AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Franz Kafka (1119)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le Procès

Le Procès est une sorte de farce douce-amère à visée philosophique. Franz Kafka n'est pas si loin, avec son Procès, de l'esprit de Voltaire et cette farce pince-sans-rire nous pose, avec beaucoup de gravité, les deux questions suivantes :

Qu'est-ce que la culpabilité ?

Qu'est-ce que la loi ?



De mon point de vue, on s'inscrit pleinement dans une démarche philosophique, même si le versant de satire sociale ne peut être exclu.

Le Procès met mal à l'aise. C'est voulu. Il nous oblige à prendre position. C'est voulu également.



Nul ne peut prétendre avoir tout compris, tout vu, tout senti de cette oeuvre tellement particulière. Sur cent lecteurs du Procès, vous aurez cent (voire plus) interprétations fort différentes des mêmes passages.



Cela vient pour une part de l'écriture même de Kafka, une sorte d'écriture onirique, qui s'apparente à la réalité, sans jamais en être, exactement comme dans le processus mystérieux de nos rêves ou de nos cauchemars. (J'y vois d'ailleurs une nette parenté avec la fin d'Alice au Pays des Merveilles et ne serais pas surprise qu'elle ait inspiré ce livre.) Des situations occlusives, obstruées, sans issue, loufoques, où l'on est tombé en croyant dur comme fer avoir gardé le contrôle de bout en bout et d'où l'on sort, sans davantage savoir pourquoi ni comment.



Cela provient aussi de l'histoire propre et de la genèse de l'oeuvre, non achevée, non destinée à être publiée en l'état et d'ailleurs publiée contre l'avis même de l'auteur qui, mourant, s'était opposé à la publication de ses travaux en cours. Certains liens peuvent donc sembler manquer, mais ce n'est absolument pas dommageable pour la lecture car l'un des effets d'écriture de Kafka est justement de distiller adroitement des informations incohérentes ou non corrélées qui sèment le trouble à dessein.



Nous voici donc aux prises avec un homme, Joseph K., fondé de pouvoir dans une banque, qui, un beau matin, voit arriver chez lui deux gaillards, qui lui stipulent qu'il est arrêté. Lui est innocent, du moins, c'est ce qu'il dit. Mais l'est-il vraiment ? Pour quel motif est-il arrêté ? Nul ne le dit, mais " La Loi ", le sait, et ses voies sont impénétrables, elles aussi. Son procès commence mais nul ne sait où, pourquoi ni comment, ni sur quels documents ni qui en sont les acteurs judiciaires.



Franz Kafka décrit le lent processus d'aliénation mentale que crée cette situation d'incertitude, de non-dits, d'annonces contradictoires, d'attentes interminables confrontées aux démons de la solitude.



On a, après la mort de Kafka et à la lueur des événements survenus dans les grandes dictatures communistes, interprété le Procès comme prémonitoire à ce genre d'excès. Ce n'est pas le parti que je prends, et je crois qu'on a beaucoup surinterprété certains aspects du roman en en occultant d'autres, même si je comprends le parti pris politique et le trouve défendable.



Je crois surtout qu'on néglige beaucoup l'humour contenu dans cette oeuvre bien que, de prime abord, elle ne viennent pas tout de suite à l'esprit comme un livre drôle, et pourtant. de même, on n'interprète pas ou peu, ou dans un sens bien obscur, le rôle et le comportement des femmes dans le Procès.



Pourquoi quasiment toutes les femmes plus ou moins désirables s'amourachent-elles toutes de K. lorsqu'il est accusé et ne semblaient-elles pas le faire avant ? L'une d'elle, Leni, fournit une explication peu plausible qui nous questionne furieusement : " Lorsqu'un homme est arrêté et accusé, il devient plus beau. " Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que cherche à nous dire Kafka ? Peu loquace sont les commentateurs sur ce point...



Non, ce qui a retenu l'attention c'est surtout le questionnement d'ordre métaphysique que propose Kafka, et c'est vrai que là, c'est du lourd. Dans l'une des scènes, K., pour assurer sa défense, s'ingénie à rechercher toutes les actions qu'il a commises avant son arrestation.



Ce passage en particulier me paraît très intéressant car qui, parmi les innocents que nous sommes ou que nous croyons être, peut regarder l'ensemble de ce qu'il a fait et se dire qu'il n'a jamais été coupable de quoi que ce soit envers qui que ce soit ?



L'autre axe fort du roman, notamment au travers du seul chapitre publié du vivant de l'auteur, Dans La Cathédrale, qui met en scène la parabole du gardien et de la forteresse Loi, nous interpelle sur ce qu'est la loi. La loi dit-elle toujours la vérité ? Prend-elle toujours le parti du juste ? Qui fait la loi ? Pour qui ? Qui connaît la loi ? etc. Autant de questions qu'il est troublant de se poser et que le Procès nous oblige à nous poser.



Je ne peux pas dire que la lecture m'ait toujours enthousiasmée mais il est indubitable que ce livre nous questionne jusques aux tréfonds de nous-même avec une force suffisamment rare pour être qualifiée d'exceptionnelle. Si vous ne vous sentez pas le courage de lire tout ce livre, les deux chapitres vraiment très forts, que je vous conseille absolument, pour des raisons différentes, sont celui intitulé Début de L'Instruction et celui intitulé Dans La Cathédrale.



En somme, tout ceci concourt à faire de ce livre bizarre, dérangeant, iconoclaste un incontournable, mais tel n'est là que mon avis, ne m'en faites pas procès car il ne signifie sans doute pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          2158
Le Château

J'ai terminé la lecture du Château il y a un mois environ ; j'ai sciemment laissé infuser en moi les impressions produites par ce roman avant de tenter une quelconque manoeuvre d'organisation de ma pensée à son propos.



Je viens de relire les contributions de plusieurs commentateurs de Babelio, toutes très pertinentes : celle de JacobBenayoune, par exemple, offrant un panorama très intéressant du déroulé de la narration ; celle de Bobby_The_Rasta_Lama, beaucoup plus interprétative, notamment sur la dimension d'oppression générée par le système, sur le rôle joué par chacun dans la perpétuation de ce système ; celle de Luniver, très interprétative également, mais selon d'autres dimensions de l'oeuvre, notamment celle des faux-semblants ou de la critique de la machinerie administrative ; celle de CorinneCo, qui insiste, elle, sur la symbolique même du château, sur l'ombre qu'il renferme, sur son origine pragoise ; celle de dourvach qui replace cette oeuvre à la croisée de ses influences culturelles multiples, tant reçues que suscitées…



On pourrait prolonger ainsi la « revue de presse babélienne » quasi indéfiniment. Toutes ces recensions insistent sur le caractère trouble, insaisissable du roman, sur cette grille à très multiples entrées, sur la nécessité — ou l'impossibilité — d'interpréter cet écrit qui, a priori, résiste à notre entendement. Tous insistent sur le côté à la fois cauchemardesque, parfois drôle, souvent incohérent et déstabilisant de la narration, en gros, le fait qu'on ne sache jamais si c'est du lard ou du cochon.



Bon, nous voilà bien avancés avec ça ! Tous les commentateurs ont précisé également que l'oeuvre était inachevée, et c'est par là qu'il me faut, je pense, commencer à cheminer dans mes réflexions. Je n'ai pas lu énormément de comparaisons entre le Procès et le Château, pourtant, tant le nom du protagoniste que l'ambiance générale devraient nous y inciter : même pataugeage dans les arcanes d'une administration, même incompréhension, même sentiment de stagnation, de verrous à tous les niveaux.



Toutefois, il y avait quelque chose de très, très clair dans le Procès, qui n'apparaît pas ici : Franz Kafka nous posait intimement deux questions limpides qui étaient : Qu'est-ce que la culpabilité ? Qu'est-ce que la loi ? Il y avait un sens très net au roman : tout le Procès consistait à nous faire nous questionner sur ces notions. Personnellement, je pense que si le Château n'est pas aussi net dans le questionnement qu'il suscite, c'est justement en raison de son inachèvement. Plusieurs commentateurs évoquent le fait que l'auteur aurait eu l'intention de faire mourir K. d'épuisement à la fin… oui, bon, et après ? Est-ce très différent de la fin de Joseph K dans le Procès ? Ça ne me semble pas être un élément crucial, ni même le plus intéressant.



Ainsi, le sens final à donner au roman demeure ambigu, mais, je le répète car je crois que c'est important de le garder à l'esprit, selon moi, ceci est directement imputable à son inachèvement : Kafka semblait très bien savoir où il allait, et le dernier chapitre s'arrête au beau milieu d'une phrase, comme pour nous rappeler que tout n'avait pas encore était façonné de l'oeuvre. Pourtant, il y a quelques éléments qui me semblent parlants et qui n'ont pas été relevés dans les commentaires que j'ai mentionnés : le premier, le plus évident de tous, est la symbolique propre de l'arpenteur.



