtise, l’égoïsme et l’incompétence sont sans doute ce qui conduit le monde bien plus que la lucidité, la sagesse ou l’intelligence.
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En ce lieu où je me trouvais à ce moment, soudain et malgré la chaleur et l’inconfort, était ravivée à mon insu ma nostalgie ancienne et jamais formulée pour une vie hors de l’Histoire et des événements qu’elle secrète, et je me dis alors que tous les lieux où le temps semble s’annuler dans la répétition de lui-même sont ce que l’on rêve sous le nom de paradis, cet endroit où plus rien n’arrive, où l’on est livré à la pure contemplation du mystère de l’existence du monde. Je me rendis compte que j’avais soudain envie que disparaisse tout ce pour quoi j’étais là, et que je n’aie plus rien à faire qu’à demeurer face au spectacle immuable des choses et de leur beauté.
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Lorsque nous avons dépassé les oliviers, marchant dans les herbes sèches qui cachaient parfois les restes de sillons durcis, en direction des ruines d’un petit cabanon que j’aurais envie de faire restaurer, il m’a demandé s’il était envisageable que je lui paye en cash.
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.....la démocratie aurait pu être une certaine forme, et la plus réussie, de fin de l’Histoire. Sauf qu’elle aussi porte des contradictions internes qui la minent, et en particulier la liberté d’expression qui est intrinsèque à son être et simultanément le poison qui l’emportera, parce que l’on ne peut brider la liberté d’expression sans aller contre le principe de démocratie, et qu’on ne peut la laisser totalement débridée sans qu’elle permette que s’expriment les démagogues qui flattent les plus bas instincts de l’homme et sa bêtise.
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.....l’idée des mouvements de fond, invasions ou transformations sociales qui fonderaient l’Histoire et la rendraient compréhensible et donc prévisible m’a toujours un peu agacé, parce qu’elle ne prend pas en considération le facteur humain et encore moins le plus grand vecteur de l’Histoire à mon avis, à savoir le hasard, l’imprévu.....Si Hitler avait été tué au cours de la Première Guerre mondiale, si un artilleur français avait fait osciller de quelques millimètres son canon ou sa mitrailleuse, si un soldat allemand n’avait pas malencontreusement tué d’un coup de baïonnette un soldat français qui un instant plus tard aurait trouvé sur sa trajectoire l’affreux Adolf qu’il aurait abattu ou embroché, tout n’aurait-il pas été différent ? Certes, il y aurait eu l’injustice du traité de Versailles, et le désir de revanche allemand, et l’antisémitisme dans l’Europe de cette époque. Mais ils ne se seraient pas exprimés de la même manière, et peut-être pas avec la même violence. Le monde n’aurait pas été ravagé ni les juifs exterminés de la sorte, et du coup, la mauvaise conscience n’aurait pas poussé les Européens à soutenir la naissance d’Israël, qui n’aurait peut-être pas vu le jour, ou pas comme cela s’est produit. Toutes les misères qui se sont ensuite succédé n’auraient pas eu lieu, et la situation ici aujourd’hui, là où nous nous trouvons, et qui peut-être découle d’un coup de baïonnette raté il y a cent ans, n’aurait pas été celle-là, et vous et moi n’aurions pas été en train d’en parler à l’instant.
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Et puis il y a à côté de tout ça le tissu des mille sensations de la vie et des jours, la palette infinie des menus plaisirs et des émotions de tous les instants, l'air qui a une odeur de pomme le matin, les frondaisons épaisses des arbres à la tombée du jour qui s'enfoncent dans l'obscurité tandis que la lumière s'accroche aux fruits et fait briller dans les feuillages des milliers de petits soleils couchants, la folle exaltation du parfum des fleurs d'oranger au printemps et puis le moment où il devient soudain plus sucré et plus écoeurant, le brasier bleu des jacarandas et le sang des flamboyants au mois de mai, le formidable tintamarre des cigales dans la Forêt de Pins, le ciel d'automne lavé des fades blancheurs de l'été, la neige en 1920 comme vingt ans auparavant et il y en a sur les pins, sur les mûriers, et pendant trois jours les oranges sont toutes couvertes d'un bonnet de nuit et les enfants ont des moufles. Et puis, accompagnant le cycle des saisons et ses éternelles et épuisantes beautés, il y a tout le reste, les filles qui jouent à la marelle, le bruit du buggy qui revient, les Bédouins qui apportent du lait à l'aube, Gérios qui est fier de ses courges, Hélène qui se lève et appelle une de ses filles depuis le balcon où elle est assise avec une de ses cousines, une automobile qui passe sur la route, un âne qui proteste, et puis aussi sans fin des portes qui claquent, des courants d'air qui vont et qui viennent et des éclats de voix joyeux qui sont ceux de l'un ou l'autre des enfants qui se disent des choses que l'on ne comprend pas.
