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Citations de Charif Majdalani (183)


De Rome à Paris, d’Amsterdam à Dresde, les livres circulent, les idées aussi, les savants s’écrivent, dialoguent, controversent. Si les plus connus sont Descartes, Galilée ou Kepler, un nombre non négligeable d’érudits font également le lien entre les grands pôles du savoir. L’un de ceux-là est le Provençal Nicolas Fabri de Peiresc, dont les relations en France et en Italie sont connues aujourd’hui grâce à son abondante correspondance. Fabri de Peiresc a gardé le contact avec son ancien ami le chevalier d’Arcos, par-delà la conversion de ce dernier à l’islam et sa résidence de l’autre côté du monde. Chaque fois qu’il en a l’occasion, d’Arcos lui envoie des objets ou des animaux qui pourraient intéresser son esprit curieux.
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En ce temps-là la piraterie, qui était une manière de maintenir l’état de guerre entre l’Islam et la chrétienté, aboutissait souvent à la capture d’hommes vendus ensuite comme esclaves des deux côtés de la Méditerranée. L’une des coutumes de rachat consistait pour un tiers à payer la rançon d’un prisonnier puis à le ramener chez lui et à se faire rembourser le prix avec une charge supplémentaire qui tenait lieu de bénéfice.
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On s’attendait à voir un homme en turban et seroual, et voici qu’arrive une sorte d’Européen aux yeux verts, vêtu comme tous les courtisans autour du grand-duc. On l’écoute avec attention expliquer ce qu’il est et qui il est. Le grand-duc l’interroge sur ses travaux, sur l’arabe, sur le Collège maronite que son grand-père a contribué à fonder.
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Il tourne le dos aux lieux de son enfance avec pour la première fois le sentiment qu’il est un homme nu, abandonné, sans ancrage et sans passé. Lorsqu’il se présente à son patriarche dans sa résidence au fond de la vallée sainte, le vénérable vieillard se souvient à peine de lui.
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Il est stupéfait de la pauvreté des hommes qui le regardent passer, de leurs maisons, des terrasses qu’ils cultivent. Il était donc pauvre de cette manière, mais ne le savait pas, tout comme il ignorait avoir vécu dans une telle splendeur naturelle. La grandeur de ses montagnes natales, dont il ne mesurait pas non plus la puissance, lui saute aux yeux et le subjugue. Il comprend qu’il reste attaché à ces lieux, mais il comprend aussi, de jour en jour, qu’il n’y demeure nulle trace de lui.
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Il s’ennuie à enseigner la grammaire et la rhétorique, mais il sait que le chemin qu’il a emprunté peut le mener loin. Le travail intellectuel et la controverse savante procurent en ce temps-là plus sûrement qu’aucune autre activité la célébrité, le pouvoir et une position confortable et respectée dans le monde.
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Durant toute sa scolarité, il est perçu comme un élément turbulent par la hiérarchie du Collège maronite, et s’attire des inimitiés au sein de la direction. Mais ses excellents résultats lui valent la tolérance de la Propaganda Fide, qui a besoin d’hommes de sa trempe pour sa mission.
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C’est d’ailleurs assez tôt sans doute qu’il commence à lire Galilée. Il a du mal à croire ce qu’il lit sur la corruption des planètes, sur le relief qu’on y voit, semblable à celui de la Terre, sur l’errance de la Terre et du Soleil de concert dans le vide. Au commencement, c’est l’intelligence des textes qui lui plaît, c’est leur argumentation qui le séduit et le convainc, parce qu’elle rompt avec la bêtise de ce qu’on apprend au Collège, et avec la stupidité des arguments de ses professeurs, avec les lassantes et si répétitives leçons de l’aristotélisme.
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En attendant, et pendant trois ans au moins, il doit souffrir les leçons de latin et d’italien de pères en soutane à l’air guindé et intolérant, et celles d’arabe et de syriaque que dispensent des Orientaux arrivés quinze ans plus tôt et dont le zèle surpasse celui de leurs collègues romains. Et puis il a froid dans les salles glaciales du Collège, où de surcroît on mange très mal. En 1623, un garçon de son village récemment débarqué lui apporte un panier envoyé par une de ses demi-sœurs, dans lequel il trouve des figues en confiture, mais qui ont à moitié pourri durant le voyage, ainsi que du kichk dont il ne sait que faire et revend à ses professeurs d’arabe.
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Il est impossible de savoir s’il est affreusement déprimé au commencement, par les lieux, par l’odeur rance des pères et par la ruelle sinistre sur laquelle donne sa fenêtre, ou s’il est heureux de retrouver des compatriotes comme compagnons d’étude et aussi de la perspective d’aller marcher dans Rome, une ville qui n’est qu’un nom encore, mais un nom imposant,résonnant comme les cloches rutilantes de mille églises et brillant comme cent mille dômes.
