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Citations de Janet Frame (130)


Je me souviens de ce jour de grisaille où, appuyée à la barrière, j'écoutais le vent dans les fils télégraphiques. Pour la première fois, je pris conscience d'une tristesse extérieure, ou qui semblait venir de l'extérieur, du gémissement du vent dans les fils. Je parcourus du regard la route blanche et poussiéreuse et ne vis personne. Le vent soufflait, courrait devant nous de place en place, et je restais là, au milieu, à l'écouter. Un poids de tristesse et de solitude m'accabla soudain comme si quelque chose était arrivé ou sur le point d'arriver et que je savais de quoi il s'agissait. Je crois que je n'avais encore jamais prêté attention au monde autour de moi ; jusqu'alors, je pensais que "j'étais" le monde. En écoutant le vent et sa triste mélopée, je sus que cette tristesse n'était pas mienne, qu'elle appartenait au monde.
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Je sus que j'étais une rêveuse, simplement parce que la réalité m'apparaissait trop sordide, soumettant année après année nos rêves à un déclin impitoyable.
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Je suis impressionnée, dit Mattina, par le nombre de maison qui ont des pianos. Et même, à Puamahara – une petite ville, pourtant -, il y a un magasin de musique qui vend des pianos.
- Oh, autrefois nous étions un grand pays pour le piano !
Les premiers colons, les familles qui pensaient trouver le paradis grâce à quelques hectares de terrain, une maison de maître, des domestiques, du temps de loisir, achetaient tout leur piano et des partitions. Les premières batailles pour se procurer de la terre à tout prix ont été livrées par des meubles – des pianos et des bureaux – autant que par les gens.
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« Je veux couvrir d’épaisses chaussettes de laine les pieds de ceux qui dérivent vers l’autre monde. Mais je rêve et ne puis m’éveiller. On me précipite du haut d’un rocher et je m’y raccroche, je ne tiens plus que par deux doigts que le Géant Irréalité vient piétiner en dansant. […] Je ne sais pas la différence qui existe entre les choses, je ne vois entre elles que des ressemblances. Pour moi, la différence s’est flétrie comme une fleur, elle s’est éparpillée dans le vent. Et, de même que le chaton du noisetier s’envole pour laisser place à la noisette, il ne m’est resté qu’un fruit, la similitude. »
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Je ne veux pas habiter le monde humain sous de fausses apparences. Je suis soulagée d'avoir découvert mon identité après avoir été si longtemps dans le doute. Pourquoi les gens devraient-ils avoir peur si je me confiais à eux ? Pourtant les gens auront toujours peur et seront toujours jaloux de ceux qui ont réussi à établir leur identité ; cela les entraîne à prendre la leur en considération, à l'isoler, la dorloter, de peur qu'on ne la leur emprunte ou qu'on empiète sur elle, et dès qu'ils se mettent à la protéger ils sont bouleversés de découvrir que leur identité n'est rien, qu'elle est une chose rêvée et jamais connue ; alors commence la quête douloureuse -- que choisir -- bête ? autre être humain ? insecte ? oiseau ?
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- Je voudrais qu’on sauve à la fois les oiseaux et les gens, dit Mattina tout en sachant que c’étaient là des niaiseries.
- Bien sûr. Il est possible qu’en fin de compte il ne reste plus à ce pays qu’un immense tas de gravats, des eaux – rivières, fleuves et mers – polluées, un petit bout de bush indigène avec juste une famille de gobe-mouches et puis une famille humaine venue réaliser l’émission « Notre monde magnifique » : elle filmerait la scène depuis une cachette bien camouflée
- Je vois, dit Mattina
- Bon, dit Hene, c’est pas votre problème.
- Mais si, s’écriait Mattina, ça l’est ! Si je peux faire quelque chose...
- Euh... Non, c’est à nous de les résoudre. Vous, aux États-Unis, vous avez vos propres problèmes »
Elle jeta à Mattina un regard pénétrant.
« Est-ce que vous avez tenté de les résoudre ?
- Pas vraiment.
- Bien sûr que non », dit froidement Hene
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Une fois encore, passive et soumise, je jouais dans la vie ce rôle qui, à l'hôpital, m'avait été imposé mais auquel mon naturel timide s'était plié sans effort : au mieux, c'est le rôle de la reine des abeilles entourée de ses ouvrières ; au pire, c'est celui de la victime impuissante et dépossédée ; et dans les deux cas, on est dépouillé de soi-même car tous ont misé sur cet avenir qu'ils ont préparé à l'avance.
