Citations de Christine Angot (352)
virgule étymologiquement ça veut dire petite verge
” Elle, Christine, était presque consentante. Elle avait au moins douze ans. Entre violée par un dingue et abusée par un ami, il y a une différence, non ? “
Je suis asociale. Donc le travail ne me rend pas heureuse. Je voulais être écrivain.
« Si l’avorton avait vécu, même deux mille ans, il n’aurait pas goûté le bonheur. C’est ce qu’on pense ta mère et moi, même trois mille ans, il n’aurait pas goûté le bonheur.»
(p59)
On avait prévu : Plus encore que les morts je félicite ceux qui ne sont jamais nés. Il faut qu’il entende des choses comme ça. Il va mourir. Dis-lui qu’on regrette. Qu’on n’aurait pas dû lui donner la vie. Ton père et moi, on félicite ceux qui ne sont jamais nés. Parce qu’ils n’ont pas vu l’œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. (p58)
C'était entre Gérardmer et Le Touquet. L'enchâssement ,'est pas toujours certain. Il peut être approximatif et reconstitué. Le point de vue, à tel ou tel moment, est intact. Quand je dis que je ne pensais pas, c'est au sens d'une pensée déliée, partageable, dicible, mais j'avais un point de vue. Je voyais la situation comme de l'extérieur. Je savais ce que j'en pensais. J'avais envie que ça s'arrête. Je ne savais pas comment. Je n'ai jamais été en confiance. J'avais peur. J'ai toujours eu peur. J'étais sur mes gardes. J'étais sur le qui-vive. Je ne m'abandonnais pas. J'attendais des jours meilleurs. Le point de vue, clair. Le corps, en état d'alerte. Il y avait une différence entre moi et ma personne. J'étais à distance de ma personne. Je savais ce que je pensais de la situation. C'était limpide. Je la désapprouvais. Ce qui s'appelle "moi" désapprouvait. Le reste... Quel reste ? Est-ce que c'était mon corps le reste ? Je ne sais pas. Pa seulement. Le reste ne pensait pas. Le reste attendait. En espérant que ça allait passer. Le reste n'existait pas. Le reste était bloqué. Je ne l'éprouvais pas. Je n'ai pas pu préserver le reste. Je n'ai rien pu faire. J'ai essayé. J'ai cru parfois y arriver. J'ai cru sauvegarder des morceaux. Ça n'a pas marché. C'était illusoire. J'avais mis des barrières pour ne pas penser. Je n'arrive pas toujours à retrouver. Ils ont été sacrifiés. C'est trop tard. Quand je retrouve, c'est désagréable. Parfois, ça m'arrive en faisant l'amour. Ça me gêne.
Vois-tu, on ne meurt jamais entièrement, parce qu’on transmet aux autres, aux survivants, surtout à ceux qui vous aiment et vous connaissent bien, un peu de son être. Apprendre est une des plus grandes joies de la vie, et je suis émerveillé que tu l’aies si bien compris.
C’est le pouvoir ultime du patriarcat. C’est le sceptre. L’accessoire par excellence. Le signe, absolu, d’un pouvoir privé qui s’exerce sur le cercle, et qui est respecté au-delà du cercle, par tous ceux qui s’inclinent devant le rapport d’autorité.
J'ai rencontré mon père dans un hôtel à Strasbourg, que je ne saurais pas situer. L'immeuble faisait environ quatre étages. Devant, il y avait quelques places de parking. On entrait par une porte vitrée. La réception se trouvait sur la gauche. Il y avait un ascenseur au fond. Un escalier en bois avec un tapis qui parcourait les marches, et assourdissait les pas. La façade était plutôt moderne. La pierre, blanche. Il y avait des bas-reliefs de forme géométrique. Je crois. C'était pendant les vacances d'été. J'avais treize ans. Je venais de finir ma cinquième. Ma mère avait eu l'idée d'un voyage dans l'est de la France. On a quitté Châteauroux au début du mois d'août. On s'est arrêtées à Reims, à Nancy et à Toul. On est arrivées à Strasbourg un jour de semaine, en fin de matinée.
Ma chambre se trouvait au deuxième étage, et donnait sur la rue. Celle de ma mère à l'étage du dessus, dans la partie latérale. La mienne devait être à l'est ou au sud-est. Car il y avait une très forte lumière. Le papier peint était jaune. J'avais ma salle de bains, mes toilettes. Ma mère et moi partagions habituellement la même chambre. Mon père avait fait la réservation et téléphoné. Elle me l'avait passé. J'avais éclaté en sanglots en entendant la voix.
J'étais assise sur le lit, anxieuse. On a frappé à la porte. Ma mère est entrée.
Pour lui, il n'y a pas de lois, il y a des normes. Tous les interdits depuis la nuit des temps, je les rabaisse au niveau de la morale. Je les traite comme des normes bourgeoises.
La surveillance ne changeait rien. Les gestes avaient lieu. Surveillance. Barrages. Contrôles. Quand ils arrivaient, il fallait faire semblant que ce n’était pas grave. Faire semblant est devenu une attitude générale. Un automatisme. Applicable à tout. Qui imprégnait toutes mes relations. L’attitude que je devais adopter avec lui déterminait ma façon de parler de lui aux autres.
J’avais deux méthodes de survie, avec deux objectifs opposés. J’étais partagée entre les deux.
Parler. Briser le silence. Pour ça, il fallait voir les choses. Les savoir. Les faire exister dans sa tête. Se les représenter mentalement. Supporter les images. Vivre avec elles. Trouver les mots qui leur correspondaient. Les exprimer.
