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Citations de Daniel Rondeau (127)


Caronpaul avait assisté à la lente paupérisation,de notre métier. Il m’a refait toute l'histoire. Les exigences racoleuses, le goût pour les titres vendeurs et tant pis s'ils sont mensongers, l'exemple étant venu d'en haut, de nos quotidiens dits de référence, mais aussi du meilleur de la presse américaine, la prolétarisation des journalistes de plus en plus mal payés et astreints à la double contrainte du papier et du site qu'ils devaient alimenter, l'acculturation de la génération montante, l'effacement progressif de toute idée de nuance.

« Ce qui est le plus gênant, ce n'est pas seulement l'ignorance des jeunes journalistes, mais leur mépris des faits, ils se pensent au service du Bien. »

Je ne me sentais pas très différente de mes confrères qu'il dénonçait. Mon niveau de culture n'était pas brillant, et ce n'était pas l'Ecole qui l'avait relevé.
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«En préparant la messe, ce matin, je me suis souvenu d'un détail qui m'avait échappé.

— Je vous en prie.

— Ça n’a peut-être aucune importance, mais... Voilà, le jour où j'ai découvert le corps à l'hôpital Mater Dei, en arrivant, j’ai vu un homme courir, entrer dans sa voiture et démarrer en trombe.. .

— Vous n’avez pas noté le numéro...

— C'était une Range Rover d'un modèle ancien, couleur marron, assez fatiguée. Et sa plaque: MAT 2 11.

— Pour un homme qui ne se souvenait de rien. ..

— Ce matin, j’ai cherché une référence à l'Évangile de saint Matthieu, l'histoire des mages, qui arrivent dans la maison où Marie vient d'accoucher, et lui offrent de l'encens, de la myrrhe et de l’or. Pour nous, ce texte est référencé Mat, 2-11. J'ai repensé à cette voiture... »
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L'employée, une petite brune de son âge, cheveux courts, assez forte, l'accueille avec un demi-sourire professionnel, adapté aux circonstances :

«Vous avez réfléchi au cercueil ? Quel âge avait votre père?

— Soixante-quatorze ans.

— Nous avons des cercueils pour les baby-boomers. En général, ils aimaient le rock et le football. Nous avons un modèle Azur foot, qui touche avec brio les amoureux du stade. Un modèle Gibson éternité, très étonnant, pour les fans de guitare... Dans le même genre, nous avons un modèle Vagabond, en forme de camping-car, les gens de cette génération aimaient les voyages et la liberté. Ils avaient raison d'ailleurs...

— Je préférerais plus classique.

— Nous avons un modèle très simple, il s'appelle Papa.

— Papa conviendra.
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À l'intersection du decumanus et du cardo, je me suis arrêté sous l'arc de triomphe édifié en 203 à l'occasion d'une visite de l'empereur Septime Sévère dans sa ville natale.

Leptis Magna vivait alors à l'heure de Rome, et sur le même tempo. Leptis est l'un de ces «îlots d'orgueil civique dont les Romains avaient parsemé l'Afrique du Nord», comme l'écrit Peter Brown. Big business, art de vivre, thermes, salute per aqua (spa), orateurs, juristes, gladiateurs. L'autre arc de Septime, l'une des merveilles de la Ville éternelle, au pied du Capitole, avait d'ailleurs été construit exactement la même année, en 203.

Rome s’était choisi un prince africain. Carthage était vengée.
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Daniel Rondeau
Cette sortie d'usine coïncida avec l'autodissolution de la Gauche prolétarienne. J'étais deux fois dehors. Nos belles idées refroidissaient d'un seul coup. Les événements leur avaient mis du plomb dans l'aile. L'énergie ne m'avait jamais fait défaut. Après cette douloureuse matinée, j'en manquais. J'imaginais difficilement l'avenir.
J'avais tenté d'être un militant concret de la démocratie directe. Je retrouve aujourd'hui dans Péguy une citation qui nous serait allée comme un gant: "Nous voulions qu'un assainissement du monde ouvrier, remontant de proche en proche, assaînit le monde bourgeois et ainsi toute la société, et la cité même." (" L'Enthousiasme", quai Voltaire, mai 1988, p. 128)
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L'aube s'étendait sur les champs de part et d'autre de la nationale. On apercevait toute la plaine, couverte d'une forêt d'éoliennes. Leurs troncs de ferraille, leurs pales puissantes qui chatouillaient le plafond bas des nuages, les faisaient ressembler à des monstres squelettiques et blancs.

