Citations de Christian Gailly (152)
La mer pleine, étale, assombrie d' algues, de bouts de bois, tachée de couleurs ici et là, ici noire comme goudron, là jaune bidon jeté par-dessus bord, le rouge d' une cuvette chavirée, semblait interroger la plage déserte : Qu'est-ce que je fais de tout ça ? Laisse tout ça là, répondit la plage, on nettoiera.
Tu ne lis jamais. Tu n'aimes pas lire? Non, dit Lily, ça me fait réfléchir. C'est plutôt bien? dit la mère.
Non, dit Lily, c'est pas bien, ça me raconte des histoires qui me font envie, et tôt ou tard je me demande si la mienne vaut la peine.
"[...]Le ciel est à tout le monde, après tout, sa beauté est là pour qui veut bien lever les yeux vers elle [...]."
Rien ne serait plus comme avant, j'allais dire comme toujours, puisque rien pour personne n'est jamais comme avant, mais j'oubliais l'amour.
Elle le réveilla en douceur avec une mélodie que moi j'adore. Malheureusement l'écriture ne nous donne rien à entendre. Si je pouvais je vous la chanterais. Mais ceux qui la connaissent vont la reconnaître. Il s'agit de Bye Bye Blackbird. Elle commença par une jolie introduction de huit mesures puis joua la mélodie en même temps qu'elle chantait.
Braine ajoutait : Et tu te coifferas comme j'aime ? On verra ça, disait Lily, et le dimanche elle arrivait avec ses nattes, deux tresses arrêtées par des rubans du même bleu que les fleurs de la robe.
Ca faisait comme si des papillons aux ailes bleues s'étaient posés sur ses épaules blanches. De loin, c'est vrai, on aurait dit la « La princesse aux papillons », quand Braine la voyait arriver les dimanches d'été dans cette robe que le vent rendait folle et la lumière transparente de légèreté.
« J’ai fait des photos pendant des années jusqu’au jour où je me suis rendu compte elles me faisaient tout oublier, j’empêchais la mémoire de faire son travail, de faire son deuil des choses, je l’empêchais de fonctionner.
On ne retient pas le présent en excluant le présent, et la photo c’est ça, ça retranche, ça fait des trous dans le monde, des trous de mort, alors que la peinture ajoute au monde son éternité, morceau par morceau.
J’aimerais bien renoncer, m’arrêter là, mais comme je ploie toujours sous l’absolue nécessité d’écrire, je continue, c’est décidé, je vais continuer, les voisins du dessus sont en train de s’engueuler, le soleil se lève et baigne la rue d’une lumière orangéeL, tout devient beau.
Cette beauté-là est trop simple, je ne dois pas m’en contenter.
Il portait des lunettes tout métal. Une monture comme ça se faisait dans les années quarante. Tout le monde en portait, les présidents, les truands, les écrivains, les spécialistes de sciences humaines, tout le monde. Qui avait lancé la mode, ça, on n'en sait rien, probablement un anonyme qui un jour s'est dit Tiens.
Il se passe rarement grand-chose dans une voiture. A vrai dire jamais rien et c'est très bien. Les voitures sont là pour faire le lien entre ce qui s'est passé et ce qui va se passer. En un sens rien n'est plus romanesque.
Il résiste. Regarde ailleurs.
Par la fenêtre.
Elle aussi.
Il voit s'en aller ce qu'elle voit venir.
Elle voit commencer ce qu'il voit finir.
Il s'empêche de penser. Il se bat, contre une envie pressante de penser. Ca existe le besoin de penser. Le désir de penser. La nécessité de penser. Comme une obligation, une pression, une poussée.
Il sent dans sa tête la pression des pensées. Les pensées poussent au portillon de la pensée. Elles ont envie de se faire penser par lui. Elles exigent qu'il les pense.
La jeune buraliste, d'une accidentelle beauté Renaissance, j'ai encore vu sa bouche pas plus tard qu'à midi, d'une petitesse, d'une étroitesse, d'une délicatesse, un dessin si extraordinaire, c'est simple, j'y vais rien que pour la voir, hanche appuyée contre la caisse, elle tend son bras droit fin tandis que sa main fine saisit le paquet de Winston box.
« Qu'est ce qui te ferait plaisir pour ton anniversaire ? La femme que je prétends aimer a tout de suite vu que dans ma question il n'y avait rien, ni argent, ni idées de cadeaux, ni amour, tout juste un peu de ma mauvaise conscience »
Debbie nageait vers le large. N’allez pas trop loin, pensa-t-il. Si ma femme me largue, j’aime autant que vous soyez vivante, pensa-t-il […]
[...] le trac, la peur, la tremblote, affinent, affolent, affûtent, aiguisent, énervent, excitent, accélèrent le swing.
Il a tourné à gauche, longeant le mur de bois, tous les murs du chalet sont de bois, puis, ce chalet est comme tous les chalets sont, puis, au bout de la galerie, observé par un chat, se disant tiens, un chat, le chat se disant tiens, un homme, il a, lui, Paul, descendu l'escalier qui donne sur le parc, voilà, il a maintenant les pieds dans l'herbe.
Les hommes qui disent la vérité sont les plus dangereux.
Un homme qui s'explique, c'est pas bon. Un homme qui marche droit, sans hésitations ni faux-pas n'a pas besoin de ça.
Simon brûlait de toucher à ce piano pour faire entendre ce qu'un style a d'inimitable. Autrement dit et j'en aurai fini avec Simon et la question du style, il voulait croire qu'après dix ans de silence total il pouvait encore jouer comme personne jamais ne jouera.
La vodka circulait dans son cerveau. La vodka faisait fonctionner son cerveau. Son cerveau fonctionnait comme il n'avait pas fonctionné depuis au moins dix ans. Pas mieux ni plus mal, autrement. Plus librement peut-être. Son coeur aussi battait différemment.
Il soupira, frissonna puis se mit à trembler. Sa décision était prise. Il sut qu'il allait y aller, y toucher à ce piano, s'en emparer. Il était 22h30.
Reste l'écriture, la musique, la peinture, la beauté en un mot, LA BEAUTE, mais que vaut-il mieux ? La chercher ? L'ignorer ? La connaître ou ne pas la connaître ? Meurt-on plus heureux auprès d'elle ? Moins désespéré ?