Se taire. Ça permettait de ne pas avoir d'images dans la tête, de continuer à faire semblant. De ne pas savoir vraiment, de ne pas avoir peur, de ne pas donner corps à l'inquiétude, de ne pas donner de réalité à l'impression d'avoir une vie gâchée.
_ Ca s'est bien passé ?
_ Moyen.
_ Pourquoi moyen ?
_ C'a été difficile.
_ Qu'est-ce qui a été difficile ?
_ Lui. Lui, il est difficile.
_ Quoi en particulier ?
_ Son caractère.
_ Ah je sais.
"Je sais" a tout foutu en l'air.
Les mots sont repartis au fond de ma gorge. Le nœud s'est reformé. Je n'ai pas continué.
J'hésite à ce stade. Assembler les pièces éparses, avec le secours de la trame romanesque, et présenter un tissu reconstitué et logique ? Ou, poser les pièces les unes à côté des autres, comme celles d'un vase retrouvé dans des fouilles, pour permettre aux autres de savoir ce qui s'est passé ? Et qu'ils puissent reconstituer l'ensemble ? Dans mes livres précédents, j'ai utilisé les deux options. Ce que je n'ai jamais fait, que je n'ai jamais pu, ou voulu faire, ou cru utile, c'est faire reposer toute l'architecture romanesque sur la solidité de mes points de vue, successifs, leur évolution, leur coexistence. Chaque fois que ce serait possible, ajouter une parole, un mouvement, un paysage. Comme une vie normale, linéaire, pas morcelée, pas non plus imaginée. Il pourrait y avoir un paysage à Nice, et ce qui s'y est passé. Ce qui a été dit. Ce qui a été pensé. A cet endroit-là. Je m'en souviens. Je le sais. Les points de vue sont tous là. Ce que j'ai compris sur une colline, un jour, pendant une conversation. Il faudrait pouvoir l'écrire au rythme de la vie pour que ce soit bien, pour que ce soit juste, pour que ce soit vrai.
Ainsi que de certaines images, scènes, dialogues. Je peux restituer, et réciter par cœur, certaines phrases. Je ne pourrais pas imiter les tons de voix, mais je les ai en mémoire. Je peux les décrire. Ce qui peut manquer, faire défaut, c’est l’historique. L’ordre. L’enchaînement technique des scènes. La logique de certains gestes. Tel week-end ou tel autre. C’est plus difficile à garantir. Parfois, j’y arrive. Gérardmer, la bouche. Le Touquet, le vagin. L’Isère, l’anus. La fellation, c’est venu tôt. Il n’y a pas de date.
Il y avait peu d'hommes dans mon entourage. Les rapports étaient lointains, les conversations limitées à la politesse. Les commerçants. Les pères de mes copines. Tous mes professeurs étaient des femmes.
Tu comprends pas, tu comprends pas la place exorbitante que tu as dans ma vie ?... Que je peux pas vivre la mienne. Que pour moi tout tourne tellement autour de toi que je n'arrête pas de te chercher. Depuis toujours. D'essayer d'être toi. Eh oui ! T'en es pas consciente hein de ça ? Je suis jamais allée vers des gens qui me plaisent à moi. Mais vers des gens qui t'ont plu à toi, ou qui t'auraient plu. J'ai jamais fait autrement qu'en fonction de toi. (p.180-181)
Je lui disais que j'étais la victime de leur égoïsme à tous les deux. Qu'ils étaient pareils sur ce plan-là. Uniquement préoccupés de leur regard l'un sur l'autre. Que la fameuse photo prise dans la campagne, dans la même position, en appui sur le même poteau, en témoignait. Qu'ils s'étaient pris chacun comme le miroir de l'autre. Que j'avais été sacrifiée à ça. (p.176)
- Vous êtes bien tous les deux ? C'est fini ça, non ? Tu es bien avec Claude. Non ?
- On s'aime beaucoup mais c'est pas toujours facile. Ce que j'ai vécu m'empêche de vivre bien.
(...)
J'aimerais bien qu'il prenne conscience qu'il a foutu ma vie en l'air, tu vois. C'est tout. (p.161)
— La semaine dernière, il y avait une émission à la télévision, je ne sais pas si vous l’avez regardée…
— De Jean-Luc Delarue. Oui, en partie.
— Plusieurs victimes reconnaissaient avoir éprouvé du plaisir…
— Ah ben… il faut bien participer un peu au bla bla, et à la vulgarité ordinaire, de la plupart des conversations sexuelles, surtout à la télé, sur le mode « on va pas se mentir », « il faut dire ce qui est », et compagnie. Ces victimes, alors qu’elles sont vues comme des pestiférées, vous croyez qu’elles avaient envie d’ajouter cette honte-là à leur palmarès ? Elles pouvaient faire autrement, vous pensez, dans leur situation, que d’essayer d’avoir l’air cool, avec la sexualité, comme tout le monde, comme celui qui les interrogeait, les gens qui regardent, etc. Pour se sentir un peu intégrées. C’est la question qui est obscène. Ça m’a révoltée. L’inceste est une mise en esclavage. Ça détricote les rapports sociaux, le langage, la pensée… vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c’est qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de votre mère, le père de votre sœur ? L’inceste s’attaque aux premiers mots du bébé qui apprend à se situer, papa, maman, et détruit toute la vérité du vocabulaire dans la foulée.