Franz Kafka nous dit, nous répète à longueur de roman, que K. est arpenteur. D'aucuns prétexteront volontiers que cette profession est tout à fait anecdotique et que l'auteur aurait pu en choisir bien d'autres. Certes, mais il s'avère qu'il a choisi celle-là : c'est une profession qui n'est ni très répandue, ni dénuée de connotations, ce me semble. Que fait un arpenteur ? Il prend des mesures, il donne la mesure. La mesure de quoi ? D'un terrain, d'un espace.



Aussi conçoit-on que lorsqu'il s'agit d'une autorité donnée, le domaine sur lequel va s'exercer son pouvoir revêt tout de même quelque importance. En l'espèce, nous avons ici affaire à un Château, qui symbolise l'expression d'un pouvoir, d'un gouvernement et un certain K., qui pénètre dans la circonscription du Château — manifestement sans y avoir été convié — en qualité d'arpenteur, c'est-à-dire, de celui qui doit reprendre, vérifier, redéfinir les mesures des terrains sur lesquels s'exercent les lois édictées par le Château, ou, du moins, dont il est le garant de l'exécution.



On comprend que l'accueil reçu ne soit pas des plus chaleureux. Qu'est-il, ce K. ? Un étranger : il ne connaît rien des us et coutumes locales. Mais il veut tout de même s'imposer, avoir à la fois une place et jouir d'un certain respect de la part des autochtones, qui tous l'éventent à trois kilomètres et n'ont de cesse de le chasser de chez eux. On lui fait comprendre à tout bout de champ qu'il n'a pas sa place dans le village, que la vie se déroulait très bien sans lui auparavant.



On sait que Kafka et Max Brod, par l'entremise duquel le roman nous est parvenu, étaient des sionistes convaincus, et la tragédie de K. dans tout le Château, c'est de n'avoir nulle part où aller. D'où son insistance à vouloir coûte que coûte obtenir une place dans le village ou au sein de l'administration du Château, quitte à devenir concierge de l'école ou simple serviteur. Ce qu'il veut, avant tout, c'est être accepté en tant que K., avec ses exigences, qui ne sont pas si nombreuses, mais sur lesquelles il sait se montrer inflexible. Ça me paraît refléter très exactement l'ordinaire de la condition juive de l'époque en Europe.



J'en veux pour preuve un autre élément, qui n'est pas souvent mentionné par les commentateurs, et qui, pourtant, crève les yeux : il s'agit du destin de la famille d'Amalia (en plus de son cas particulier à elle, on nous parle abondamment de son frère Barnabas et de sa soeur Olga). Rien qu'en termes volumétriques, c'est impressionnant. Il nous est parvenu 25 chapitres du Château, les chapitres 2, 15, 16, 17, 18, 19 et 20 ne traitent que de ça, laissant quasiment tomber le fil de la narration principale centrée autour de K. (et accessoirement de Frieda).



Pourquoi Kafka irait-il s'encombrer d'un gros machin qui n'a aucun rapport — semble-t-il de prime abord — avec le reste, si ça n'était pas un élément important à ses yeux ? Que nous racontent-ils, ces épisodes ? La relégation d'une famille, victime de on-dit et d'accusations fallacieuses, pour avoir refusé de faire les yeux doux à un fonctionnaire. D'après moi, ça sent l'affaire Dreyfus à plein nez, et tout plein d'autres cas plus ou moins similaires de par le monde à cette époque-là. Olga précise que son père a tout fait pour réhabiliter sa famille, en pure perte, au propre comme au figuré. Si ça, ça n'est pas une évocation, une allégorie de la condition de la minorité juive, ou, à tout le moins, du sort subit par certains Juifs d'Europe à cette époque-là, je ne m'y connais plus sur rien.



Mais ce n'est pas tout. K. est jugé responsable de tous les maux endurés par tous ou presque. La patronne de l'auberge accuse K. de lui avoir troublé sa tranquillité, d'avoir perdu la réputation de Frieda (tout allait si bien pour elle avant sa venue !), même Pepi, à la fin, l'air de rien, lui dit en substance : « T'es un brave gars, K., mais c'est à cause de toi que j'ai perdu ma bonne place au bar. » le maire lui fait entendre la même chose, l'instituteur également, l'alerte donnée à l'hôtel des messieurs, bref, tout est de sa faute. Voilà encore un très grand classique du « mal universel apporté par les Juifs », tel que le définissent les ennemis de tout temps et de tout poil du peuple juif.



Voilà dégagé, selon moi, un premier axe, une première potentialité interprétative non négligeable du roman. Il y en a d'autres, vous vous en doutez. le Procès nous interrogeait sur Qu'est-ce que la culpabilité ? et Qu'est-ce que la loi ? J'ai le sentiment que le Château nous interroge sur Qu'est-ce que le pouvoir (ou le gouvernement) ? et Comment s'exerce ce pouvoir ?



Beaucoup de commentateurs ont mentionné le portrait corrosif que Franz Kafka dresse de l'administration, de son incroyable vacuité, de son inutilité, finalement. Si l'on regarde l'histoire récente et que notre regard se tourne très légèrement du côté de la Belgique des années 2010-2011 et ses 541 jours sans gouvernement (environ un an et demi), on s'aperçoit que la Belgique n'a pas été plus mal gérée avec que sans son gouvernement (beaucoup de nos amis belges affirment même que c'était beaucoup mieux). Est-ce la preuve que le gouvernement ne sert à rien ? Personnellement, j'aurais tendance à le croire.



David Graeber dans son ouvrage fameux Bullshit jobs souligne le caractère éminemment inutile, voire nocif de beaucoup de professions administratives — qu'elles soient du public ou du privé d'ailleurs, car, c'est simplement une question de taille : il est rare qu'une entreprise privée atteigne la taille d'une administration publique, mais si par hasard elle l'atteint, on y retrouve la même quantité d'échelons creux et dénués d'utilité que dans n'importe quelle administration publique. Plus la distance est grande entre les décideurs effectifs et ceux qui exécutent concrètement les tâches, plus il y a de boulots à la con : le corps de la pyramide est toujours creux, seuls comptent la base et le sommet.



Ainsi, dans le Château, l'auteur nous décrit une administration nébuleuse : on ne sait jamais trop qui prend les décisions, ni même s'il y a des décisions de prises. Finalement, le Château, en tant que gouvernement, est plutôt discret. Ce qui l'est moins, en revanche, ce sont tous ces rouages intermédiaires de l'exécution concrète du pouvoir. Et là Kafka nous interroge énormément : est-ce le gouvernement qui exige toutes ces choses ou sont-ce les innombrables corps intermédiaires ? le Château est avant tout l'idée qu'on s'en fait, on essaie de deviner par avance ce qui plaira ou ce qui ne plaira pas à Klamm, le représentant, l'incarnation de l'administration, sans même qu'il ait demandé ni stipulé quoi que ce soit. En somme, l'enfer, le monde kafkaïen, c'est avant tout le fait de chacun de ces acteurs, qui par leur comportement, par leurs actions supposées utiles, rendent la vie de tous imbuvable.



On a souvent parlé du fait que Kafka aurait anticipé les grandes dictatures du XXe siècle. Parlons-en des dictatures du XXe siècle : derrière les affres du stalinisme, qui y avait-il ? Monsieur Tout-le-monde, qui bien gentiment dénonçait son voisin, pour un intérêt quelconque, règlement de compte ou simple espoir de s'approprier son logement jugé plus spacieux et confortable que le sien. Un système horrible n'est horrible que parce que les gens sont partie prenante de ce système. Si tout le monde disait non, il n'y aurait plus de système. Stanley Milgram développe abondamment et apporte des éléments scientifiques à l'appui de cette affirmation dans son remarquable ouvrage Soumission à l'autorité.



C'est sur ça, je crois, que Kafka nous invite à réfléchir, sur ça plus que sur la lourdeur administrative, qui elle est tout simplement risible et un sous-produit de la multiplication des niveaux de décision. Les babélionautes ont souvent insisté sur le cocasse, le comique inhérent à certaines situations et c'est vrai que certaines le sont : par exemple lorsque la patronne de l'auberge tombe en pamoison en ressortant sa vieille photo pourrie d'un messager du Château en train de s'exercer à sauter par-dessus un fil, ou bien encore lorsque Erlander, au chapitre 24, demande à K. de réintégrer Frieda au bar, non pas parce que cela a perturbé Klamm, dont on nous précise que rien ne le perturbe, mais parce que cela pourrait éventuellement le perturber, et d'ailleurs, que c'est le retour de Frieda qui risque de le perturber, et qu'auquel cas il la fera renvoyer, etc.