« Franchement, s'exclama Didier, non seulement ils nous empêchent de travailler et de vivre, mais ils massacrent notre pays. Pour rien. »
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Il y a beaucoup de femmes au rond-point du soir. Elles commentent l’actualité du jour et les petites phrases des politiciens, elles rient, jettent des palettes dans le feu et chantent La Marseillaise. Domitilla, une étudiante italienne installée à Bar, leur apprend les paroles de Bella Ciao. Des habitués les rejoignent tous les soirs. Pour discuter. Domitilla explique : « Notre petit rond-point, c'est un peu comme la Sorbonne en 68...» Beaucoup d'interrogations dans ces discussions. Quel avenir pour nos enfants ? Comment vont-ils vivre ? Comment vaincre le chômage ? Faire revenir notre industrie ? Beaucoup d'angoisses aussi, pas toujours formulées très clairement. La vie chère, l’impression d'étouffer, de ne plus reconnaître son pays, l’Europe qui décide tout à notre place et impose ses normes à nos fromages et à notre sexualité.
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Lambertin s'exprime d'une voix un peu éraillée, bienveillante, sans arrogance, en jouant de son physique d'homme à la fois énergique et las, qui en a vu beaucoup et qui sait qu'un certain désespoir est le prix à payer pour accepter la réalité. Il commence par faire un point rapide sur le débat juridique qui pollue tous les esprits depuis la mise en place de l'état d'urgence.

«Vous savez tous que nous avons deux armes juridiques à notre disposition. La justice administrative, qui agit de façon préventive, la justice pénale, qui se met en branle après le passage à l'acte criminel. Au fil des décennies, la justice administrative a été vidée de son contenu au profit du juge pénal qui serait seul garant des libertés individuelles. Admissible en temps de paix, cet équilibre ne répond plus à la situation à laquelle nous contraint l'urgence terroriste. »

Le Premier ministre, qui l'écoute avec des hochements de tête approbateurs, l'interrompt :

«Monsieur le conseiller spécial, vous voulez dire que nous les connaissons mais nous ne les arrêtons ou mettons hors detat de nuire qu'une fois qu'ils ont commis leurs crimes ?

— Affirmatif, monsieur le Premier ministre. »
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Jeannette appelle du bus son collègue de l’AFP à Rome, côtoyé à Libé dans les années héroïques. Elle lui explique la situation. Il la laisse parler sans faire de commentaire.
«Ça vaut peut-être une dépêche, non ? conclut-elle.

— Tu me réveilles pour deux clandestins, qui sont vivants en plus ? Franchement, où est l'info ?

— Tout le monde les pensait morts depuis une semaine, c'est un miracle.

— Je crois que tu es complètement déconnectée. Tu sais combien de migrants ont crevé en mer depuis dix ans ? Tu le sais ? Non tu ne le sais pas ! Eh bien je vais te le dire : vingt mille ! Tu sais combien j'ai fait de dépêches pour l'Agence ? Trois ! Alors, avec tes deux enfants du miracle ! Je te le répète : tu ne sais plus ce que c'est que le journalisme ! Déconnectée, t'es complètement déconnectee. AFP, cela ne veut pas dire Agence Femme Presse. »

Une façon de lui rappeler qu'elle est une has been. Quand je pense qu’à Libé, ce minable me léchait les bottes pour arriver à passer un petit papier, la plupart du temps sans intérêt, dans les pages du service étranger.
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Le conteur allume une Gitane, il commence en douceur. Récit géographique. On est loin de Bayel. Une mer violette, une ville, une île, Venise, Murano. Des pâtes de verre lumineuses. Puis le sombre d'une forêt, « la nôtre ! », la forêt d'Orient, Clairvaux. Une histoire s'anime. Il fait sortir des frondaisons les générations de braves qui allument le feu et qui l'entretiennent, ceux qui travaillent douze heures par jour, sept jours par semaine, puis il passe à l'énoncé de la matière, le sable, la potasse, le plomb.