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Il est donc seul, il dort dans un mauvais lit, dans une mauvaise auberge, près du port de Livourne, puis embarque dans un coche qui part pour Rome, où il arrive deux jours plus tard. Que voient ses yeux, je ne sais pas, ni ce qu’il saisit de ce monde nouveau, de ces étendues plates comme il n’en a jamais vu, de ces arbres inconnus, de ces hommes qui parlent une autre langue, une langue qu’il ne comprend pas, dont il est vaguement familier puisque c’est celle des négociants italiens des échelles du Levant mais qu’il n’a jamais entendu tant de gens utiliser en même temps.
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Il dut arriver à Rome très jeune, comme c’était la coutume, et, pour qu’il ait été choisi, il fallait qu’il ait montré des aptitudes aux études, c’est-à-dire à la lecture des livres saints, et une curiosité pour les spéculations métaphysiques. Un chroniqueur de la Montagne rapporte qu’il était orphelin de mère et que c’est son oncle, bien placé dans la hiérarchie ecclésiastique maronite, qui voulut l’extraire de la misère où il se trouvait après le remariage de son père, lui offrant ainsi sa curieuse destinée.
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Et s’il n’était pas blond, il avait peut-être des yeux légèrement verts qu’il justifiait pour rire en les faisant remonter à une ascendance franque ou croisée. Il s’amusait de cette lignée absurde, d’autant que les femmes en l’entendant se perdaient dans les histoires compliquées des temps anciens. Mais peut-être aussi que cette question de lignée, il n’en joua jamais, contrairement à ce que rapporte le texte qui jusqu’à ce jour fait autorité à propos de ses premières années, une petite notice biographique incluse dans le dictionnaire des savants du Collège maronite de Rome.
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C’étaient la grandeur symbolique des Hayek et le souvenir d’un monde gouverné par son père qu’elle avait chevillés au corps, dont elle se voulait le dernier défenseur, et non pas la matérialité de cette grandeur ni ce qu’avait fait Skandar au jour le jour pour la maintenir.
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Ce que nous ignorions en fait, c’est qu’à ce moment il était effectivement passé par Kaboul mais en était déjà parti, car à l’issue de son expérience dans la steppe afghane, selon ce qu’il me raconta plus tard, il avait subitement eu envie de rentrer. « Il y a des jours, me confia-t-il, où on se dit que, où qu’o aille désormais, ce sera pareil », et une nostalgie irrésistible pour la maison, les vergers, pour sa mère et sa sœur se mit à le tenailler.
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Les bonnes étaient blêmes, tout tremblait autour de nous, on s’entendait à peine, et nos corps pour se mouvoir devaient lutter contre le vacarme, comme contre une marée montante qui submergeait tout. Moi, je tentais malgré les protestations d’aller vers la porte d’entrée pour comprendre ce qui se passait, je l’ouvrais et, à plat ventre, j’essayais de regarder dehors. Le vacarme redoublait mais je ne voyais jamais rien, sinon le rebord de la rambarde du perron où je m’asseyais d’habitude. Je me redressais un peu, la fusillade se poursuivait mais ce n’était pas dans notre rue, car du côté du portail tout était parfaitement immobile. Et puis, aussi brutalement que cela avait commencé, tout cessait, et le silence s’abattait, monumental, spectaculaire.
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Ce qui n’empêcha pas Mado de sortir de ses appartements à l’étage, où elle s’était retirée depuis le début des folies de son neveu, et d’exiger que l’on mît finaux agissements de Noula. En tant que tante, elle n’avait aucun pouvoir sur le personnage, amis elle pensait que sa mère en aurait. Or cette dernière resta de marbre, puis déclara sèchement face à l’insistance de sa belle-sœur qu’elle n’avait nul moyen d’agir. Mado aurait pu alors mettre le feu aux poudres, déclencher les hostilités bien avant le temps où le destin semblait en avoir fixé l’échéance, mais elle se tut, elle n’ajouta rien, sauf qu’assurément elle devait penser que le refus d’agir de Marie était volontaire, qu’elle contribuait sciemment par son silence à la faillite des Hayek, à la destruction de leur patrimoine, que c’était sa revanche. Peut-être même était-elle persuadée que tout cela ne venait pas du sang des Hayek mais de la part étrangère qui s’y mêlait dans les veines de Noula. Mais elle ne dit rien, le temps n’était pas encore venu, même si tout son être parlait pour elle, ses regards indignés, sa raideur, sa maigreur pythique et ses marmonnements.

