Les experts ne sont pas d’accord entre eux quant au sens réel à donner à ce livre. Certains en font un véritable acte de résistance au nazisme, courageux et profond ; certains lui attribuent une force visionnaire, le prince de Sunmyra, échouant à abattre le Grand Forestier, pouvant évoquer le comte Stauffenberg ; d’autres enfin semblent considérer que le côté éminemment cryptique du roman autorise toutes les interprétations, sans qu’aucune certitude ne puisse être validée.
Et, effectivement, le roman est cryptique. Dans un lieu imaginaire, une sorte de marina qui serait au cœur de la Burgondie, deux anciens soldats tentent de reconstruire leur vie, ou, du moins, de lui redonner un sens.
Et, quoi qu’il en soit, que le Grand Forestier soit une allégorie d’Hitler, de Staline, une préfiguration visionnaire de Pol Pot ou une critique de Napoléon – après tout, le romantisme allemand s’est, en partie, construit en opposition au rationalisme des Lumières et à la tyrannie incarnée par la Terreur révolutionnaire et par Napoléon -, l’intérêt de ce livre est son universalité. En effet, le phénomène décrit – la montée d’une tyrannie – peut finalement s’appliquer à toutes les époques, à tous les espaces géographiques…
Le narrateur et frère Othon recherchent, au début du livre, l’ordre. Leurs activités respectives – bibliothécaire et botaniste – sont typiquement des activités d’ordre, d’organisation, dans lesquelles la rationalité et la classification – Dewey d’un côté, Linné de l’autre – proposent un cadre strict, qui constitue plus largement une vision d’un monde cohérent, accessible, compréhensible. Mais l’ordre finit par céder, face aux attaques insidieuses du chaos, représenté ici par les hordes du Grand Forestier, une sorte de force brutale, naturelle, non disciplinée.
Cette opposition entre l’ordre et la nature, c’est également celle de la connaissance et de la force. Et l’équilibre qui s’instaure entre ces deux forces demeure toujours instable.
On peut d’ailleurs se demander si les falaises de marbre qui figurent dans le titre du roman – et dont on aurait pu, très probablement, se dispenser, car elles ne jouent qu’un rôle très limitée et assez dispensable dans l’histoire – ne seraient pas une référence additionnelle à cette notion d’ordre. En l’occurrence, ici, un ordre vertical. Un ordre vertical irait de la noblesse, représentée ici par le prince Sunmyra – qu’il soit ou non une évocation anticipatoire du comte Stauffenberg -.
L’écriture est belle, le sujet abordé important. La seule raison de ne pas lire ce livre, c’est lorsque l’on veut se cantonner à lire pour un divertissement pur. Ce livre fait réfléchir, il est probablement fait pour cela, et ce serait passer à côté que de le lire sans se poser de questions…
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