Baïonnette ménage ses effets avant l’entrée en scène de ceux qui affrontent la matière en fusion, lui donnent forme et vie, à main levée ou dans un moule, et la soufflent au bout de leur canne. Il tient les deux gamines en haleine, leurs visages rayonnent. Il termine en évoquant des verriers, « mes anciens copains... », qu'il appelle l'un après l'autre, d'une voix solennelle, comme s’il lisait l'obituaire de la Cristallerie : « Piot, Perrin, Ogier, Avril, Mouilleron, Jacquot, Caïmen, Racoillet, etc. » Et puis c'est la chute. Chaque mot détaché, pour ne rien perdre de sa densité : « Disparus au champ d'honneur du travail français. »
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Un jour, Lech a garé son camion sur une aire de repos et sa vie s'est arrêtée. Je m'étais demandé si ce crime n'avait pas quelque chose à voir avec les arnaques concernant le made in France. Sa cargaison de textile fabriquée à Jaworzno était étiquetée « fabriquée en France » dès son arrivée à Troyes. Mais j'ai abandonné cette piste.

Les appellations trompeuses se multiplient, dans le vêtement, l'alimentaire (miel, huile d'olive) et dans des secteurs encore plus vitaux comme celui des médicaments, massivement fabriqués en Chine et souvent reconditionnés de façon frauduleuse quand ils sont déchargés des conteneurs dans les ports européens. Tout le monde ferme les yeux sur ces escroqueries à grande échelle qui accompagnent la désindustrialisation de notre pays. Kasperet n'était qu’un chauffeur, un pion parmi des milliers d'autres dans des trafics qui nous dépassent.
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Je veux qu'elle respire les odeurs de la terre à l'endroit où trente siècles auparavant, une femme a fondé une ville neuve, Qart Hadasht, dont nous avons fait Carthage. Carthage, cette branche de l'histoire des hommes qui a été coupée et n’a jamais repoussé, est un bon sujet de méditation pour une jeune fille qui grandit dans un pays menacé par les djihadistes.

Assis l'un contre l'autre sur une pierre, dans les vibrarions de la lumière, nous progressons sans effort dans les renverses du temps. Je lui raconte l'histoire d'un écrivain nommé Thibaudet qui n'avait emporté que trois livres dans son sac de soldat, en 1914. Elle m’a fait répéter plusieurs fois cette phrase tirée de La Campagne avec Thucydide: «Un soldat de 14 pouvait être un homme qui vit avec poésie un moment important de l'Histoire, et comme à l'étape, on puise dans sa main l'eau des sources, confondues ici avec des essences éternelles, en Montaigne, je puisais l'eau de la vie, en Virgile l'eau de la poésie, en Thucydide l'eau de l'Histoire. »
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Une civilisation a prospéré sur cette ile, elle savait naviguer, connaissait le mouvement des astres, était capable de bâtir avec des pierres colossales, de sculpter des corps de femme à la Botero, et elle s'était évanouie.

«Tu crois que l'on se souviendra de la Tunisie dans cinq mille ans ? Et de la France ? » me demanda Rim quand nous faisions la queue sur le parking pour reprendre le ferry du retour. «Peut-être que des archéologues, les Maspero de l’avenir, fouilleront les ruines des Tamaris. Ils retrouveront une photo de nous deux, et ils tenteront d'écrire notre vie.

-Je suis curieuse de savoir ce qu'ils pourront raconter ! »
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Alfredo avait un peu pisté Julien sur Internet et s'était aperçu qu'il avait eu quelques soucis autrefois. Un problème de détention d'images pédophiles. Récemment encore, il aurait participé à des soirées avec des adolescents. Je me suis demandé si j'avais bien fait de lui envoyer un SMS. J'ai aussitôt pensé à BMM qui devait tout ignorer de cette partie de la vie de Julien. J'étais en train de ramasser les morceaux d'un puzzle qui racontait une histoire glauque. Était-ce vraiment ce que j'avais désiré ? Je leur ai quand même demandé s'ils connaissaient cette facette de sa personnalité.

