« Lorsque j'ouvrais la porte-fenêtre, le rideau soudain prenait le large et me précédait à l'extérieur avec une lenteur cérémonieuse, porté par l'air chaud du matin, gonflé d'une joie silencieuse. Pour sortir au grand jour, il fallait alors m'en dépêtrer, comme de la toile d'entrée d'une tente. Je faisais ensuite mes premiers pas de la journée sur la terrasse. J'avançais jusqu'à la rambarde rouillée contre laquelle je me tenais, devant les vergers fatigués, en face des montagnes diaphanes, encore noyées dans la lumière du soleil qu'elles cachaient et qui allait se lever derrière elles. Il faisait déjà très chaud et bientôt j'entendais, en bas, les pas du directeur de la coopérative, l'homme à la garde de qui étaient ces plantations avant que ne s'y installent les militaires et qui continuait malgré leur présence à agir comme il l'avait toujours fait, à courir ses maigres vergers, à parcourir les terres difficilement préservées contre la progression du désert, à sillonner les canaux d'irrigation envasés, bouchés, inutilisables, à moins qu'il n'exagérât son zèle pour rappeler qu'il était le maître ici, avant l'arrivée de la troupe ».
Avril 2014, en voiture dans les embouteillages de Beyrouth, Rafael reçoit un singulier appel d'un interlocuteur à l'accent des Emirats ou d'Irak. Brillant archéologue reconnu comme l'un des plus éminents spécialistes de l'objet antique, habitué à être sollicité par des particuliers plutôt louches, Rafael avait appris, poussé par l'aventure, la curiosité artistique et archéologique, à répondre positivement à des invitations de contrebandiers, voire de mafieux de tous ordres. Pléthore d'objets anciens magnifiques circulaient frauduleusement et Rafael n'hésitait pas à transgresser sa conscience lorsqu'il avait le sentiment de servir une cause juste. Sa réputation le précédait mais aussi les potins. Qu'à cela ne tienne, Rafael après s'être renseigné sur la personnalité de son solliciteur, acceptât de se rendre en Irak, et plus précisément dans le Nord, près du village de Cherfanieh, afin d'expertiser une frise assyrienne de belle taille et d'énigmatiques têtes sculptées qui soit disant, appartenait par tradition à la famille et à la tribu du Général Gadban.
Quel homme hors du commun que ce Général Gadban, singulier et impénétrable avec une stature de chef, à la tête d'une armée d'hommes qui lui sont totalement dévoués, bivouaquant dans cette immensité où vergers et plantations cohabitent non loin d'une rivière qui se jette dans le Tigre. Il rêve de faire revivre cette oasis au milieu du désert et de pouvoir ainsi redonner toute leur splendeur passée aux tribus Chammar dont lui-même est issu.
Fasciné par l'art assyrien et en quête de sensations esthétiques, l'archéologue accepte l'invitation et se rend en Irak. Pris en charge par Salem à son arrivée à l'aéroport de Bagdad, Rafael parvient en auto à l'Oasis où il est logé dans la grande maison. de la terrasse, il peut admirer ce paysage édénique. Il se laisse aller à ses méditations. Fort bien accueilli par les officiers, il savoure ses vacances en attendant l'arrivée du Général Gadban. Difficile d'imaginer qu'au-delà des montagnes du Kurdistan qui entourent au loin cette oasis, les milices djihadistes mènent des raids meurtriers là-bas, bien loin au-delà !!!!
La narration dès le début, se veut insouciante, alanguie sous la chaleur. Promenades à cheval, découverte d'un site antique, rencontre avec Shirin, la fille du Général, discussion avec le supérieur d'un couvent syriaque, tout se prête à la rêverie dans cette atmosphère suspendue. Pourtant, malgré ces instants délicieux, petit à petit, Rafael se pose des questions sur les intentions non avouées du Général Gadban. Cet homme habitué aux manipulations politiques et militaires ne se verrait il pas à la tête du pays ? Que veut-il entreprendre avec la somme de la vente de ces antiquités ? Qui serait le commanditaire ? D'un récit tout en passivité, l'histoire se fait plus inquiétante jusqu'au moment où tout bascule.
Dépaysement garanti mais aussi abondance de réflexions à la lecture de ce récit dans cet Irak dévasté ! La mémoire projette dans nos têtes, les évènements tragiques qui étaient diffusés sur nos postes de télévision, de ces souvenirs affleurent des émotions intenses.
Dans ce roman, nous retrouvons les éléments chers à
Charif Majdalani : la Maison, les plantations, le Liban.
Il change, néanmoins, de registre. L'auteur élabore un récit où s'entremêlent enquête, aventure, thriller géopolitique, réflexions sur le sens de l'Histoire au travers des échanges entre Rafael et le supérieur du couvent. Les interrogations et les débats évoqués tournent autour de l'instabilité de l'Histoire. Est-elle faite de hasards ou existe-t-il un plan ? Avec des « si », que serait-il advenu ? Comment expliquer que les hommes qui gouvernent les choses fassent preuve d'une telle incompétence, qu'ils ne se soucient nullement des conséquences de l'incohérence de leur choix sans parler du jeu malsain des services secrets dont ces pays sont leur terrain de jeu. L'Histoire se répète mais nul ne tient compte des leçons des épreuves passées. Majdalani s'interroge : « à savoir que tout n'est que chaos sans signification, sans logique et sans but ».
« Il en va en tout cas ainsi de chacun de nos gestes dont l'impact, en des cercles concentriques qui vont s'élargissant, peut retentir bien plus loin et plus gravement que là où il s'est produit ».