On voit bien qu'on n'est plus très loin d'un comique à la Ionesco ou même carrément à la Goscinny, je pense notamment à une scène du 20ème de Cavalerie, où des militaires sont assiégés dans un camp, sans vivres. Lucky Luke demande : « Que font-ils ? » On lui répond : « Ils font semblant d'éplucher des patates. Ce sont les punis de corvée de patates. Ordre du colonel : patates ou pas patates, la vie du 20è de cavalerie doit continuer comme si de rien n'était. » Un maton ajoute : « Et faites semblant de faire des épluchures fines, vous autres ! le colonel fera semblant de les examiner ! »



Mais c'est un certain type d'humour. Beaucoup sont ceux qui ne le verront peut-être pas, car nous sommes ici à la frontière de l'humour et d'autre chose. Personnellement, j'étais pliée en deux en imaginant la scène du messager plissant les yeux sous l'effort en faisant son saut en hauteur et la patronne ne l'ayant vu qu'une fois, gardant ceci comme une relique indépassable. Mais c'est un peu comme en voyant le film Lonesome Jim de Steve Buscemi : certains y voient de l'humour et rigolent, d'autres y voient seulement du tragique et ont un sentiment de malaise.



Voilà pourquoi c'est si dur, l'humour, car ça dépend grandement de ce qu'on a vécu avant. Il n'y a pas à s'affliger de percevoir ou de ne pas percevoir l'humour, à tel ou tel endroit, dans telle ou telle oeuvre, car l'humour découle uniquement de la perception d'un décalage. En fonction de l'endroit d'où l'on part, des référents que l'on possède, on perçoit ou on ne perçoit pas le décalage. C'est exactement comme lorsque Pierre Desproges nous affirme qu'il imite parfaitement l'accent cancéreux de son père, mais qu'en général, ça ne fait rire que sa femme et ses gosses. Certains vous diront que le Château n'est pas drôle du tout. D'autres, comme moi, vous diront qu'il y a des scènes carrément tordantes. La vérité est probablement logée quelque part entre ces deux extrêmes, si tant est qu'on puisse parler jamais de vérité.



Résumons-nous : premier axe, l'enfermement lié à la condition juive, il n'est d'ailleurs pas exclu, dans mon esprit, qu'à l'image d'autres textes de Kafka, il juge qu'une part importante de cet enfermement provienne des rites juifs eux-mêmes, du contrôle omniprésent de la communauté sur l'individu (l'indiscrétion des assistants de K. m'évoquent le regard intrusif de la famille, peu respectueuse de l'intimité de son jeune couple avec Frieda). Deuxième axe, le poids que tous, nous faisons peser sur chacun en appliquant scrupuleusement ces fameuses règles édictées par un pouvoir distant, nébuleux, omniscient et omnipotent, règles qui nous pourrissent la vie à tous et qu'on s'empresse pourtant d'appliquer méticuleusement, avec zèle, en allant parfois plus loin que ce qu'exigerait la règle même.



Troisième axe (car il y a bien plus de deux axes à ce roman, vous vous en doutez). le troisième axe ? Mais où est-il spécifié qu'il faille couvrir tous les axes suscités par un roman au cours d'une critique sur Babélio ? les troisième, quatrième et cinquième axes, ainsi que tous les axes qui m'auront échappé, cherchez-les, vous mêmes, sans l'entremise d'un quelconque échelon administratif supplémentaire : privilégiez les pyramides courtes, directement de Kafka à vous.



Qu'en est-il maintenant de l'impression littéraire produite par la lecture du Château sur moi ? Ouais, bof. J'ai plutôt aimé, mais sans plus : ce ne fut jamais la grosse éclate, littérairement parlant. Pas imbuvable, mais pas jouissif, selon mes propres critères et mes propres sensibilités. Toutefois, comme à chaque fois, comme toujours et à jamais, ça n'est là que mon avis, dont vous savez ce que je pense, et le mieux que l'on puisse faire, c'est toujours de lire un livre pour s'en faire sa propre opinion. Alors, à bon arpenteur, salut !
Commenter  J’apprécie          17616
La métamorphose

Jamais je n'ai lu un récit comme celui-ci !

Court, totalement prégnant, il m'a complètement siphonnée !



Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre en l'ouvrant mais dès la première phrase j'ai fait la connaissance de Gregor, un jeune représentant de commerce itinérant, qui se réveille seul dans sa chambre et n'est plus du tout un jeune homme mais un monstrueux insecte, une sorte de cafard gigantesque !



Dès les premières pages, je me suis sentie oppressée comme si c'était moi qui avait été transformée. Je comprenais avec une acuité extraordinaire à quelles pressions Gregor était soumis de la part de sa famille, de son employeur et de lui-même. Jamais encore un récit fantastique ne m'avait donné autant d'émotion en si peu de pages. Car nous parlons bien ici d'un récit fantastique. Personne, ni Gregor, ni le lecteur et peut-être encore moins le narrateur ne sait pourquoi et comment ce jeune homme qui fait de son mieux pour entretenir sa famille se transforme du jour au lendemain en monstre et est ainsi exclu de la société, même de celle de sa famille.



Le malaise que j'ai ressenti pour Gregor s'est matérialisé physiquement dès les premiers chapitres ; je n'ai pu tenir plus longtemps entre mes mains l'édition Librio à la couverture cauchemardesque, j'ai compris que je ne pourrais pas continuer sans couvrir le livre, ce que je fis le plus vite possible pour pouvoir me replonger dans ma lecture (ceux qui connaissent ladite couverture me comprendront).



En deux heures de lecture, jamais aucun sentiment de pitié ou de compassion ne m'a habitée, au contraire. Je me suis effrayée moi-même en pensant exactement comme les parents et la soeur de Gregor, c'est à peine si je pouvais soutenir les passages qui le décrivent ; moi aussi, comme eux, j'ai eu envie d'en finir avec lui et j'ai été soulagée quand...



Au-delà de sa forme, ce roman, proche de la nouvelle par son style, ouvre plusieurs portes de réflexion sur des sujets de premier ordre comme la dépendance, le travail, les rapports sociaux et la famille. Bien des questions sont soulevées mais le lecteur est seul pour trouver les réponses, pour trouver ses réponses.





Challenge ABC 2012 - 2013

Challenge AUTOUR DU MONDE
Commenter  J’apprécie          1749
La métamorphose

Un livre essentiel pour mes coups de "cafard".

Un jour, Gregor, qui gagne son salaire pour toute la famille, s'aperçoit qu'il ne peut pas se lever, il y a un truc de bizarre. Mais comme le souligne Camus dans "Le mythe de Sisyphe", ce ne sont pas les antennes qui poussent, les points blancs sur le ventre ou la voix qui mue qui le préoccupent, mais le fait qu'il va être en retard au boulot, lui, le fonctionnaire ponctuel.

.

Comme le souligne Camus, Kafka est un des plus grands romanciers de l'absurde, car il lie parfaitement l'extraordinaire artistique au quotidien banal, et, pour moi, c'est à la fois plaisant et cauchemardesque de vivre ces situations ubuesques où le père et le fils se courent après autour de la table, le fils mué en cafard. Kafka me fait penser à Zweig, même si les thèmes sont complètement différents, chez l'un il y a obsession absurde, chez l'autre c'est une situation absurde indépendante de sa volonté ( La métamorphose, Le Procès ).

.

Je reprends donc ce que je disais au début : ce livre, lu assez jeune, m'aida à passer mes coups de cafard. En effet, constamment rabaissé, je me suis longtemps dévalorisé. Et je me disais, en prenant les extrêmes : je pourrais être un cafard, comme Gregor. Je suis quand même mieux là où je suis, dans le pays où je suis.

.

Kafka m'a aidé à provoquer ma résilience, même si je ne connaissais pas, à l'époque, la signification de ce concept. : )
Commenter  J’apprécie          15929
Le Procès

Sa langue était l'allemand, sa religion le judaïsme, sa passion : la littérature. Franz Kafka (1883-1924), qui devait croupir pendant des années dans l'état de salarié d'une compagnie d'assurance commerciale qui lui faisait faire des actes qu'il désapprouvait, surtout quand ils n'étaient pas en accord avec la morale ou la simple humanité, passait ses temps libres, souvent solitaires, à écrire, mais il souhaitait cependant ne rien laisser venir au grand jour de son œuvre, désir que, fort heureusement, son ami le poète Max Brod allait refuser d'exaucer.