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Après la fin de non-recevoir du chef du village, Wakim tombe la veste, mobilise ses garçons, se fait aider des fils Batal et Hayek, et on refait le toit en une semaine, avec toutes les difficultés logistiques possibles- refus des habitants de prêter des instruments (on les invente en détournant d'autres de leur fonction), impossibilité de couper du bois pour les piliers et le soutènement (on en emploie de vieux et on utilise ceux ceux d'autres maisons abandonnées) -, après quoi on aide les Hayek pour leur mur et les Batal pour je ne quoi et tout va bien jusqu'au jour où arrivent les gendarmes pour le contrôle. D'après le récit le plus courant chez les Nassar, un mouchard du village attire leur attention et les voilà qui viennent en inspection, constatent les réparations et déclarent que c'est interdit.
- Vous n'avez pas à rebâtir les maisons des traîtres arméniens, déclare le chawich.
- L'hiver arrive, répond Wakim. Comment on fait, avec la pluie et la neige ?
- On se débrouille mais on ne reconstruit pas les maisons des traîtres, insiste le gars.
Et Wakim comprend de quoi il s'agit, disparaît et revient avec une magidié. Mais avant de la donner il hésite un instant, car en y repensant je me dis que ces gendarmes-là n'en sont pas réellement, ce sont les supplétifs de l'armée qui furent employés à l'extermination des Arméniens, des hommes brutaux et sans scrupule. Leur glisser une magidié pourrait bien constituer un acte humiliant et donc fatal.
Wakim hésite un instant et finit par sauter le pas, et je me suis souvent demandé s'il n'aurait pas été plus simple pour les supplétifs de faire fouiller les bannis et d'emporter tout leur argent une fois pour toutes. Mais dans ce cas l'argent aurait été considéré comme "confisqué" et donc restitué au Trésor ottoman, alors que comme ça il va dans la poche des gendarmes. Et il y va allègrement car, après voir fait la même inspection chez les Batal et les Hayek, les gendarmes reviennent la faire tous les mois, et reçoivent ainsi un véritable salaire pour cette seule affaire de toit réparé, après quoi ils feront payer aux bannis le droit d'avoir du bois pour le feu en hiver, des figues en automne ou de l'eau à n'importe quel moment de l'année, sans compter la location d'un lopin de terre ou la vente des couvertures en laine pour l'hiver, des couvertures destinées à l'origine à être distribuées. Ils monnaieront même la distribution des lettres qui arrivent du Liban....
