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Critiques de Jérôme Ferrari (751)
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À son image

"Il avait travaillé pour le journal pendant une trentaine d'années et s'était résigné depuis bien longtemps à ne rien attendre de son métier.

Mais tous les week-ends, il sillonnait l'île à la recherche de bergeries abandonnées, il en avait photographié des centaines, les murs de granite, les murs de schiste, les murs de craie recouverts de ronces, les toits effrontés, le long de chemins dont personne ne se rappelait l'existence, il voulait en faire un livre, il cherchait un éditeur, et Antonia ne comprenait pas qu'on pût ainsi s'infliger de longues randonnées en montagne pour photographier des tas de pierres abandonnées dans des lieux sombres et désolés mais quand il lui montra son travail, elle fut frappée par la puissance esthétique émanant de ce minutieux inventaire de la ruine qui ne parlait ni du passé ni de la nature mais seulement de l'inéluctable défaite des hommes. "(p. 72-73)



Les univers romanesques de Jérôme Ferrari sont denses, mêlant le plus sombre de la condition humaine, comme ses fulgurances flamboyantes... J'ai débuté mon ressenti de lecture par un extrait qui me tient à coeur... et le dernier ensemble de mots serait, ...pourrait être un concentré de la voix de cet écrivain corse : "L'inéluctable défaite des hommes ..."



Le pitch a déjà été fait : une jeune photographe , Antonia trouve la mort dans un accident de voiture... Décès si prématuré, et révoltant... Son parrain, le prêtre du village, est pressé par sa soeur [mère d'Antonia] de célébrer la messe funéraire... Il aimerait tant être déchargé de sa fonction, pour n'être plus que le tonton et le parrain de sa nièce , Antonia, qu'il adorait, et à qui, il a offert, pour ses 14 ans, au grand dam des parents, son premier appareil photographique...



Le récit se fait à plusieurs niveaux passant du tout début du 20e aux années 80...avec en alternance cette messe d'enterrement où le parrain se souvient des moments avec sa nièce, leur affection , puis sa rebellion, sa colère contre le Dieu de son parrain qui ne soulage pas la douleur des Hommes...d'autres personnages, lors de cet office des défunts, se souviennent d'Antonia, de sa personnalité, de ses amours, de ses coups de gueule... et en noyau central, cette passion de la photographie, des images : tour à tour esthétiques, poétiques ou toxiques, montrant l'insupportable....



J'ai le sentiment que l'auteur prête sa voix aux deux personnages centraux: Antonia, cette jeune photographe, dans la douleur et les questionnements quant à son métier de photographe [ surtout après le choc de son séjour, pendant la guerre de Yougoslavie, d'où elle ne rapportera aucun cliché !]. Jeune femme déchirée, entre son attachement à un militant nationaliste, et les horreurs de la guerre , hors de son île... dont on assiste par personnages interposés à ses obsèques ! et le deuxième personnage, son parrain et prêtre qui doit assurer cet office des défunts... A travers cet oncle-parrain-prêtre, on fait connaissance avec la courte vie d'Antonia mais aussi avec les rituels religieux, les questions de la foi, du mal dans l'histoire des Hommes...



Une lecture dense, d'une indéniable qualité et originalité, mais pour des raisons qui me restent très

obscures, je reste à la lisière... de l'univers de Jérôme Ferrari...ne parviens pas à m'y immerger totalement , comme je le souhaiterai!



J'ai souvent la sensation de ne ! pas saisir toute la complexité et les ramifications de ses écrits... Ainsi

je me suis replongée dans l'entretien très éclairant de l'écrivain dans le numéro de LIRE de septembre 2018.



Reste un moment de lecture aussi bouleversant, que dérangeant, mais aussi à l'image des polyphonies corses: Sombres, poignantes, musique , voix chavirantes....et philosophie de vie , identité d'une terre...etc.



Je pense que dans un temps futur, je relirai ce roman mêlant à la fois la littérature et la philosophie et tant d'autres choses...!