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Plus vite je serai rentrée à New York, mieux ce sera, se dit-elle. Je croyais que tout allait s’éclaircir dès que j’aurais mi les pieds à Puamahara, que j’allais vivre rue Kowhai comme dans une rue en carton où je pourrais bien nettement mettre en évidence les noms, les personnalités et les histoires des résidents, bien isoler cette rue des grandes routes fréquentées qui la bordent et l’enferment dans cette partie du monde. Je croyais que j'allais extraire de l’or dans chaque maison et que je retournerais à New York avec ma bourse remplie de personnes que j’aurais connues parce que j’aurais exploité leur trésor personnel, que j’aurais cueilli leur bourgeon de Fleur du souvenir et de Puamahara, mais ça ne passe pas comme ça. J’ai pris part à des conversations, j’ai partagé des repas, recueilli des faits. J’ai découvert un petit nombre de secrets et de scandales. La rue Kowhai, Puamahara et le Maharawhenua sont pleins de gens dont la vie se déroule sans trop d’angoisse, de douleur ou de plaisir. A Puamahara, il y a suffisamment à manger, c’est un endroit où presque tout un chacun peut trouver sa place et où il y a des gens parmi lesquels faire sa vie.
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Je sus que j'étais une rêveuse simplement parceque la réalié me paraissait trop sordide, soumettant année après année, nos rêves à un déclin impitoyable.
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Pourtant à la façon dont les gens parlaient de la guerre je savais que ce n'était pas un endroit comme San Francisco ou Honolulu mais quelque chose qui se déplaçait comme un iceberg ou un nuage ; elle était invisible, elle n'allait pas toujours dans la même direction comme une rivière ou ne gardait pas la même forme comme un train sur la voie ferrée, mais changeait continuellement, avait peut-être de nouveaux bras et de nouvelles jambes et un nouveau visage qui lui poussaient puis qu'elle perdait ou bien qui s'effaçaient ; elle enfonçait peut-être une racine dans le jardin ou la route ou dans l'eau - la mer, les rivières - et y restait, grandissait, fleurissait, puis se fanait ; emportée de-ci de-là par le vent ; pénétrait les gens, devenait les gens, les volait, leur ajoutait quelque chose, changeait la forme de leurs vies : telle était la guerre. Elle continuait éternellement tandis que les gens tentaient de lui échapper ; ils chantaient. Mets tes soucis dans ton vieux sac et Oh mon Dieu, je ne veux pas mourir, je veux rentrer chez moi.
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Je retrouvai l’exaltation teintée de mélancolie et d’inquiétude que j’avais ressentie jadis, quand j’avais dix ans, en pénétrant pour la première fois dans la bibliothèque de ma ville natale. Cette bibliothèque portait le nom impressionnant d’institut des Lettres et des Sciences et l’on ne pouvait y entrer sans passer devant la reconstitution monumentale d’un oiseau préhistorique à l’air féroce qui se trouvait au bas de l’escalier, et devant une bibliothécaire à la voix acerbe qui trônait derrière un guichet. Elle distribuait des cartes, des reçus et des livres tout en surveillant du coin de l’œil la salle de lecture voisine où étaient assis des vieillards, pétrifiés apparemment par des pancartes qui recommandaient le silence… Il me semblait que les livres devaient être des trésors merveilleux puisqu’on ne pouvait les obtenir qu’après avoir surmonté tant d’épreuves. Je croyais qu’ils étaient réservés aux personnes assez courageuses pour ne pas se laisser intimider par la taille gigantesque et les yeux de verre d’un oiseau empaillé. Ces pancartes, qui suppliaient de se taire là où personne n’aurait songé à parler, m’avaient donné à penser que la pièce recelait des présences mystérieuses et dangereuses, apparentées étrangement à la mort et à la reconstitution délicate de l’oiseau préhistorique. Je me disais que, dans les livres, les caractères d’imprimerie devaient être semblables à de petits animaux empaillés et qu’on leur avait attribué une signification pour les faire tenir debout, comme on met une armature de fil de fer dans la carcasse des bêtes naturalisées, et qu’on les avait enfin ressuscités pour former des mots et leur donner une allure impressionnante… Ainsi, c’était pour se protéger que la bibliothécaire se cachait derrière un guichet et suspendait des pancartes sur les murs : elle était obligée de faire l’impossible pour dompter des êtres bien plus effrayants que les timides abonnés qui se promenaient sur la pointe des pieds devant les rayonnages.
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Reconnaître la grandeur d'une œuvre d'art, c'est comme être habité par l'amour ; les pieds ne touchent plus terre ; le déclin, la destruction, la mort, sont à l'intérieur et ne peuvent atteindre le bien-aimé ; c'est prendre d'amour pour l'immortalité, c'est être libre, c'est voler dans une contrée paradisiaque.
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Je compris qu'il me faudrait redoubler d'attention : il faudrait mettre des gants pour ne pas laisser d'empreintes, chaque fois que je m'introduirais dans le bric-à-brac de mon âme pour y dérober en cachette l'exubérance, la dépression, la méfiance et la terreur.