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Il doit avoir des tantes, des grands-tantes un peu partout dans le quartier, chez qui il pourrait s'arrêter pour manger du pain chaud. Mais il ne s'arrête pas, il marche entre les traverses, il fanfaronne sûrement car il plaît aux femmes et il le sait. Ou plutôt ce n'est pas lui qui fanfaronne. Il laisse ses moustaches et son tarbouche fanfaronner pour lui. Lui il a l'oeil sombre, et ce regard singulier qui semble toujours effleurer le bord supérieur des choses. Il porte une canne qui lui donne un supplément d'allure. Ce n'est pas la canne en bois d'ébène avec l'anneau d'or aux initiales de son père. Celle-ci, il la garde pour les occasions ou le dimanche, elle est debout dans un coin de l'armoire normande, dans sa chambre à coucher. Et c'est curieux, voilà que cette armoire me permet de pénétrer chez lui, d'imaginer un peu la maison d'avant, quoiqu'il me sera toujours très difficile de croire qu'il ait pu habiter ailleurs que dans la Grande Maison qu'il fondera à Ayn Chir. Je vois soudain un jardin, avec des néfliers et un citronnier, trois marches, un perron surélevé, et à l'intérieur un sol en tomettes aux motifs en arabesques, des pièces ouvertes les unes sur les autres, où circulent aisément l'air doux du printemps, les parfums des arbres, l'odeur de laurier qui embaume les vêtements rangés dans les armoires, mais aussi les bruits simples de la vie domestique, la voix de son frère cadet qui chantonne en s'habillant dans une pièce voisine avant de sortir pour aller à son bureau, disons à Khan Antoun Bey, ou celle de sa mère qui reçoit ses cousines et ses belles-soeurs de bon matin et s'installe avec elles dans des fauteuils sur le perron, sa mère qui figure elle aussi sur une photo de Bonfils, lointaine et rêveuse dans sa robe à corset, si rigide et si hiératique que je parviendrai toujours difficilement à l'imaginer autrement qu'en habit victorien, presque aussi irréelle, désincarnée et majestueuse que les reines anciennes sous leur masque mortuaire. Et puis, je vois aussi cette armoire normande devant laquelle il se poste tous les matins avant de sortir, dont il ouvre un battant pour se juger dans la glace un peu terne. Il juge son pantalon, son veston, son faux col, lisse sa moustache, ajuste son tarbouche, plante un regard dans son propre regard trop sombre avant d'ouvrir l'autre battant, sur lequel il y a aussi une glace, et de voir soudain, dans les deux miroirs qui se font face, son image se refléter à l'infini. J'aime à penser qu'il s'amuse tous les matins à cette démultiplication de lui-même avant de sortir égrener dans la marche sa présence au monde.
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La démocratie (...) elle aussi porte des contradictions internes qui la minent, et en particulier la liberté d'expression qui est intrinsèque à son être et simultanément le poison qui l'emportera, parce que l'on ne peut brider la liberté d'expression sans aller contre le principe de démocratie, et qu'on ne peut la laisser totalement débridée sans qu'elle permette que s'expriment les démagogues qui flattent les plus bas instincts de l'homme et sa bêtise.
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Il était destiné à l'érudition, raison pour laquelle il fut envoyé à Rome dès 1621. Mais il eut des aventures et des pensées hérétiques. Ses apartés avec Ferdinand de Toscane sont célèbres, et on sait qu'il vendit au grand-duc des balles de soie grège rapportées d'Orient. Il passa souvent sous les échafaudages de Pierre de Cortone, qui travaillait au plafond du grand salon du palais Barberini à Rome. Il était familier de ce palais, dans la bibliothèque duquel il se penchait sans fin sur les cartes du monde et voyait lentement, progressivement, se dessiner sous ses yeux la forme définitive qu'allait prendre la Terre.
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J'écris ces lignes assis sur la terrasse. Il fait très chaud mais une brise tiède s'est levée et souffle avec conviction. Sous la poussée de ses rafales, une canette vide roule le long de la rue tranquille, bondissant comme un cabri, dans un joyeux cliquetis, parfois sourd, parfois plus sonore, comme les clochettes d'un maigre troupeau de chèvres, et disparaît, emportée.
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[...] ce silence, cette paix immense des montagnes, comme ultimes témoins de ce que dut être le statisme éternel de la planète avant l'irruption du temps et de l'Histoire, et avant le désordre, la ruine et l'entropie que les hommes ne cessent de produire depuis qu'ils ont commencé à s'agiter sur la Terre.
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Nous ne partirons pas de ce pays, nous resterons ici, nous serons de nouveau heureux, nous rirons de nouveau, et si les salauds que vous protégez ne partent pas , eux, nous irons boire et danser sur leurs tombes.
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Durant la journée, le moral remonte un peu, au spectacle notamment de cette immense jeunesse qui s'est levée comme un seul homme pour prendre sur elle d'effacer les traces du cauchemar et d'aider à commencer à rebâtir, en l'absence de l’État voyou dont tout le monde vomit jusqu'aux plus anonymes de ses représentants et les chasse dès qu'ils osent apparaître sur le terrain au milieu des ruines. Au spectacle aussi de la mobilisation de la société civile soutenue par un élan international immense, et du travail solidaire d'un peuple entier qui a décidé qu'il ne plierait pas ou, s'il avait plié sous la violence du coup porté, ne casserait pas.