« II ne s'en cachait pas, dit Alfredo, au moins avec nous. Pour lui, le combat pour la libération de la pédophilie était la suite logique du combat pour l'homosexualité. Il assurait que les mœurs allaient continuer d'évoluer comme elles l'avaient déjà fait. Qui aurait imaginé le mariage gay il y a vingt ans ? Eusèbe avait organisé une de nos soirées autour de lui, pour qu'il nous explique son parcours. Julien était l'un des pionniers de l'écologie. Il avait développé ses idées sur la pédagogie active. Je m'étais dit qu'il avait peut-être été en avance sur son temps. C'était très intéressant. Il prétendait que les enfants aussi pouvaient avoir des désirs, comme les adultes.

Et qu'est-ce que tu en penses ? Maintenant.
Il nous avait convaincus. C'était il y a deux ans. Je dois dire que depuis quelques semaines, je réagis de façon un peu différente. C'est sans doute plus compliqué que je ne croyais... ».

Ils avaient ri tous les deux, un peu trop fort peut-être. Domitilla avait parlé en se caressant le ventre. L'entendre évoquer son éventuelle maternité m'avait choquée.
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Le mystère des temples, de leur destination, de leur rencontre préméditée, scientifiquement organisée avec le premier soleil de solstice, nous sautait à nouveau à la gorge et réveillait nos vies intérieures.

L'intelligence des inconnus qui les avaient déplacées, poinçonnées, forées, assemblées, s'adressait directement à nous. Ces hommes avaient fait sourdre un monde nouveau. Ils nous parlaient, leur langage enjambait les siècles, même s'il nous restait opaque. Ce dialogue avec les ombres avait été celui de toute ma vie. J'avais pu vérifier ce matin-là que j'étais loin d'être blasé.

Aussi attentif qu'au jour de mon arrivée comme stagiaire au musée du Caire, je m'étais mis à tendre silencieusement des fils entre les époques, méditant les chemins qui rattachaient ces batisseurs de temples venus d'Orient aux Phéniciens, aux cercles sacrés des villes romaines, aux premiers rois de Sicile salués comme le Christ et bien sûr à mon nouvel ami, ce cher Frédéric.

L'année qui venait de s'écouler n'était qu'une poussière dans l'infini des jours, mais nous avions pu mesurer son impact sur nos existences minuscules. Nous évoluions dans les mêmes paysages, les mêmes émotions revivaient en nous, mais nous étions différents.
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C'est ainsi que j'ai commencé à vivre avec mon transistor. A douze ans , on peut se faire beaucoup de souci pour la marche du monde. (p. 15)
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L'année qui venait de s'écouler n'était qu'une poussière dans l'infini des jours, mais nous avions pu mesurer son impact sur nos existences minuscules. Nous évoluions dans les mêmes paysages, les mêmes émotions revivaient en nous, mais nous étions différents. De tels retours en arrière sont peut-être nécessaires pour prendre la mesure de nos métamorphoses, que le quotidien maquille avec habileté dans les pages de notre calendrier intérieur, et comprendre à quel point nous sommes dans la main du temps des marionnettes changeantes, presque frivoles parfois. (p445)
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Qu'avions-nous fait ? Nous étions entrés dans les usines avec notre orgueil dans la poche. Nous avions rabaissé notre caquet. Dépouillés de tout, pauvres comme job, nous avions fait montre de solides vertus, à la française, pour conquérir le ciel sur la terre. Soljenitsyne, au moment où un lampiste de la CGT. ouvrait le portail de Permali, refermait avec fracas les portes d'un rêve depuis longtemps défigué. L'histoire , repartant dans un autre sens, liquidait cette vieille succession nommée révolution. Le gauchisme, avait-on dit, était la maladie infantile du communisme. Maladie infantile, mais mortelle. Ce fut notre dernier tribut à la politique. (p. 129)
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Je profitais largement de cette marche qui m'emmenait vers l'usine. Le grand air achevait de me réveiller. Le vent de l'est me tannait le coeur, je me simplifiais. J'étais intégralement libre. J'éprouvais chaque jour les bienfaits du dressage que je m'imposais. Je gagnais de la force. Je me rabotais. (p. 82)
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nous haïssions la démocratie formelle. Nous vénérions le peuple. Nous nous acharnions à découvrir sur les lèvres des sans-voix des principes de raison. leurs balbutiements nous protégèrent de nous-mêmes. (p. 48)
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