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Grace essaya de ne pas penser à son incapacité à communiquer par la parole ; elle retraça la part qu'elle avait prise ce soir-là à la conversation. Si seulement elle avait dit ceci, si seulement elle avait dit cela ! Pourquoi semblait-elle toujours s'arrêter au milieu des phrases et ne pas pouvoir continuer parce que ses mots et ses idées s'étaient enfuis ?
Elle se mit à pleurer, en silence, et bercée par ses larmes elle s'endormit.
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Jack l’aida à regagner la chambre et son lit. Il apporta les oreillers, remonta les couvertures sur elle et l’embrassa. Ils se prirent dans les bras l’un de l’autre, échangèrent des baisers et pleurèrent tous les deux en songeant à la vie qu’ils avaient passée ensemble, à John Henry, à la fois où chacun avait été infidèle à l’autre, au roman qui, après les avoir autrefois violemment séparés, les réunissaient à présent par ses trente ans d’existence fantomatique, par la vie qu’il avait eue dans la non-écriture, par les années que tous deux lui avaient consacrées. Ils étaient conscients l’un et l’autre du grand fond de tristesse chez Jake. On s’était moqué de lui. Son incapacité à produire un deuxième roman avait fait l’objet de remarques dans les colonnes littéraires de journaux, mais les explications avancées n’avaient aucun lien avec la vérité telle que Jake la percevait. Un jour, dans la maison d’édition, Mattina avait entendu un agent littéraire en visite demander à un des éditeurs : « Est-ce que vous avez des nouvelles du nouveau roman de Jake Brecon, celui qu’il écrit depuis trente ans ? »Elle avait entendu les éclats de rire.
« C’est un monde brutal, en effet » dit Mattina
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- Tout ce que vous avez cuisiné était délicieux.
Grace se sentit fière d'avoir dit ça. Elle admirait le talent d'illusionniste d'Anne, car bien que les repas aient semblé se succéder sans interruption, et qu'Anne ait continuellement été en train de les préparer, allant et venant de l'évier au four à l'évier à la table, tout s'accomplissait avec une telle discrétion que si vous aviez interrompu Anne à un instant ou un autre, vous ne l'auriez jamais surprise avec dans les mains une boule de pâte ou une pomme de terre à moitié pelée. Sa manière délibérée ou involontaire de cacher la préparation et la cuisson des repas évoquait pour Grace la création d'une œuvre d'art ; pourtant il n'y avait aucun triomphalisme dans la façon dont elle les servait ensuite. Un artiste pourrait en prendre de la graine, se dit Grace. Elle sait produire et donner sans préciser - C'est mon œuvre.
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Je savais que ces mensonges étaient le fruit de la vanité et de la lâcheté, de ma réticence à voir ma vie telle qu'elle était, et non telle que je l'imaginais ou espérais qu'elle aurait pu être.
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Elle se rendait compte que sa vie était été si lisse et, d'une certaine façon, tellement éloignée d'une vision intérieure des gens, que c'était comme si elle avait vogué le long d'une rivière noire à côté d'un défilé de falaises abruptes sur lesquelles elle n'avait pas trouvé de prise pour ses doigts ou ses orteils et, plus tard, elle avait été incapable de déchiffrer la surface de ces falaises là où elles présentent des cicatrices, des failles, des plantes rustiques ou fragiles et des fleurs qu'on ne trouve pas du côté lisse.
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" Oh ! Mon Dieu ! Oh ! Mon Dieu ! " Je me rappelle que je récrivis aussi une petite prière apprise autrefois à l'école. On m'avait donné, quand j'étai enfant, une minuscule médaille de cuivre avec une petite prière gravée sur le revers. Poussée par je ne sais qu'elle force obscure, je m'étais sentie obligée de la réciter tous les jours de ma vie.
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22 janvier
Il fait toujours très chaud. Les enfants courant partout, tout nus. J'ai reçu une lettre de Daphné aujourd'hui, la première depuis longtemps. Comme il doit être bizarre, ce monde où elle vit. Sa lettre ne veut rien dire, c'est incroyable que le docteur l'ait laissée l'envoyer. Ca parle de Noël et d'un morceau de lune avec une souris qui grignote un linceul de soleil, à faire peur. Je ne la vois pas du tout guérir et mener une vie normale comme moi. Pauvre Daphné ! Elle renvoie la lettre que je lui ai écrite avec les mots "Au secours, au secours", griffonnés au bas, comme s'il fallait me sauver d'un sort affreux et que le destin (je pense à la Cinquième Symphonie) frappait à la porte. Bien sûr, c'est à elle-même qu'elle pense quand elle demande du secours.
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