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Dans de nombreuses demeures historiques des quartiers ravagés de Beyrouth, les décors et les mobiliers anciens ne sont plus que poussière, ruines et gravats. La lente et méticuleuse sédimentation du temps a été balayée en un clin d’œil par le souffle d'un présent vengeur et incompréhensiblement cruel.
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[...] le 4 août 2020, à 18h07, la cargaison, ou ce qui en reste, chauffée par l'incendie, ou emportée par l'explosion d'un dépôt d'armes, ou bombardée, explose. Six années d'opacité et d'irresponsabilité, résultat de trente années de corruption et de mensonges, de politiques mafieuses, de collusions entre les divers services de l’État, les divers ministères, les partis politiques et leur clientèle, de manigances géopolitiques aberrantes et de sinistres logiques guerrières planifiées par des milices criminelles se concentrent, se condensent de manière terrifiante et génèrent les cinq secondes de l'apocalypse.
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Sur un mur, ce graffiti que j'ai noté il y a quelques jours et qui procède à une belle inversion : Le régime souhaite la chute du peuple.
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Rentables, très rentables en revanche, le port et le service des douanes par où passent tous les jours des milliers de tonnes de marchandises, l'aéroport, le service d'enregistrement des véhicules motorisés, le casino du Liban. Autant d'institutions qui toutes possédèrent à un moment ou à un autre leurs propres caisses noires, dont les comptes sont absolument opaques depuis trente ans et où auraient disparu plus de vingt milliards de dollars.
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Loin de s'achever avec le retour de la paix, la dérégulation, qui aboutit à une urbanisation effrénée et à des dégâts écologiques irrémédiables, se poursuivit sous la funeste IIe République, durant laquelle tous les excès furent légalisés, tant qu'ils pouvaient rapporter de l'argent, encore de l'argent, toujours de l'argent. J'ai décrit tous ces mécanismes dans L'Empereur à pied, que peu de lecteurs ont interprété aussi comme un roman sur la destruction de l'environnement et la ruine d'un pays par la violence physique qui lui était infligée. Pendant trente ans, l'édification de mastodontes immobiliers défigura les villes autant que les montagnes. Des individus ou des groupes anciennement proches des milices, et devenus en temps de paix des promoteurs et des milliardaires sans scrupules dans l'orbite du pouvoir, mirent la main sur des pans entiers de côtes et de plages en les bâtissant et en les privatisant arbitrairement. La même espèce d'hommes éventra, fracassa, dépeça des montagnes entières pour en extraire le sable nécessaire aux cimenteries, et ces carrières causèrent des béances atroces dans certains des plus paysages du pays. Durant les années 2008 et 2009, une publicité financée par par des groupes écologistes représentait le Liban sous les traits d'une superbe jeune femme recevant progressivement des coups, des blessures, des plaies, des échardes, jusqu'à à en être défigurée et rendue horrible à voir. La publicité choqua, et on l'interdit. Le déni était encore très fort, on ne voulait rien voir. Pourtant, le visage défiguré du pays était sous nos yeux en permanence, et le travail de destruction tous les jours accru. Des contrats faramineux étaient sans cesse signés, des horreurs ne cessaient de s'élever en contrevenant aux lois. Les décrets sur la fermeture des carrières étaient bafoués et les plages publiques spoliées ne furent jamais restituées parce qu'elles appartenaient de fait à des membres de la caste qui tenait l’État en otage.
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Il y a quelques années, une revue littéraire m'a proposé d'écrire une dystopie qui aurait pour cadre le Liban ou le monde arabe. J'ai imaginé une histoire de spéculations immobilières à grande échelle à Beyrouth, comme il y en a tant eu durant ces dernières années, de buildings et de centres d'affaires ultra-modernes bâtis par des mafias liées au pouvoir sur des terrains gagnés en compressant les millions de tonnes de déchets dans la mer. Un monde d'affairisme glauque, environné de dorures et les pieds dans les ordures.
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