J'avais entre quinze et seize ans lorsque j'ai lu Le procès et il m'en est resté des souvenirs ineffaçables en même temps qu'une attirance plus ou moins consentie pour cet écrit qui peut faire peur et troubler en même temps qu'il nous ouvre les yeux sur la réalité des relations entre administrés et administrations, relations où l'administré se trouve placé toujours dans une position d'infériorité, fort humiliante face à des agents administratifs qui regardent leurs interlocuteurs comme des pions anonymes et qui tirent leur force de ce qu'ils détiennent, s'ils désirent accéder à ce genre d'informations, des dossiers qui peuvent leur révéler ce qu'ils veulent savoir sur les personnes qui viennent leur présenter leurs requêtes. Or, le héros du roman, Joseph K., est justement dans cette situation d'impuissance et de dépendance dês lors qu'apprenant qu'il a affaire à la justice pour des faits dont il ignore tout et qui pâtit lourdement de se trouver dans cette situation jusqu'à devenir victime au quotidien d'une obsession d'autant plus inquiète qu'il estime être innocent et n'avoir rien à se reprocher alors qu'il voit se tourner vers lui les regards de gens indifférents à son problème, incrédules, voire soupçonneux. Même quand on a de la compassion pour lui et même si certains sont prêts à l'aider, ils ne peuvent rien eux non plus et se heurtent comme lui à un mur. Cela va jusqu'à l'absurde, et c'est bien d'absurde qu'il s'agit, et cependant cet absurde a quelque chose d'objectif en ce qu'il décrit l'absurdité de nos vies quand, dans la confrontation avec une administration, surtout devant les instances juridiques, on se trouve réduit à n'être qu'un numéro -celui d'un dossier traité parmi des milliers, voire des millions d'autres, ce qui nous réduit à n'être plus qu'un objet et non plus un sujet, encore moins un sujet agissant. À la limite pourrait-on tolérer un sujet obéissant, mais l'on préfère encore plus un sujet qui se contente de subir silencieusement ce qui lui arrive parce que c'est la loi et la "logique (illogique et injuste mais imparable) des choses". Joseph K. refuse cet état de choses, il a sa manière à lui de réagir, de contester, de s'insurger (sans faire toutefois trop de vagues), mais c'est son souci de savoir qui est en soi une révolte et un acte subversif aux yeux de l'autorité et de l'opinion, comme s'il était totalement vain, et celui qui se rebelle est gênant en ceci qu'il ne se laisse arrêter par rien dans cette quête, premier pas vers la tentative de justification et de réhabilitation, combat pour se disculper et pour rétablir la vérité et son honneur qui finalement n'est jamais entièrement satisfait, parce que la justice n'est décidément pas de ce monde. Oui, Monsieur Joseph K. cessez donc de demander à avoir accès à votre dossier et à le consulter, car l'on ne sait même pas où il se trouve : comment voulez-vous qu'on le sache, que l'on sache où le chercher puisque l'on ignore justement où il a fini par arriver. Contentez-vous de savoir que vous êtes accusé et que cela est arrivé. Et d'ailleurs, tout le monde le sait, à quoi bon vous battre, à quoi bon soulever des montagnes de dossiers. Cela ne pourra rien changer.

Je ne vais pas décrire la fin de ce roman, ouvrage inquiétant qui nous oblige à nous poser les bonnes questions : ne sommes-nous pas concernés nous aussi, chacun pour son compte ? Ce livre est-il réaliste ? Nous montre-t-il le "monstre aveugle" auquel nous remettons nos identités, dans l'oppressante mainmise où il nous maintient tous, isolément aussi bien que collectivement ?

Y a-t-il là-dessous quelque adhésion à un fatalisme dostoïevskyen ? À chacun de trouver la réponse qui lui semblera la plus juste.

Reste que ce livre, même s'il paraît insupportable, ne vous lâche pas : vous en terminez la lecture, et vous en sortez troublé, et marqué à jamais.



François Sarindar



Souvenirs et impressions laissés par une lecture bien lointaine.
Commenter  J’apprécie          14911
Le Procès

L'une des choses les plus nuisibles à notre cher Kafka est l'interprétation toute faite. Le plaisir que prennent certains à coller des étiquettes du genre roman philosophique, ou roman à thèse aux œuvres de Kafka et surtout ce fameux roman "Le Procès".



Ainsi, je vais vous présenter comment j'ai lu "Le Procès" de Kafka.



D'abord, Le Procès est la description minutieuse d'un cauchemar. Un personnage se retrouve tout-à-coup, et malgré lui, dans une situation qu'il ne peut changer, il visite des lieux étranges, prend à la légère sa situation délicate, rencontre des filles à son chemin et ces dernières tombent dans ses bras facilement. Il est au centre de tout ce qui se passe, tout le monde le connait et l'épie curieusement! Les circonstances les plus sérieuses se marient aux plus burlesques, et Kafka continue son majestueux travail de narrateur qui se joue de son lecteur en affectant le sérieux. Comme dans un cauchemar, on est hanté par une force majeure qui nous conduit là où elle veut, ici la force d'un tribunal que le personnage ne peut que s'y soumettre minablement. Comme dans un cauchemar, les lieux sont étranges; un tribunal qui n'a rien d'un établissement réel.



Ensuite, Le Procès doit se lire comme un roman! Un roman original qui s'inscrit dans l'histoire littéraire du roman et non dans l'histoire des idées. Kafka n'est pas un philosophe, ni un moraliste. Aussi ne faut-il chercher ici ni satire de totalitarisme, ni critique de l'injustice, ni représentation de la bureaucratie, ni une leçon de morale contre la sexualité et l'indifférence de K. (du moins à mon avis). Le Procès est une oeuvre littéraire et s'explique par la littérature. Un roman qu'on lit avec passion; on suit ce Joseph K. (non pas Kafka, mais (K)auchemar) et par la magie kafkaïenne (et non pas kafkologique, en référence à ces clichés qui tournent autour du "personnage" de Kafka) on prend au sérieux certains événements, et l'on croit que les choses suivent un cours logique (surtout les comportements de K. vis-à-vis son procès et son accusation et les remarques des autres personnages et leurs conseils). Mais le récit n'est pas qu'angoisse et malaise (partagés entre lecteur et héros), K. trouve des moments d'évasion pour oublier un instant son procès omniprésent; avec cette scène où il voit pour la première fois le lieu où va se passer son procès, ces hommes, ces femmes et cette petite fille, cette scène d'amour burlesque au cours de l'audience! et ses flirts avec les filles.



Par ailleurs, on constate la solitude de K. au milieu de cette foule de personnages qui ne peut l'aider, son indécision voire contradiction, sa révolte secrète (étouffée avant de se montrer) et sa condition pitoyable. Et ainsi comme dans "Le Désert des Tartares" le temps passe et l'affaire devient plus difficile jusqu'à l’ultime fin qui atteint le sommet de l'ironie dans l'attitude de K.



Si on veut parler de scènes intéressantes il faut citer tout le roman! Kafka a cet art de présenter le monde en rêve, en métaphore onirique!

Mais chacun peut y voir ce qu'il veut en tant que lecteur et opter pour toutes ces interprétations qui pullulent partout (au détriment du sympathique Kafka et au bonheur des kafkologues).



P.S. L'un des meilleurs livres sur Kafka est celui de Kundera "Les testaments trahis".



Commenter  J’apprécie          13912
La métamorphose

La métamorphose est un recueil de 16 nouvelles de longueurs inégales (allant de 3 phrases à 85 pages) dont la plus étoffée est la nouvelle titre, "La Métamorphose".

Que dire après les centaines de critiques qui ont élevé Kafka à des hauteurs inaccessibles et les millions de gens qui l'ont lu et relu et re-relu ? Juste donner un avis sincère et humble de l'impression produite par ce recueil sur un sujet lambda.

L'écriture est fluide, mais très vite les incohérences avec la réalité s'érigent en maîtresses. Pourtant on reconnaît la réalité mais les altérations perturbent la vision, un peu comme un tableau de Bacon. Pour être franche, je n'aime pas toujours spécialement, mais cela a un caractère de curiosité indéniable.

L'impression que j'en retire est celle d'un auteur qui aurait eu la faculté de se remémorer ses propres rêves (ou cauchemars, c'est selon) et qui les aurait couchés sur le papier. En rêve, j'ai souvent vécu des situations qui ressemblent à de la vérité mais où quelque chose cloche inexpugnablement, et où l'on se heurte mille fois au même obstacle ou à la même idée fixe sans que l'on y puisse rien changer, où l'on pédale dans une mélasse inqualifiable sans qu'il y ait moyen de nous en extraire.

Franz Kafka nous relate donc ces sortes de rêves et du coup, on peut prendre ça pour une écriture métaphorique, une écriture allégorique, agrémentée de force philosophie alors qu'il n'y a peut-être qu'une écriture onirique, du moins c'est le parti que je prends pour ce recueil-ci. (Je ne vais pas me faire des amis ! mais j'assume complètement.)

Ce n'est pas inintéressant, il fallait bien qu'un auteur le fasse, dire que j'en mangerais à tous les repas, peut-être pas.