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*******Je me permets une parenthèse : dans l'interview de Jérôme Ferrari, dans le LIRE de septembre 2018...

il exprime , entre autres questions, ses sentiments et sa posture vis à vis de la religion ...



" Quel rapport entretenez-vous avec la religion ?



-J.F. Je n'ai pas du tout aimé le catéchisme, je trouvais ça niais. (...) En revanche, j'ai toujours apprécié le rituel- j'ai dû être enfant de choeur au village deux ou trois fois-et j'adorais sonner les cloches ! J'ai découvert les textes en latin-qui, eux, ne sont pas du tout niais- par le chant corse.

Ils sont sublimes. Je dois dire que s'il y a bien une chose magnifique en Corse, ce sont les différentes messes chantées en polyphonie. Même si, pour moi, ça ne s'accompagne pas de la foi, elles provoquent quelque chose de très profond.



- A Son image met en scène une messe de funérailles. Que représente pour vous le rituel de la messe ?



-J.F. En Corse, il s'agit encore d'une affaire sociale. Tout le monde se retrouve dans un événement qui dépasse le cercle familial. Dans les moments de deuil, la société nous rappelle que la cérémonie n'est pas réservée aux proches. En même temps, c'est l'aspect le plus rituel et

collectif des chants qui dit le mieux la peine personnelle. " (p. 43)

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Le sermon sur la chute de Rome

Pas facile d’éclairer en quelques mots le nouveau roman de Jérôme Ferrari. Ici, la tragédie, toute empreinte de malédiction, se joue au cœur d’un petit village corse où les personnages voient s’effondrer les mondes rêvés qu’ils édifient.



Il y a Marcel, un vieil homme qui a traversé tout le XXe siècle et qui promène aujourd’hui sa vieillesse en se remémorant sa propre vie dans laquelle il ne se sera rien passé ; Matthieu et Libero, deux amis d’enfance qui décident d’abandonner leurs études de philosophie pour reprendre le bar du village ; Aurélie, maître de conférences partie faire des recherches archéologiques en Algérie ; et leurs parents, grands-parents, amis... Petit microcosme dans lequel chacun évolue dans un monde bien à lui, convaincu qu’il n’est pas d’alternative possible. Un monde que l’on croit indestructible.
 Et pourtant, bientôt, s’y joueront les comédies humaines les plus prosaïques comme les drames personnels et collectifs les plus sombres. 




Qu’est-ce qu’un monde ? Agrégé de philosophie, Jérôme Ferrari pose la question et s’intéresse à la réponse que pourrait y apporter un roman, une histoire. Il entrecroise alors différents fils narratifs qui ont pour thème commun le fait qu’un monde est inexorablement appelé à naître, croître puis mourir, comme Augustin l’avait évoqué dans son discours lors de la chute de Rome en 410.

Ici, le monde en question c’est ce petit bar de village autour duquel gravite une foisonnante galerie de personnages que l’auteur dépeint avec force et justesse. Comme à Rome en son temps, qui pourrait imaginer le désastre qui les attend ? Avec une écriture audacieuse, tantôt solennelle et tantôt ironique, Jérôme Ferrari signe un roman ambitieux, puissant et universel. Une réussite !
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À son image

On en disait du bien autour de moi, du dernier roman de Jérôme Ferrari !



Et mon plaisir de lectrice est d'abord cette écriture, généreuse, descriptive, introspective, aux phrases longues comme des lianes qui enveloppent et s'enroulent en décortiquant jusqu'à l'os la narration.



Mais ensuite, quelle difficulté à prendre de la hauteur pour approcher l'essentiel!

Un livre intelligent, dense et admirablement construit. Un mélange de réflexions sur l'image, sur la mort, sur l'engagement spirituel ou politique, sur la fascination des guerres et de la pérennité illusoire des choses et des êtres, sur la difficulté de rendre compte sans voyeurisme et complaisance.



