Nombreux sont les souvenirs que Fabrice Lardreau agite dans « Nord absolu », son dernier roman, à paraître dans le sillage de la rentrée littéraire d’automne 2009. Peu drôles, les souvenirs : dans un Etat imaginaire, un leader populiste fort bien nommé Stalitlën est en passe d’être élu président, les élections battent leur plein, la foule manifeste dans la rue, et c’est dans ce cadre que sera scellé le destin de Paul Janüs, présenté comme le personnage principal du roman, et celui de Philip Niels… également présenté comme le personnage principal du roman.
Seule la fin du roman permet de comprendre pleinement pourquoi tout commence et s’achève sur le ton d’un cicérone qui parle à un groupe de touristes. En début de lecture, cependant, c’est une solution commode pour accrocher le lecteur en l’interpellant (usage du « vous ») et lui présenter un pays que, par la force des choses, il ne connaît pas. Cela permet par ailleurs à l’auteur de réaliser un travelling avant, commençant par une vue d’ensemble de la ville de Medisën et aboutissant, sur un ton plus classique écrit à la troisième personne, sur les personnages de Jane et Paul Janüs, bloqués par un contrôle de police.
Paul Janüs ? Un personnage bien nommé ! Tout au long du récit, il cultive une ambivalence certaine, une personnalité à deux visages, à l’instar de la divinité romaine. Fondamentalement, il est favorable au candidat Stalitlën – contrairement à Jane, sa compagne de vie. Il s’engage par ailleurs, sans enthousiasme, à parrainer une fille norda – alors que les Nordas, peuple du nord à la société spécifique (religion, culture, population jeune, tout cela présenté dans un collage très théorique), sont, dans la rhétorique du leader populiste, l’ennemi à éliminer. Choisir son camp ? Comme tant de gens de nos jours, il n’en aura pas la force, ou trop tard : c’est le destin qui le rabattra dans le camp de Stalitlën.
Stalitlën porte lui aussi un nom qui suggère au moins deux personnalités. Certes, nous avons affaire à un leader populiste démagogue, désireux de contrôler les arts comme certains de ses modèles, et la campagne électorale en cours, telle que dépeinte par l’auteur, fait penser à celle tenue en France en 2002. Mais le romancier est bien trop fin pour se prêter à un jeu aussi sommaire. Le nom de Stalitlën est suffisamment transparent pour montrer qu’en politique, les extrêmes sont de tous bords. Et ce qu’on lit en filigrane, c’est qu’il arrive que les candidats les moins fréquentables arrivent à la présidence par les voies les plus démocratiques qui soient – que cette démocratie soit réelle ou de façade.
Deux ? On l’a compris, ce roman se nourrit de dualités, de doubles fonds, de jeux entre apparences et réalités. Encore un élément, de structure celui-ci : « Nord absolu » est constitué comme un roman à deux voix alternées, Paul Janüs occupant le devant de la scène des chapitres impairs alors que Philip Niels, héros de la nation, enquête sur son voisin disparu dans les chapitres pairs, écrits à la première personne, dans une ambiance légèrement différente. Deux voix, donc deux histoires… Quel est le fin mot de l’affaire ? Rendez-vous à la fin d’un récit dense qui offre un excellent moment de lecture et parvient à poser, mine de rien, quelques questions sur le monde d’hier et d’aujourd’hui. Cela, et ce n’est pas la moindre des qualités de l’auteur, sans porter de jugement.
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