Citations de Elisabeth Barillé (167)
La solitude aiguise le regard. Être seul quelque part, c'est se rendre sensible à des choses qu'à deux, occupés l'un par l'autre, on aurait négligées.
Travailler à un livre, c’est courir la chance d’en voir d’autres jaillir à point nommé, ceux-là mêmes qu’on avait cherchés, dans les bibliothèques, sur les quais ou dans nos rêves, des livres qui éclairent et fécondent les nôtres.
Le réel serait-il sensible à nos fictions ?
Le sensible nous promet l’infini ; il arrive même qu’il nous l’offre.
[ Anna Akhmatova]
Un jour, je serai poète, répète-t-elle
En d'autres mots, dans la bouche d'une Russe, née en 1889, à la fin d'un siècle encore attaché-mais pas pour longtemps- à parquer les femmes dans l'enclos des contraintes, je serai libre. En attendant, préparons-nous ! La liberté n'est pas une libellule qu'on attrape par les ailes sur la pointe d'un roseau, un fauve plutôt, tapi dans l'ombre des pulsions. La liberté s'arrache et se mérite. (p.26-27)
Etre libre, c'est s'affranchir des biens tarifés, des plaisirs négociables, c'est réduire sa consommation, réduire ses besoins, aiguiser ses émotions.
(...)
S'affranchir, c'est courir la chance d'atteindre la joie.
L'angoisse est la chance de l'artiste, pensait Modigliani, l'angoisse se travaille, comme le marbre. Tout obstacle franchi accroît la volonté, écrivait-il à son ami Oscar Ghiglia : l'homme qui ne sait pas tirer de son énergie de nouveaux désirs, et presque un nouvel individu, destinés à toujours démolir tout ce qui est resté de vieux et de pourri, pour s'affirmer, n'est pas un homme, c'est un bourgeois, un épicier, ce que tu voudras.
« Ce que j'ai aimé, que je l'aie gardé ou non, je l'aimerai toujours. »
André Breton
Vieillir paraît plus acceptable quand on aime planter des arbres (...) (p. 166)
Chaque couple doit trouver son propre agent de résistance à l'usure des gestes et du coeur. A chaque couple, il faut un ciment. (...)
Notre ciment, et nous le sûmes très vite, serait tout simplement celui où vont se lover les pierres.
Avoir une maison à nous deux, et s'y fixer. (p. 35)
S'endurcir, c'est mettre ses rêves en péril et je n'ai qu'un devoir, les sauver.
On vient vers moi, on s'adresse à moi, on attend de moi la pareille, que je joue ma partition d'être pensant doué d'audition et de parole. Ne pas la jouer m'enfermerait du côté des infréquentables, dans le camp des fous et des folles. C'est sans issue: je dois quitter le velours du silence. (p. 19)
Il sent aussi qu'il pourrait dessiner cette merveilleuse imperfection sans lassitude, jusqu'à la fin des temps. " Je ne veux pas une femme qui me donne des enfants: je veux une femme qui me donne des rêves. " L'astre Nietzsche, à tous les temps forts de sa vie. Modigliani salue le philosophe qui clarifie ses attentes. (p. 86)
A ce sujet, Vika conseille de ne jamais me séparer de mon passeport, j'apprends aussi comment dire : je suis en Russie sur l'invitation des autorités françaises, c'est à moitié vrai, mais Vika prétend que le mensonge est la langue du pays. La seule vraiment ? Vika s'amuse de mon innocence.
Car on peut demander protection à une oeuvre, n'est-ce-pas, on peut s'y réfugier comme à l'intérieur d'une place forte. (p. 137)
Pour Eugénie Modigliani [mère de l'artiste ], les livres fécondent la richesse intérieure; pour Laure, sa jeune soeur, ils servent la révolution.
Laure Garsin: une fausse fragile, dévorée d'impossible, une Camille Claudel sans oeuvre, une Louise Michel privée de barricades. La tante idéale quand on soutient que la sagesse consiste à avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue. (p. 72)
C'est de la pierre que tout part, affirme Brancusi.
Et Rodin ? demande Modigliani.
Brancusi a été son élève, quelques semaines seulement, juste le temps d'apprendre que rien de bon ne peut pousser à l'ombre des grands arbres.
J'ai étudié auprès de lui pour m'affranchir de ses méthodes. Rodin imposait sa volonté au chaos de la matière. Rodin modelait et malaxait la terre comme personne.
Du génie, mais trop de boue !
Modigliani sourit de son bon mot.
Qu'on travaille le bois, le marbre ou la pierre, la matière commande la forme, poursuit Brancusi.
Tout part de la matière, répète-t-il comme un mantra. Il n'y a donc qu'une voie possible : la taille directe. Attaquer le bloc ; si quelque erreur gâche le travail, reprendre un autre bloc et recommencer.
(...) il avait réalisé que les tableaux qu'il avait aimés au premier coup d'oeil procédaient de l'harmonie qui l'entourait (...) Il aurait pu s'en tenir là. Cette beauté économe, sans chichis. Il aurait pu la recevoir les mains ouvertes. vivre d'elle et en elle, sans rien vouloir d'autre. Mais ce don n'avait pas suffi. Il avait voulu posséder. Du matériel, du tangible. Un tableau, deux tableaux, trois tableaux, chaque nouvel achat ne faisant que creuser en lui le besoin d'en acquérir d'autres. (p. 216)
C'est de la pierre que tout part, affirme Brancusi.
Et Rodin ? demande Modigliani.
Brancusi a été son élève, quelques semaines seulement, juste le temps d'apprendre que rien de bon ne peut pousser à l'ombre des grands hommes. (p. 82)
Il [Modigliani ] était né pour la joie, il ne la trouve nulle part, sinon par foudroiement, devant des Cézanne, son maître en profondeur. (p. 67)