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Citations de Ismaïl Kadaré (281)


Elle se hâtait pour rejoindre au plus vite l'extrémité de ce plateau stérile qui n'avait pu faire croître que ces arbustes malingres qui languissaient, inertes, sous la pluie. Brusquement, comme elle cheminait toujours au milieu du plateau, elle pensa jeter un coup d'œil sur Mira. La petite était silencieuse. Rabo tressaillit, se mit à genoux, étendit le bras pour soulever l'imperméable dont elle avait recouvert le berceau et dit à Besnik de regarder comment allait le bébé : Besnik et Ben se penchèrent sur leur petite sœur. Elle dort, dit Besnik. Elle dort, répéta Ben. Elle-même se releva et ils reprirent leur marche à travers le plateau maudit. À l'idée qu'une balle de mitrailleuse avait pu atteindre l'enfant et que, sans le savoir, elle la portait peut-être morte sur son dos, elle ne put retenir un gémissement. Plus de vingt ans auparavant, pendant l'invasion grecque de la Première Guerre mondiale, les femmes de la région avaient fui ainsi, en portant des berceaux sur le dos, pendant que les soldats serbes, en embuscade sur les collines, tiraillaient sur elles. Ils évitaient d'atteindre les femmes et ne visaient que les berceaux. C'était probablement pour eux comme un jeu, et bien des femmes en découvrant, après des heures de fuite au milieu des dangers, qu'elles avaient porté sur leur dos non pas un berceau mais un cercueil, perdaient la raison. Il y avait même une chanson qui commençait par ces mots :
Où vas-tu dans la nuit
Avec ce cercueil sur le dos ?
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C'était une voix où la gorge de l'homme et la gorge de la montagne semblaient s'être longuement accordées pour abolir entre elles toute distinction. Et elles devaient s'être entendues aussi avec d'autres voix de plus en plus lointaines pour se fondre avec la complainte des étoiles.
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Les services de la Sélection occupent plusieurs salles comme celle-ci, lui dit le chef en dessinant un ample mouvement de son bras droit. C’est l’un des secteurs les plus importants du Tabir Sarrail. Certains pensent que le secteur essentiel du Tabir est l’Interprétation. Mais il n’en est rien. Les interprètes se targuent d’être l’aristocratie de notre institution. Nous autres sélectionneurs, ils nous regardent un peu de haut, pour ne pas dire avec dédain. Mais tu dois être bien conscient que c’est pure vanité de leur part. Quiconque a deux sous de jugeote peut comprendre que sans nous, sans la Sélection, l’Interprétation est comme un moulin sans grain. C’est nous qui fournissons la matière première de son travail, c’est nous qui lui tenons lieu de socle.
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.... et il évoqua le terrible vœu que formulaient les montagnards à la naissance d'un enfant : « Puisse-t-il avoir longue vie et mourir du fusil ! » La mort naturelle, de maladie ou de vieillesse, était donc honteuse pour l'homme des hautes terres ...
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Lida rit de tout cœur et il me sembla que c'était le moment le plus propice pour lui demander son numéro de téléphone. Éclatant collier de six perles miroitantes, il sortit de la profondeur mystérieuse de son être, de la profondeur de ses hanches, de ses jambes si droites, de sa poitrine, de son cou, de ses lèvres : affiné à travers toutes ces parties de son corps, composé d'une demi-douzaine de chiffres magiques grâce auxquels, en faisant tourner sur eux un petit cadran selon un rite nouveau, j’appellerais dans l'univers sa voix.
Page 63
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La pioche s'enfonça dans le sol avec un bruit sourd. Le prêtre fit le signe de la croix. Le général salua militairement. Le vieux terrassier des services municipaux souleva à nouveau son outil et l'abattit avec force.
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Il y a, dans la ville de pierre, un prisonnier pour ainsi dire professionnel, Lukan Ami-de-L'Ombre. Les changements de garnison provoqués par la valse des occupants le déstabilisent complètement et il en arrive à de curieux raisonnements :

Citation:
[...] ... - "J'sais pas faire la différence [entre les Italiens et les Grecs]" dit Lukan d'un ton irrité. "Tout ce que je sais, c'est que la prison ne fonctionne pas. Dedans, il n'y a pas une âme. Les portes sont grandes ouvertes. On en pleurerait."