Concernant la nouvelle intitulée "La Métamorphose", on peut probablement y lire (entre autre) une allégorie de la maladie, de la solitude, de la réclusion, de la dépendance ou du vieillissement. L'intéressant étant alors le récit du déclin dans la considération de l'autre, et pour avoir un peu vécu ce genre de situation, je comprends aisément ce qu'a pu vouloir exprimer l'auteur. On y lit aussi l'emprise de l'inertie sociale du personnage principal, enfermé au propre dans sa gangue de coléoptère, au figuré dans sa gangue familiale, et dont on ne saurait préciser laquelle de ces gangues lui interdit le plus de bouger.

Pour conclure, si vous êtes à l'aise avec vos cauchemars, alors vous serez à l'aise avec ce Kafka-là, mais je le répète une énième fois, tout cela n'est que mon avis, un parmi tant d'autres, c'est-à-dire, pas grand chose.
Commenter  J’apprécie          13310
La métamorphose

Il était une fois un Cancrelat nommé Grégoire Samsa qui rêvait qu’il était un Cancrelat nommé Franz Kafka qui rêvait qu’il était un écrivain qui écrivait sur un employé nommé Grégoire Samsa qui rêvait qu’il était un Cancrelat! Voici la version que tira le grand écrivain Augusto Monterroso de La métamorphose. Monterroso qui considérait Kafka et Borges comme les deux plus grands comiques! Cela s'explique puisque l'auteur tchèque lui-même éclatait de rire en lisant des passages à ses amis qui avaient eux aussi la même réaction.



La métamorphose nous rapporte une histoire à la fois comique et amère! Métamorphosé, le jeune homme Grégoire qui s'occupait de sa famille, se retrouve isolé, seul! Pire que le sentiment de Drogo de retour de son désert des Tartares lors de son premier congé! On sent toute l'atrocité de l'ingratitude et de la dégradation des sentiments les plus doux (paternel et maternel!)...On vit et on partage toutes les angoisses de Grégoire.



Le recueil contient aussi d'autres nouvelles (quinze). D’abord ce Verdict, nouvelle assez curieuse qui décrit le conflit du fils et du père, il n’est pas physique comme celui de Julien Sorel et de M. Sorel ! Il est plutôt verbal. Un dialogue animé où le père acariâtre prend le dessus et ne laisse plus aucune issue à son fils. Ensuite, on trouve la fameuse Chacals et Arabes, un long dialogue entre le narrateur et les chacals qui abhorrent les arabes. Puis la Parabole de la loi (issue du Procès), le Rapport pour une académie qui est assez singulière où le héros est un singe qui est devenu civilisé, Un message impérial qui nous rappelle Borges, Les Onze fils où Kafka nous brosse minutieusement onze portraits...



Ce recueil nous propose différents aspects de l'art de Kafka mais toujours dans la même veine.

Commenter  J’apprécie          1177
La métamorphose

Malaise et dégoût.

Après une nuit agitée par de mauvais rêves, Gregor se réveille transformé en cancrelat. Une situation pour le moins cocasse et bouleversante : on hésite souvent au fil des pages entre ces deux sentiments.

Le récit nous fait vite perdre pied car Gregor, confronté à cette horrible mutation, n’a pas les réactions attendues. Cette hideuse transformation l’inquiète moins que ses conséquences forcément funestes sur sa vie professionnelle et familiale. Les premières pages alternent entre la description détaillée de son nouveau corps et sa peur panique d’être renvoyé de son travail. Une absurdie qui nous renvoie à nos propres comportements. Confrontés à un désastre individuel ou collectif, nous avons tous, je crois, les mêmes réactions : nous digérons l’événement pour ensuite mieux nous consacrer à notre propre survie.

Le comportement de la famille est à l’image de l’énormité de la transformation physique de Grégor : répugnance, dégoût, violence, abandon et, pire que tout, le ressentiment. L’aigreur des proches à l’égard de ce sale gosse qui à l’impudence de troubler la quiétude d’une honnête famille en se transformant en cafard est édifiante.

Les dernières pages sont effroyables. Les sourires béats du père, de la mère, et de la sœur, une fois le problème « Gregor » résolu, soulève littéralement le cœur. En réponse à ce torrent de haine et de malveillance, Gregor évoque son immense solitude, son incompréhension, son insondable tristesse et son sentiment d’échec total.

On ne compte plus les analyses psychologiques, freudiennes ou sociétales dont ce livre a fait l’objet, car ce récit, par son outrance, son exagération, est le miroir à peine déformant de notre propre conformisme, de notre résilience, de notre force morale face un drame qui anéanti les fondements d’une existence. De nos angoisses et de notre incapacité d’aimer aussi.

Une œuvre magistrale.

Commenter  J’apprécie          1094
Le Procès

Kafka, auteur cafardeux ?



Qui est cet écrivain, l'un des plus connus au monde, aux identités multiples, juif, tchèque, autrichien, germanophone, bisexuel, qui laisse à la postérité cet adjectif “kafkaïen” ?



On peut définir ce terme comme absurde et oppressant, à distinguer de “ubuesque” qui fait plutôt référence à quelque chose de grossier et grotesque, à l'image du personnage d'Alfred Jarry ou encore d'orwellien, bien que la société Kafkaïenne préfigure quelque part le totalitarisme dépeint par Georges Orwell.



“Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde” Milan Kundera.



On entend que Kafka est un “classique” et à mon oreille, classique prend en littérature le contrepied total de son acception commune, moi j'entends disruptif, inédit, actuel et complet.



La lecture de Kafka est malaisante. Son style est aride, et sans doute plus encore dans cette dernière traduction de Jean-Pierre Lefèbvre moins littéraire que celle de Alexandre Vialatte, et l'histoire est assez décousue, ce qui est sans doute voulu pour partie, mais gardons à l'esprit que nous n'avons pas un livre dans sa version finale, publié avec l'aval de l'auteur mais un manuscrit inachevé, dont les chapitres ont été juxtaposés de façon posthume. Enfin, l'atmosphère est véritablement oppressante, les lumières poussiéreuses, le manque d'air, les amphigouris de ses interlocuteurs, on ressent le trouble physiologique du personnage principal. Comme le soulignait Milan Kundera, le personnage est constamment le nez dans le guidon, jamais nous n'accédons à ses souvenirs, à une forme de recul sur sa vie, les évènements en cours sont sa seule préoccupation, son seul stress, un peu comme un animal en cage mono-sujet, ce qui rend aussi pour le lecteur l'expérience éprouvante, contempler l'abime d'un problème auquel nous croyons pouvoir faire face sans savoir comment et ne jamais s'en extraire, même en pensée, c'est une tyrannie insupportable qui nous ferait bientôt rejoindre l'espérance de vie d'une souris de laboratoire !



“L'absurde est partout” Rémy de Gourmont. L'absurde, courant littéraire dont les principaux représentants se situent après la Seconde Guerre mondiale, de Beckett à Camus, est également dans l'ADN de Kafka qui compose certainement son texte autour de 1915. C'est la première pensée qui vient au lecteur, incrédule, à la lecture du Procès. On essaye de rationaliser, on se dit que l'on est dans l'onirique, que c'est juste un cauchemar, et il y a quelques indices en ce sens, des ellipses dans la mémoire du personnage des portes qui s'ouvrent littéralement sur des scènes invraisemblables sans que personne ne s'en émeuve, un érotisme pour le moins insolite…



On entre de manière progressive, d'abord ça étonne, ça prête même à sourire, puis on est un pris d'ennui, ensuite de vertige, et au final on finit par toucher l'absurdité terrifiante et totalitaire de la condition humaine (les grands mots…). On se retrouve balloté, face à une réalité implacable qui n'a aucune considération pour l'individu, la singularité, où rien n'a d'importance. Dans l'ignorance des motifs et des lois, l'arbitraire finit par s'imposer à l'accusé qui lui même en vient à accepter et se résigner à sa condition dans une forme de déterminisme macabre face à la machine d'Etat, au rouleau compresseur de l'administration, monstre sans tête, quelques années seulement avant les horreurs des bureaucraties fascistes, qui doivent encore nous interroger sur nos propres institutions.



A cet égard, la scène au cours de laquelle le peintre explique les principes juridiques du Procès est particulièrement éclairante, révoltante et drôle aussi. Il y a toute une réflexion sur la justice, la loi, et peut-être aussi une conception morale, une forme de parabole de l'intolérance des sociétés, qui produisent des coupables sans crimes, à l'image du racisme, de l'antisémitisme ou de l'homophobie. Quand on est tenu responsable du seul fait d'être soi, alors c'est la dignité humaine qu'on atteint, jusqu'à son paroxysme à la fin du livre.