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Mais nul ne sait où s’arrêtent l’envie et le désir de puissance, et Noula, qui était timoré et faible, se rêvait comme un conquérant alors qu’il n’avait d’autre qualité que celle de posséder l’argent nécessaire pour faire non des conquêtes mais des bêtises. Et c’est ainsi qu’au bout de quelques mois, et comme s’il s’était promené dans l’usine qu’il voyait pour la première fois et l’avait trouvée vieille et poussiéreuse, il décréta qu’il fallait évacuer tout ça, ajoutant qu’il allait tout remplacer par de nouvelles machines allemandes, des Köber. Il ne cessa plus de faire l’apologie de ces dernières dans les salons, auprès de sa parentèle et des autres industriels qui le regardaient d’un air narquois, et aussi auprès des femmes de la maison Hayek, qui pour la première fois levèrent des sourcils inquiets. Elles n’y connaissaient pas grand-chose, certes, Mado et ma patronne Marie, mais elles avaient tout de même vécu dans le culte des traditionnelles tisseuses, les Monfort et les Gladbach, elles avaient vu les ingénieurs étrangers venir les ausculter, elles avaient entendu les louanges qu’on en faisait et avaient compris que la fortune des Hayek depuis au moins un demi-siècle s’était construite sur ces noms vénérables. Elles furent effrayées par les décisions intempestives que Noula leur exposait lors des repas qu’il venait prendre chez nous à midi et à l’occasion desquels Jamilé lui mitonnait ses plats préférés. Il riait des craintes des femmes et avait l’air si confiant qu’elles durent se dire que c’était la peur du changement qui les inquiétait et sourirent alors complaisamment au garçon. Lorsque j’entrais à la fin des repas, je les voyais tous détendus et cela m’agaçait. L’aveuglement des deux femmes me rendait malade et je ne pouvais même pas en parler avec Jamilé, qui aimait Noula, et considérait ses décisions comme la sagesse même.
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Si les problèmes étaient chaque fois réglés, le patron n’en sortait pas moins épuisé. Mais, tout cela, je crois qu’il le faisait parce que ainsi il demeurait au courant des affaires, et pouvait protéger ses terres, ses biens et l’usine. Et aussi pour que le monde tel qu’il l’avait connu puisse durer le plus longtemps possible, alors qu’il devait bien se douter que les changements étaient inéluctables. Si bien que, quand j’y pense aujourd’hui, j’ai cette impression que si notre univers a en partie résisté encore quelques années, c’est grâce à lui. Il tenait les fils de notre destin entre ses mains et tant qu’il tint bon, tout tint, les choses continuèrent de tourner, avec la maison au centre, et le monde autour, avec l’usine qu’il gérait patiemment, avec les orangers et les pins, avec les cueilleurs di pignons perchés au sommet des arbres, avec le va-et-vient devant le portail, avec les bonnes qui passaient la serpillière pieds nus et en chantant à tue-tête quand les patrons étaient absents, avec les lubies de Mado, avec l’élégance de la patronne et avec l’excitante présence de Karine, qui, comme toutes les filles de son milieu, était surveillée attentivement, à l’instar de la fille d’un prince promise à quelque altesse et qu’il faut protéger du monde, autorisée à tous les caprices à l’intérieur mais très peu en dehors.

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Il se rendait parfois en ville, d’où il nous envoyait des lettres qui parvenaient des mois après. Il lui arrivait aussi de téléphoner, parlant tantôt avec sa mère, tantôt avec Mado, et même une fois avec moi et j’étais si ému que je ne sus quoi lui dire à part des sottises. Après quoi il partit sur des rafiots en bois pour écouter la parfumerie de son associé, il poussa jusqu’à Zanzibar, me dit-il, et lorsqu’il me le raconta je ris de ce nom que je prenais pour un pays inventé dans les vieilles légendes, et aussi jusqu’au Mozambique, un pays que j’imaginais riche et bariolé à cause des mosaïques qui résonnaient dans son nom. Il tira au revolver contre des pirates d’un bord à l’autre de vieux navires, et des maquisards noirs lui apprirent à utiliser la kalachnikov sur une immense plage au large de Lourenço Marques où le bruit des vagues couvrait le fracas des mitraillades. Il rencontra dans un port un marin somalien qui n’avait que trois doigts et qui prétendait avoir joué les autres aux cartes à Colombo, et il fit de la moto sur les digues du port d’Aden, dans un side-car sur lequel son compatriote se tenait en équilibre, debout, les bras en croix, heureux de son commerce florissant et de la fortune qu’il était en train d’amasser
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