Quelqu'un lui posa une autre question , qu'il laissa sans réponse. Il se répandait en invectives :

- "Sale époque, sale pays ! Même pas foutu de tenir une prison comme il faut. Est-ce que j'ai le temps de grimper tous les jours au haut de la citadelle et de redescendre bredouille. Les jours passent, et j'peux pas faire mon terme. Et puis tous les projets qu'on forme vont à l'eau. On a bien raison de dire de l'Italie que c'est une salope, une bonne à rien. Ah ! quand je pense à ce que m'a raconté un copain sur les prisons de Scandinavie. Ca oui, que c'est des prisons ! On y entre et on en sort en bon ordre. Au terme fixé et avec des fiches bien en règle. Les portes ne s'ouvrent pas à propos de n'importe quoi comme dans un bordel !" ... [...]
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Il était une fois un général et un prêtre partis à l'aventure. Ils s'en étaient allés ramasser les restes de leurs soldats tués au cours d'une grande guerre. Ils marchèrent, marchèrent, franchirent bien des montagnes et des plaines, cherchant et ramassant ces dépouilles.
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Et tout cela est dominé par le fameux article 620 du code Coutumier albanais :
"Quand un [ passant ] ( 1 ) est entré chez toi, eût-il tué un des tiens, tu lui diras : " Sois le bienvenu !"
Or c'est précisément cette loi qu'Oreste met à profit pour pénétrer dans la maison des Atrides.
.
NDL : ( 1 ) : le traducteur a mis "hôte", mais je trouve que ce n'est pas logique, car l'hôte est celui qui reçoit.
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Dans ce gémissement hivernal, Stulpanz continuait de voir Lida. Ils parlaient parfois de moi, me disait-il. Idée macabre . Violant les lois de la mort, il m'apportait les mesures de la mienne. C’était une chose contre nature pour quiconque, car ces mesures, personne ne les connaissait. Or il y avait au monde quelqu'un pour qui j'étais mort, et , par conséquent, objectivement, quelque chose de moi avait dû passer dans l'au-delà. Cet être, Lida, était le seul chez qui on pût trouver les mesures de ma mort. Lida était ma pyramide, mon mausolée, avec mon sarcophage dedans.
Page 162
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Incipit :

C'est par un jour morne, de ceux dont l'hiver, comme à dessein, semble vouloir gratifier prioritairement les capitales des petits États arriérés, que parvint le courrier diplomatique.
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A cause du froid, les gens se déplaçaient moins, mais, curieusement, la rumeur courait tout aussi vite que si le temps avait été plus clément. On eût même dit que, figée par le froid hivernal, cristalline et scintillante, elle filait plus sûrement que les rumeurs d'été, sans être exposée comme elles à la touffeur humide, à l'étourdissement des esprits, au dérèglement des nerfs. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas, en se répandant, de se transformer de jour en jour, de s'amplifier, de s'éclaircir ou de s'assombrir.
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Vous comprenez, je suis géomètre, j'ai étudié cette science ; j'ai appris à arpenter les terres et à lever des plans. Et malgré tout, j'erre à longueur d'année sur le Plateau sans pouvoir exercer ma profession, car les montagnards ne reconnaissent à un géomètre aucune compétence. Vous avez vu vous-même comment ils règlent les questions de limites. Avec des pierres, des malédictions, des sorcières et je ne sais quoi d'autre. Quant à mes instruments, ils restent enfermés des années entières dans mon sac de voyage. Je les ai abandonnés là-bas à l'auberge, jetés dans un coin.
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[...] ... Minuit approchait. La fête battait son plein et personne ou presque ne pensait plus à la vieille Nice, quand, soudain, on la vit réapparaître à l'instant précis où les deux étrangers s'apprêtaient à se lever. Peut-être le général fut-il le premier à s'apercevoir de son retour. Il eut la sensation de sa présence comme un chasseur aguerri flaire l'approche du tigre dans la jungle. Voyant des gens s'affairer et chuchoter près de la porte, il entendit aussitôt monter ce cri au fond de lui : "Elle est là !" et se sentit blêmir. Cette fois, la vieille ne pleurait plus, on n'entendait plus sa voix, mais tout le monde sentait qu'elle était là, à la porte. L'orchestre continuait de jouer mais on ne l'écoutait plus. Un petit rassemblement s'était formé devant l'entrée. Personne ne pouvait s'expliquer pourquoi la vieille Nice était revenue. Peut-être à cause de son aspect, ou bien de ses supplications, toujours est-il que les gens s'écartèrent pour la laisser passer et elle pénétra dans la pièce au milieu des exclamations générales. Elle était toute trempée, couverte de boue, le visage d'une pâleur de mort, et elle portait un sac sur ses épaules.