L'inertie du sujet, en l'occurrence du personnage de Joseph K. agace, on veut le secouer, sa façon de prendre toutes les péripéties qui lui arrivent comme étant entendues, de ne rien remettre en cause ou si peu, de faire montre d'une telle crédulité et sans pourtant avoir à faire à des gens menaçants ou violents, ni même hauts placés…



Cette docilité est peut-être le fruit des observations sociales de Kafka, l'écrivain a été témoin au cours de sa vie professionnelle d'assureur, de nombre d'accidents du travail. le juriste spécialiste de droit social Alain Supiot rapporte les propos de l'écrivain qui déclarait, stupéfait, à propos des ouvriers blessés : “comme ses hommes-là sont humbles, au lieu de prendre la maison d'assaut et de tout mettre à sac, ils viennent nous solliciter”. Ce “nous” c'est les assureurs qui ne pourront pas grand chose face à l'injustice crasse, les déficiences grossières des employeurs et la mauvaise foi d'une bureaucratie qui fera tout pour ne pas les indemniser.



Alors, face à une telle soumission, est-ce que Kafka n'essaye-il pas justement de réveiller son lecteur de la même manière que le lecteur voudrait réveiller le personnage de K ?



C'est-à-dire, nous dire à nous lecteurs, dans nos vies, ceux et celles qui se dressent devant nous, tentent de nous dominer, ne sont grands que parce que nous sommes petits, ils sont le plus souvent de petits subalternes, comme nous, ils ne peuvent rien nous faire véritablement si nous osons remettre en cause tout ce qui, parce que pompeux, parce qu'institutionnel, semble entendu comme une oppression méritée, mais qui n'en reste pas moins profondément absurde… Les institutions sont les adjuvantes d'un système de domination de l'homme par l'homme, cela malgré les gardes fous, le rapport de force entre un individu et les institutions est profondément inégal. On se retrouve, obéissant chacun à une fiction collective que par notre silence nous renforçons, y compris contre nous-même et finalement on se retrouve dans la déréliction. La liberté n'est pas chose qui s'octroie, on ne peut pas l'attendre, pour les plus infimes choses de nos quotidiens, et à trop vouloir faire “bon genre”, pas se faire remarquer, et être conciliants avec ceux qui ne le sont pas, on se fait écraser, il ne faut pas avoir peur à un moment donner de déplaire, un peu… comme disait l'écrivain suisse Fritz Zorn “Je crois que si la volonté de ne pas déranger est si néfaste, c'est précisément parce qu'il est nécessaire de déranger. Il ne suffit pas d'exister il faut aussi attirer l'attention sur le fait qu'on existe (…) quiconque agit dérange.”



Ainsi, la lecteur de Kafka ne devrait pas nous amener au découragement, à une crédulité de “bonne volonté”, comme écrivait Hannah Arendt à propos de l'auteur tchèque. Mais au contraire, les rouages et engrenages du “pays légal” sont crûment mis à nu, et ce texte peut participer, avec d'autres, à re-motiver intellectuellement les citoyens dans un élan humaniste, démocratique et réformateur d'institutions possiblement cancérigènes, y compris chez nous, en France.



Qu'en pensez-vous ?



Commenter  J’apprécie          10810
La métamorphose

Baygon jaune, Baygon vert. Michel Leeb, sors de ce corps !

Entomologiste de cette drôle de bestiole qu’est l’humain, Kafka, qui a su transformer ses déprimes en chefs d’œuvres, n’est pourtant pas à l’origine de l’expression avoir le cafard. Je vais cafarder, mais le mot vient de l’arabe « Kafir » qui désignait un mécréant, et c’est Baudelaire, le roi du spleen, un autre sacré comique, qui a usé de la métaphore pour imager ses idées noires.

C’était l’incipit Wikipédant pour étaler ma science… de copiste.

Cette nouvelle, non relue depuis le lycée dans le cadre de ma propre métamorphose acnéique, c’est l’incarnation absolue du cauchemar. Alors que le petit jour délivre normalement des mauvais rêves Grégor Samsa, voyageur de commerce qui habite dans un appartement avec ses parents et sa sœur, se réveille dans le corps d’un insecte monstrueux, et il ne s’agit pas des effets secondaires d’une gueule de bois d’anthologie. C’est de la magie littéraire, un postulat posé dès la première phrase.

Fils nourricier et dévoué d’une famille de parasites, Grégor va devenir le parasite de sa famille. Reclus dans sa chambre, humilié et répugnant, Grégor est peu à peu rejeté par les siens qui ne l’incite pas à sortir de sa carapace et finit comme un rebus.

La sœur docile et serviable se transforme en ingénue, le père retrouve un travail et une autorité débonnaire et la mère théâtralise ses émotions à outrance pour endosser le rôle de victime et immuniser son fils de tout conflit oedipien.

Si la cellule familiale brille davantage par sa honte que par sa compassion, que les liens du sang semblent solubles dans la dépendance, la Métamorphose constitue également une extraordinaire critique de l’aliénation de l’individu par le travail. Grégor se lamente moins de son sort que des conséquences immédiates de son absence à son poste. Ses tentatives pathétiques pour sortir de son lit et de sa chambre pour aller au turbin sont d’extraordinaires trouvailles kafkaïennes.

Dans le génie de l’absurde, je place La Métamorphose au panthéon de la nouvelle avec le Bartleby de Melville.

Côté construction, c'est tout simplement parfait. Pas une ligne de trop, une histoire taillée sur mesure pour une nouvelle, des passages inoubliables, pas de temps faible.

Bizarrement, malgré l’immense pitié qu’inspire Grégor, la réputation des blattoptères ne s’est pas améliorée depuis l’écriture de ce grand classique en 1912. A ma connaissance, aucune association ne milite pour la préservation des cafards. Pas de trace du club « Les amis des blattes » ou du slogan « Sauvons les cancrelats ». Pas un défenseur de la cause animale ne semble prêt à adopter une petite colonie de ces innocents insectes. Pourtant, ce n’est pas plus moche qu’un Chihuahua ou un chat sans poil. Ni plus bête. Quels snobs !

Cette lecture peut soigner les phobiques des insectes mais le risque est de développer une allergie à leurs congénères.

D’ailleurs cette nuit, I have a dream. Et si certains cafards se réveillaient en hommes ?

Je vais enchainer par une rediffusion de « La Mouche » de David Cronenberg et offrir mon corps à quelques moustiques tigres jaloux de ma considération pour d’autres nuisibles.

Commenter  J’apprécie          9611
La métamorphose

Publiée en 1915, cette nouvelle défie le temps et n'a pas pris une ride.



La narration est lente, oppressante, répétitive, pour mieux appuyer la dimension surréelle de la condition de Gregor. L'immobilité à laquelle il est contraint nous cloue au sol. Tout se passe dans le huis clos de sa chambre et le sentiment d'étouffement est très intense.



La métamorphose principale n'est pas tant celle de Gregor, mais celle de la famille Samsa face à la dégénération de l'état de leur fils et frère. L'aliénation dans laquelle ils vivent fait que personne ne s'étonne de ce qui arrive à Gregor. La réaction de rejet est due surtout aux changements que cela a crée dans leur propre vie.



Dans un langage simple et accessible, avec une bonne pointe d'ironie, ce récit ouvre plusieurs portes de réflexion sur les thématiques Kafkaïennes tels la dépendance, le travail, un monde impitoyable, les rapports sociaux, la famille et le sens de la vie.



Commenter  J’apprécie          956
Le Château

K par K.

Je vais faire simple. K. veut entrer dans le Château. Moi je veux essayer de sortir de ce roman. Il est enfermé à l’extérieur. Moi à l’intérieur.

Comme le manuscrit est inachevé, qu’il se termine au milieu d’une phrase, cela ressemble plus à un canular qu’à une soudaine panne d’inspiration ou d’imprimante. Surtout à l’époque. Une parution posthume qui enrhume. Une idée de tuberculeux. Le mythe littéraire est né. Kafka avait exprimé la volonté de ne pas être publié après sa dernière quinte. Désir réel ? Il aurait pu tout brûler lui-même pour réchauffer les sanatoriums au lieu d’en charger son ami et exécuteur testamentaire Max Brod. On remercie ce dernier de n’avoir pas eu la conscience d’un notaire. Le moyen le plus efficace de partager une nouvelle avec la terre entière est de la confier sous le sceau du secret à un ami.

J'ai lu certains commentaires qui subodorent que Kafka avait envisagé de tuer son personnage. Moi, je me dis que, par nature, cette histoire ne pouvait pas avoir une fin. Un dénouement aurait affiché une vérité qui n'existe pas.

En allemand, château se dit Schloss, C’est la même traduction pour le mot serrure, je crois (j’ai fait de l’allemand pour dresser mon chien) mais personne n’a jamais vraiment trouver toutes les clés de ce roman aussi cruel que drôle.

Recruté comme arpenteur, K. va surtout mesurer les frontières de l’Absurdie, contrée littéraire tellement bien fréquentée depuis. Il arrive dans un village où il n’est pas le bienvenu. Comme il ne parvient pas à se faire ouvrir les portes du Château pour exercer son métier, il va chercher en vain à s’intégrer. K. est rejeté de tous : des aubergistes, des fonctionnaires, de sa fiancée. Même la météo, par ses tempêtes, lui signifie qu’elle ne veut pas de lui.

