Citations de Jean-Marie Laclavetine (147)
La mer était ce jour là ce qu'elle est et sera de toute éternité.
Inlassable, inarrêtable, écumante, puissante, murmurante, ombrageuse, effrayant, attirante, maternelle, ravageuse, hirsute.
... La parole, la Parole... L'humanité semble s'être accrochée à cette pauvre bouée, entre la secte catholique qui lui a collé une majuscule et des confessionnaux, et la clique viennoise qui a prétendu en faire un passe-partout pour entrer chez les gens à toute heure.
Puis son visage s'éclaira d'un sourire en voyant son petit-fils aux cheveux hirsutes, aux yeux écarquillés : il constata qu'il était grand-père. Il arrosa l'événement d'un giclée de gnôle dans sa tasse de café. Paul déclina. Peu à peu, visiblement, l'information prenait toute sa place dans le cerveau de Guy. Le sourire s'élargit, les yeux se plissèrent, il prit Samuel dans ses bras. L'enfant, étonné, agrippa le gros nez qui se penchait vers lui. Naissance d'une passion.
[1981 - 1988]
Où sont-elles, la communauté rêvée, la vie dissolue et indissoluble, la grande fiesta cosmique ? Le voile d'amitié universelle, de tendresse et de fleurs qui semblait avoir tout enveloppé à la fin des années soixante s'est déchiré. On ne rêve plus du grand tout, de la fraternité contaminante, de l'autorité morte. Le pouvoir des fleurs n'est plus ce qu'il était : désormais cultivées dans des serres aseptisées, elles n'ont plus de parfum. La planète valse dans sa robe rouge sang. Grandes valses des guerres et des coups d’État, des terreurs et des révoltes, du Kippour au Chili, de Bagdad à Buenos Aires ; valses amères des désillusions, de Lip à Manufrance, du Larzac à Creys-Malville ; valses joyeuses des triomphes provisoires de la loi Veil à Paris aux Iraniennes rejetant le tchador à Téhéran ; valses macabres des morts particulières, dansez Groucho Marx et Carrero Blanco, Mao et Gabin, Malraux et Golda Meir, dansez John Lennon et Paul VI, Jacques Brel et Aldo Moro, (…), vieilles valses des pouvoirs, le shah s'en va, Khomeiny arrive, Pol Pot s'enfuit, Sihanouk revient, Mao s'éteint, Deng ressuscite, valse déglinguée des noms nouveaux pour les amoureux de la mer, Torrey Canyon, Olympic Bravery, Amoco Cadiz...
Les pépites safran des girolles font rire la faïence.
Destins, destins impénétrables. Les vies se croisent sans se toucher, la gare fourmille de trajectoires singulières.
Salle des pas enfin perdus, vraiment perdus. Ce sera dans une éternité, le temps me porte, je suis un souffle, j'embrasse le monde qui tourne sous moi, je vole, je suis une feuille, une plume, une poussière qui se pose sur un fil de lumière pour bondir de nouveau, j'étais le peintre aux mains bleues aux mains maculées au corps pesant me voici oiseau.
L'écriture, c'est comme l'armée, on y retrouve tout le monde. Des avocats, des secrétaires, des boulangères, des critiques littéraires, des énarques, des politiciens, des fils de famille, des vagabonds, et même quelques écrivains.
Et ils s'en vont. Anita, le verre d'eau à la main, les regarde s'éloigner. Laurent s'est levé sans trop de mal, aidé par Virginie. Nous n'en saurons pas plus. Ils poussent la porte vitrée, s'éloignent dans la salle des pas perdus, ils s'en vont, poursuivis par deux valises piauleuses, ils quittent l'histoire comme ils y sont entrés, tant bien que mal, en s'aimant.
Les plus faibles mouraient. On les mangeait sans plaisir, car la lente agonie dans ces lieux malsains donnait à ce qu'il leur restait de chair un goût de salpêtre et de vase. Leurs os friables ne pouvaient pas même servir à confectionner des outils. On conservait parfois leur crane par respect machinal de la tradition. Les plus aimés étaient décorés; les autres, percés de petits trous, servaient d'écumoires, ou de balances pour la pêche aux écrevisses."
L'originalité du lieu tenait à l'extrême diversité des vins proposés à la dégustation, accompagnés de fromages et cochonnailles. La plupart des terroirs de France était bien sûr représentés; mais aussi un grand nombre de crus étrangers, venus de plusieurs continents.
La vie nous apprend beaucoup de choses,mais toujours avec un temps de retard qui les rend inutiles ou pénibles, j'ai remarqué ça.
Les bateaux n'accostent plus au quai. Des cormorans désaxés mènent leur vie d'oiseaux marins qui se trempent les pattes à l'ombre de la bibliothèque. Sous la peau verte du fleuve, des monstres font la sieste, silures dont on hisse parfois sur la berge le double mètre frissonnant. La vie circule ici avec la lenteur qui convient aux fainéants sublimes.
Les mots, pas plus que le silence, ne peuvent rien contre la mort. Seule existe avec certitude cette réalité froide, éternelle, cette réalité de pierre : à la naissance succède la mort, et entre le rien et le rien la vie n'est qu'un intermède plus ou moins bref ; plus ou moins crédible, plus ou moins aimable, plus ou moins décevant, plus ou moins palpitant, plus ou moins douloureux, un ballottement indécis entre deux éternités, une étincelle dans le grand vide.
Fred a le temps, la vraie vie est ailleurs. Qu'en fait-il, de son temps? Inutile de lui poser la question, il répond en haussant les épaules. Sa mère, interrogée, dit qu'il reste enfermé dans sa chambre à écouter des choses – elle n'est pas sûre que ce soit de la musique, plutôt des chants de baleine ou de scie électrique – et à en fumer d'autres – des clous de girofle, croit-elle.
Le premier novembre cette année-là tombait un vendredi. Nous étions descendus passer quelques jours en famille chez notre grand-mère de Bayonne.Nous : mes parents,mes deux frères,ma sœur Annie et l'homme qu'elle aimait,Gilles. Elle avait vingt ans,lui vient deux. Le lendemain de notre arrivée quelq'un a proposé d'aller faire une promenade au phare de Biarritz avant le déjeuner. Nous avions hâte d'aller contempler l'océan....
p. 22 Voilà ce qui rend la littérature supérieure à la vie ordinaire : elle offre des territoires sauvages, inviolés, où l’on se promène dans une solitude enivrante, mais on y est relié à l’humanité entière, tout peut y être partagé, la solitude y est peuplée, traversée par d’innombrables ruisseaux de vie, ce voyage est sans fin.
L'alcool pour les soirs, de moins en moins fréquents, où nous savions que nous allions faire l'amour-moins par désir que par souci de perpétuer vaille que vaille, dans une normalité indolore, l'insignifiance du dispositif conjugal.
On ne peut pas évaluer les besoins réels d’un individu sur la base de ce qu’il exprime. Je veux dire par là qu’il y a des gens champions pour réclamer ce qu’ils ont déjà, quand d’autres n’exigent rien, alors qu’ils sont dans le besoin, on ne peut pas savoir, ce serait trop simple, ce serait tellement plus simple s’il suffisait de ne donner que lorsqu’on est obligé.
Bref ça n'allait jamais. Toutes elles prenaient des médicaments, neuroleptiques, antidépresseurs, toutes les femmes bouffent des pilules de nos jours, c'est quand même un peu fort.