Le général se leva machinalement et se dirigea vers elle. Il avait deviné que c'était lui qu'elle cherchait. Il se porta lui-même au-devant d'elle comme ces bêtes qui, flairant de loin la présence de l'ennemi, sont envoûtées par sa voix et, au lieu de fuir, courent jusqu'à lui.

Les gens s'agglutinèrent autour d'eux. Tous avaient l'air interdit. La vieille Nice se campa devant le général, fixa sur lui un regard mal assuré, comme si ce n'était pas lui qu'elle regardait mais son ombre, et, d'une voix cassée, émaillée d'une quinte de toux, elle lâcha quelques mots à son adresse, dont il ne comprit que celui de vdekje, ou mort. ... [...]
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Incipit :
Une pluie mêlée de flocons de neige tombait sur la terre étrangère. La piste de béton, les bâtiments et les gardes de l'aérodrome étaient trempés. La neige fondue baignait la plaine et les collines à l'entour, faisant luire l'asphalte noir de la chaussée. En toute autre saison cette pluie monotone eût semblé à quiconque une triste coïncidence. Mais le général n'était guère surpris. Il venait en Albanie afin d'assurer le rapatriement des restes de ses compatriotes tombés à tous les coins du pays pendant la dernière guerre mondiale. Les négociations avaient été entamées dès le printemps et les contrats définitifs signés seulement à la fin du mois d'août, quand, justement, les premières journées grises font leur apparition. On était maintenant en automne. C'était la saison des pluies, le général le savait. Avant son départ, il s'était renseigné sur le climat du pays. Cette période de l'année y était humide et pluvieuse. Mais le livre qu'il avait lu sur l'Albanie lui aurait-il appris que l'automne y était sec et ensoleillé, cette pluie ne lui aurait pas, pour autant, paru insolite. Au contraire. Il avait en effet toujours pensé que sa mission ne pouvait être menée à bien que par mauvais temps.
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Le mariage de Doruntine, en revanche, était un évènement dont tout un chacun se souvenait avec netteté. C'était un de ceux que le temps a la faculté d'embellir, et cela non point parce qu'ils sont inoubliables en soi, mais parce qu'ils ont le don de coaguler tout ce qui, du passé, est beau ou jugé tel, et qui n'est plus.
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...il n'est personne en ce monde que n'habite quelque regret à propos d'un disparu et qui ne se soit dit : ah ! s'il pouvait revenir une fois, une seule fois, que je l'embrasse ( mais quelque chose m'empêche alors de l'embrasser); même si cela ne peut jamais advenir ni adviendra jamais dans les siècles des siècles et c'est là une des plus grandes tristesses en ce bas monde, tristesse qui continuera de l'envelopper comme la brume jusqu'à son extintion.
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" J'ai fort mal dormi la nuit dernière, dit-il; j'ai fait un rêve étrange.
-- Et quoi donc ?
-- Je voyais cette fille publique, celle dont ce cabaretier nous a raconté l'histoire, vous vous souvenez ?
-- Oui, dit le prêtre.
--C'est justement d'elle que j'ai rêvé. Elle était morte, étendue dans une bière. Alors que, dehors, une foule de soldats, couchés eux-aussi dans des cercueils, attendaient leur tour, devant la porte de la maison.
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en ce monde , rien n'est bon ni mauvais au meme titre pour tous
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Ismaïl Kadaré
Horaires des trains


J’aime les horaires
affichés dans les petites gares secondaires,
planté sur un quai mouillé à contempler
les rails à l’infini.
Cri lointain d’une locomotive. Qu’est-ce qu’elle dit ?
(Allez comprendre ce que les machines à vapeur baragouinent !)
Trains bondés de voyageurs, wagons-citernes, bennes remplies
de minerai défilent sans répit
à travers la gare. Ainsi passent à travers toi les jours de ta vie,
chargés de voix, de signaux, de bruits
et du lourd minerai des souvenirs.
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