A la lecture, je me suis demandé si cette histoire n’était pas la description d’un rêve. Pourquoi K. s’endort-il dès qu’il a une chance d’obtenir des réponses ? Pourquoi les personnages sont-ils si fantomatiques ? Et puis, comme Kafka vivait lui même dans un monde parallèle pour fuir l'absurdité de l'existence et que ce récit ne faisait que reflétait sa recherche d'absolu, j'ai laissé l'hypothèse des songés aux sombres nuits kafkaïennes.

Je pense que la distanciation entre l’histoire et les personnages a modéré mon enthousiasme. J’avais trouvé « Le Procès » plus immersif. K. n’a rien de sympathique et ce Château, mirage peuplé de fonctionnaires aux missions obscures, n’a rien du spot tendance pour passer le week-end. Kafka n’avait pas l'âme d'un guide touristique. Il faut dire qu'au moment de la rédaction, l'auteur n'a plus que deux ans à vivre, que sa santé est alarmante et que sa vie sentimentale d'éternel fiancé n'est pas une partie de plaisir, sinon solitaire.

La bureaucratie et le totalitarisme restent au coeur de la cible mais Kafka insiste surtout ici sur la soumission généralisée qui devient de la complicité à une organisation qui n’a pas de sens. Toute l’œuvre de Kafka décrit l’aliénation de l’individu à un système qu’il a créé lui-même. D’ailleurs, le personnage le plus intéressant du roman, le moins ectoplasmique, est cette jeune femme, Amalia, qui en refusant l’invitation d’un cadre du château a entrainé la mise en quarantaine sociale de ses parents.

Petite mention spéciale aussi pour les deux assistants de K., aussi jumeaux qu’idiots, qui apportent une touche burlesque au roman.

Une bonne lecture avant d’aller renouveler sa Carte Vitale à un bureau de la CPAM.



Commenter  J’apprécie          945
Le Château

Encore un roman sauvé du feu par Max Brod, l’ami infidèle qui a trahi son compère au bonheur des lecteurs. Un roman inachevé, certes, mais qui touche déjà à la perfection.



Le héros, cette fois, est un arpenteur convoqué dans un Château pour accomplir une mission. Or, cet homme qui s’appelle K. ignore tout de ce lieu et de sa tâche. Une fois arrivé au village près du château, il se trouve dans un entourage hostile. Il est seul face à tout le monde. K. avance dans l’incertitude vers son objectif, comme il avançait dans cette neige épaisse. A chaque fois qu’il croit franchir une étape dans son parcours, il se trouve réduit au néant. Il est perplexe devant toute cette complexité et cette perfection administratives qui ne sont au fond qu’un leurre.



En effet, l’administration dans ce roman est présentée comme une Olympe où se vautrent des divinités invulnérables et intouchables. Les fonctionnaires sont au-dessus de la plèbe. Les autres doivent obéir et subvenir à leurs besoins. Or, en dépit de cette sacralisation de l’administration, on essaie de montrer à K. qu’il ne faut pas prendre les choses au sérieux (c’est le but de la mission des deux aides de l’arpenteur) et que sa mission, qu’il croit importante, est en vérité insignifiante et dérisoire. Sa présence au village devient absurde. Il est un étrange étranger qui avance dans l’ignorance totale des mœurs et coutumes du village et des règles de l’administration, mais avec un entêtement inlassable, il se croit à chaque fois sur la bonne voie. Ses tentatives l’éloignent du château alors qu’il croit le contraire. C’est comme le fameux regard d’Orphée. Son regard l’éloignera à tout jamais de sa bien-aimée. Même ceux qui veulent le renseigner l’enfoncent dans le doute et la perplexité par leurs dires contradictoires (le maire, les lettres de Klamm, la femme de l’aubergiste, l’instituteur, Pepi…) d’où l’impression qu’on tourne dans un cercle vicieux et que les scènes se répètent à l’infini mais toujours avec du nouveau. On lui fait voir en même temps la possibilité et l’impossibilité de son objectif. Kafka présente les choses d’une manière caricaturale, il exagère les traits de caractère et les situations. Parfois, on a l’impression de voir un film de Hayao Miyazaki, surtout lorsqu’il nous décrit les bureaux du Château et l’hôtel des Messieurs.



Dans le procès, le péché de Joseph K. était la négligence et l’insouciance, or dans le cas de l’arpenteur, son péché est peut-être l’impatience. Une impatience justifiée sans nul doute. K. est impatient de rejoindre son poste et d’exercer son métier alors que l’administration agit d’une lenteur intenable. K. est balancé d’une administration à l’autre et à chaque fois qu’on lui montre une lueur, une toute petite lueur, elle est tout de suite éteinte. K. ne veut pas entendre les vérités annoncées par les autres ; que sa convocation n’est qu’une erreur administrative, que sa relation avec Frieda va la perdre, que le messager fait tout son possible pour lui être utile…



Si K. est le personnage central du roman, les autres personnages méritent aussi notre attention. Chacun d’eux, surtout dans le cas des villageois, a su créer sa propre prison et angoisse. Ils vivent dans l’intense. Ils aggravent la situation avec leur raisonnement étrange. Observons la famille d’Olga qui a tout perdu à cause d’un acte simple et ordinaire et de leur manière à gérer la situation ; Pepi est sa façon de sacraliser le travail de serveuse ; la femme de l’aubergiste qui vit dans le passé d’une relation avec Klamm… Face à ces petites gens à l’existence mesquine vivent les fonctionnaires à tout jamais oisifs et toujours occupés, toujours présents et jamais saisissables.



Kafka est cet auteur qui peut à la fois nous faire rire et qui sait en même temps nous garder dans l’angoisse tout au long d’un chapitre. A la fin de la lecture, on a ce goût de l’infini, on a l’impression d’avoir manqué quelque chose ou de n’avoir pas saisi un sens ; ou au contraire d’avoir créé une interprétation fausse.

Commenter  J’apprécie          935
La métamorphose

Se réveiller un matin dans la peau d'un cancrelat, quelle horreur !

La vue de cette petite bête immonde me fait en général pousser des hurlements stridents et me répugne au plus haut point.

Ah ça non, il n'a pas fait dans la dentelle Kafka ! Tant qu'à métamorphoser son héros autant choisir la plus ignoble des créatures de toute la création !

Au début de la nouvelle, on s'effraie, on frissonne, on s'affole avec les protagonistes.Puis, peu à peu, comme Gregor, on s'habitue à l'idée. On se glisse dans cette nouvelle plus assuré, plus gaillard comme Gregor s'accoutume et apprivoise sa nouvelle peau. Une fois stabilisé, on peut enfin prendre plus de recul et s'apitoyer comme il se doit sur le sort de ce pauvre Gregor et même sourire à certaines situations burlesques.





Dans l'édition Folio classique que j'ai lue, il y avait un tas d'explications annotées en bas de page. Au début, je les ai lues consciencieusement, puis j'ai abandonné. J'ai passé depuis longtemps l'âge des commentaires composés. Les analyses de texte, c'est sympa, mais avouez que ça gâche un peu le plaisir de la lecture. Je préfère de loin m'imprégner des mots de l'auteur subrepticement , de façon anarchique et décousue. Ne comptez donc pas sur moi pour décortiquer le texte et vous expliquer les tourments de Kafka à travers sa littérature.

Tout ce que je peux vous dire c'est qu'indéniablement j'ai retrouvé l'atmosphère poignante et pesante de Zweig. On y retrouve aussi tout comme chez mon auteur autrichien préféré, une fine analyse du comportement humain, une étude approfondie de la psychologie humaine, ainsi qu'une mise en dérision de l'univers petit-bourgeois.





Voilà donc une nouvelle bien surprenante qui donne envie de lire d'autres œuvres de Kafka.
Commenter  J’apprécie          902
Le Procès

Il y a maintenant plus de quarante années, je me souviens avoir mis un temps très long à lire Le procès!

Comme le calvaire absurde, sans fin et cauchemardesque de Joseph K., je n'en finissais pas.

Kafka, d'ailleurs, ne l'avait pas achevé Le procès!

Que c'était long et pénible, jusqu'à ce que la fin de ma lecture ne se précipite!

Je me suis retrouvé, parfois, dans ces rêves au long cours dont on a du mal à sortir.

Le film d'Orson Welles me replongea, avec ses gammes noires grises et blanches, dans ce Procès qui ne quittait pas ma mémoire.

Un jour, je repartiras dans Le procès avec Joseph K.

Un tel livre, on y revient.



Commenter  J’apprécie          886
Lettre au père

Un courrier qui n’est jamais parvenu à son destinataire.

Franz Kafka a vécu toute son enfance dans la crainte de son père, un homme autoritaire et malveillant. A l’âge adulte, alors que la peur de ce père existe toujours, dans cette lettre qui lui est adressée, Franz Kafka essaie d’analyser les conséquences de cette relation destructrice. Cette domination paternelle qui a fait de lui un homme angoissé, solitaire et introverti, incapable de s’engager durablement dans une relation amoureuse.

Une angoisse qui a aussi fait naitre et a porté une œuvre incomparable.

Commenter  J’apprécie          885
Le Château

"Il était tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village. La colline était cachée par la brume et par la nuit, nul rayon de lumière n'indiquait le grand Château."



Ce n'est peut-être pas un livre idéal pour la plage...

Cette atmosphère sombre, froide et nébuleuse présente dans "Le Château" va vous poursuivre tout le long de la lecture.

C'est une histoire où on ne peut croire personne, même pas le protagoniste principal. Le trait le plus caractéristique de ce récit est paradoxalement le fait qu'il dispose d'autant d'interprétations que de lecteurs ; chacun peut s'approprier "Le Château" à sa façon.



J'ai presque l'impression que tandis que le travail des historiens consiste à décrire le passé, le travail des (bons) écrivains est de nous révéler les choses fondamentales sur ce qui est à venir. Et que Kafka avait exprimé dans ses oeuvres quelques symptômes caractéristiques du 21ème siècle. Je ne devrais pas essayer d'interpréter quoi que ce soit, sous peine de récolter des moqueries ou des grincements de dents, mais cette sensation de base est une certaine peur, une crainte, une échine courbée devant les autorités... qui mène au fait que finalement nous sommes toujours d'accord pour "jouer le jeu". Et à partir de là, il est difficile de revenir en arrière ; les engrenages se mettent en mouvement, pour ne laisser à la fin qu'un petit tas de farine animale.



Immédiatement après son arrivée au village, K., qui est probablement un arpenteur (ou peut-être fait-il seulement semblant) est confronté à un monde étrange, contrôlé par la bureaucratie locale.

K. s'adapte assez rapidement à la situation, mais son objectif principal - se rendre au Château et rencontrer quelqu'un qui pourrait l'éclairer sur son travail - reste insatisfait. À l'auberge, K. rencontre, entre autres, Frida, la prétendue maîtresse du tout-puissant Klamm, homme indispensable pour accéder au Château. (Hasard ou pas, mais "klam" signifie "mensonge" ou "mirage", en tchèque, et Kafka, même s'il écrivait en allemand, était tout de même un Pragois.) Cette mission impossible devient presque le but de la vie de K., mais les déroutants mécanismes officiels se dressent sur son chemin, tout comme ses nouveaux voisins.



Oubliez Voldemort, Sauron et Dark Vador. Il n'y a pas d'antagoniste plus terrifiant que l'inaccessible Château !

Osek ? Střela ? Frýdlant ? Siřem ?... les "kafkologues" ne sont pas d'accord sur la localité qui a inspirée le Maître, mais peu importe. Contrairement à ce qu'on pense, Kafka était plutôt un joyeux luron, et on peut voir ce livre comme une frasque absurde (même pas drôle ?), pleine de situations burlesques. On peut le voir comme une critique de la bureaucratie austro-hongroise, et avec un peu de bonne volonté même comme une parodie de la quête du Saint Graal. Mais j'ai toujours vu le Château comme une sorte de Mal moderne. La spécificité du Mal moderne n'est pas qu'il va vous affliger, tourmenter et même vous priver de vie - après tout, il le fait depuis toujours - non, le Mal moderne va vous attaquer personnellement et vous combler de remords. Tout ce qui vous arrive est de votre faute. Ordres, interdictions, consignes incompréhensibles et les menaçants mots "le citoyen est obligé" - peu de gens osent lever la tête, car l'individu n'intéresse personne, n'est-ce pas ? Tout le monde ne craint pas la Bureaucratie, tout le monde ne craint pas l'Etat... mais on craint tous au moins une Autorité spécifique.

Qui ne connaît pas cette situation où pendant une discussion passionnée tout à fait générale, quelqu'un vous attaque subitement "ad personam", comme on dit ? Un seul mot, et vous êtes déjà sur la défensive. Peu importe que vos arguments fussent excellents et justes; la querelle devient mesquine et personnelle, et on s'enfonce de plus en plus. Et l'histoire de l'arpenteur K. n'est pas différente. Il a peut-être une toute petite chance théorique de réussir au début du livre, quand il veut parvenir au Château et ses bureaux grâce au ceux qui travaillent tout en bas de l'échelle, en luttant avec peine pour chaque pas. Mais il ne réussira pas ; peut-être que le Château n'existe même pas, en réalité...



Kafka a confié à son copain Max Brod qu'à la fin K. devait mourir d'épuisement, mais cette absence de fin est peut-être la meilleure fin possible. le livre date de l'époque où la littérature commence à renoncer aux grandes valeurs universelles, pour mettre en scène un petit individu perdu et errant dans son propre univers, et devient un tremplin pour les écrivains aussi divers que Garcia Marquez ou Milan Kundera (qui a reçu le Prix Franz-Kafka de la part de ses ex-compatriotes en 2020).

Ô Kafka ! Ô Châteaux ! C'est presque sans défaut. 4,5/5
Commenter  J’apprécie          8119
Le château (BD)

♫C'est long d'être un homme une chose, c'est long de renoncer à tout

Et sens-tu 𝓵𝓮𝓼 𝓶é𝓽𝓪𝓶𝓸𝓻𝓹𝓱𝓸𝓼𝓮𝓼 qui se font au-dedans de nous

Lentement plier nos genoux ?

O mer amère, ô mer profonde, quelle est l'heure de tes marées ?

Combien faut-il d'années-secondes à l'homme pour l'homme abjurer

Pourquoi, pourquoi ces simagrées ?

Rien n'est précaire comme vivre, rien comme être n'est passager

C'est un peu fondre comme le givre, et pour le vent être léger

J'arrive où je suis étranger. ♫

- Jean Ferrat - 1994 -

D'après texte de Louis Aragon .

---♪---♫---🏰---📞☎📞---🏰---♫---♪---



Allo, ohé du Château !

Que veux-tu étranger ?

Mes assistants pourras-tu les loger ?

Impossible plus de traineau !

K. Vagabond, Géomètre & Arpenteur

Confronter dans le désert depuis trop longtemps

Pourrais-je rendre visite à l'instituteur ?

Klamm va partir, vous êtes vraiment des drôles de gens !

Il y a ce jour où on ne sait plus

Pourquoi l'histoire est moins belle qu'au début

On lâche prise, le feu nous abandonne

On reprend le cours de notre errance d'homme

Je n'ai jamais eu tu sais pas le moindre plan secret

Ni personne pour me conduire

Et tu te demandes ce qu'il cherche à dire

Je t'avais prévenu je suis étranger...



L'ami K. où êtes !? KafKaouette 🤭

Commenter  J’apprécie          800
Le Procès

« Le procès » à sa lecture provoque un sentiment de malaise, une même sensation indicible que l’on éprouve lorsque l’on fait ce fameux cauchemar de courir sur place sans jamais avancer.



Un beau matin Joseph K., employé de banque est arrêté et accusé pour des faits non évoqués. Resté libre, M.K., ignorant les lois et dépassé par la situation, va chercher à s’innocenter tout en ne sachant pas de quoi il est accusé.



En même temps que le personnage, le lecteur se voit plonger dans une sorte de quatrième dimension, la situation devient complètement irrationnelle et pour le coup, angoissante et inquiétante. Au début frustré de ne pas connaître les accusations, nous finissons par oublier le pourquoi de l’arrestation et suivons l’enquête que mène Joseph pour se faire acquitter. A chaque porte qu’il franchit, il se voit confronter constamment au tribunal, chaque personne qu’il rencontre fait partie du tribunal, au fur et à mesure tout devient imperceptible et incompréhensif, et la fin tragique nous procure étrangement un assez lâche soulagement.



J’avoue ne pas avoir tout saisi de cette histoire de procès, mais c’est un livre marquant que je ne suis pas prête d’oublier.

J’ai visionné le film « Le procès » d’Orson Welles pour en comprendre davantage le sens, l’adaptation est assez conforme au livre et j’ai été éclairée sur certains points mais je n’ai pas ressenti ce malaise constant que j’ai ressenti pendant la lecture « Le procès ».

Commenter  J’apprécie          785




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Franz Kafka Voir plus

Quiz Voir plus

La métamorphose, de Kafka

Comme d'habitude, quel est le prénom du personnage principal ?

Georges
Grégoire
Gregor
Grigory

7 questions
219 lecteurs ont répondu
Thème : La métamorphose de Franz KafkaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}