Troublante et géniale idée d'appuyer le récit sur le décès d'une jeune photographe de presse, introduisant d'emblée le concept de l'éphémère entre l'image instantanée captée et la mort.

Chaque chapitre, introduit par des photos imaginaires, va suivre le requiem liturgique dans un petit village corse, accompagnant le souvenir d'Antonia au milieu de ses proches, dans sa vie et son métier fait de choix et frustrations. L'occasion aussi de comprendre au plus près l'identité corse, son nationalisme, la légitimité des combats et l'impact sur la population.



Au final être photographe de presse est-il un mal nécessaire?

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À son image

Une petite église de village dans le sud de la Corse.

Un prêtre, ravagé de tristesse, y célèbre une messe de funérailles, celles de sa nièce et filleule Antonia.

Parce qu'à 14 ans, elle s'était prise de passion pour les photos de famille, il lui avait offert son premier appareil.

Il ne se doutait pas qu'elle en ferait sa vocation et que, lasse des reportages sans intérêt que lui confie le journal local, elle déciderait de partir pour la Yougoslavie alors en guerre.

Elle en reviendra bouleversée, consciente de la puissance de l'image et des liens ambigus qu'elle tisse avec la réalité et la mort.

Sur fond de nationalisme corse et de lutte armée, elle prendra conscience de la difficulté de publier des photos qui indignent et qu'on voudrait oublier au plus vite, du pouvoir de la censure ou de l'auto-censure.



A travers ce récit, Jérôme Ferrari explore le domaine de la photographie de presse, consacrant notamment deux chapitres à des reporters du XXeme siècle et à leur travail sur le terrain.

Je reste une fervente admiratrice de sa très belle plume, à la fois dense et soignée.

J'aime beaucoup ses longues phrases construites avec intelligence et précision, dans lesquelles on ne s'égare jamais.

Un roman sombre, lourd de sens, sur lequel plane l'âme de la Corse et la ferveur de ses habitants mais aussi la noirceur cachée de la guerre.
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À son image

Refermant un livre de Jérôme Ferrari, j'ai souvent eu l'impression d'avoir suivi une histoire mais de ne pas avoir compris la construction du roman ; lisant des critiques de ses livres, j'ai souvent eu l'impression que j'étais loin d'avoir tout retenu. Cette fois-ci j'ai tenté de prendre quelques temps de réflexion en cours de lecture, et je pense que c'est utile et agréable. Car ce livre-ci aussi est complexe.

Voyons.

C'est à première vue l'histoire d'une photographe et de son enterrement. C'est naturellement une réflexion sur le métier de photographe : chiens écrasés, photos d'art, mariages, témoignages de guerre, de massacres et d'horreurs, et sur la responsabilité du photographe : faut-il faire la photo ? la préparer ? la retoucher ? la publier ? C'est possiblement un résumé en quelques petites touches de l'histoire de la photographie de guerre.

C'est aussi une histoire de famille, et singulièrement du lien entre le sacerdoce et la vie familiale . Au bout de quelques chapitres, j'ai compris que le découpage du texte correspond aux phases successives de la messe des morts, ce qui est assez pratique pour rechercher une page déjà lue (Le lecteur sent vite arriver des aspects religieux : « À son image »  vous évoque-t-il autre chose que la création de l'homme?*). Mais chaque chapitre a aussi un sous-titre qu'on voit vite correspondre à une photo.

C'est finalement aussi une évocation de deux guerres. L'auteur nous remémore l'histoire de la lutte des indépendantistes corses, se moquant un peu d'eux au début, puis dénonçant la stupidité odieuse et mortifère de leurs luttes internes. Sur l'ensemble des guerres balkaniques, il y a aussi un chapitre historique dont la rapidité et le détachement confine à l'humour, puis une série de scènes allant jusqu'à l'horreur : de quoi détruire toute confiance en l'Homme.

Ajouterai-je que c'est aussi une peinture, le plus souvent bien sombre, des relations de couple : motivations, construction, déconstruction...

En somme, ce n'est pas une lecture linéaire, puisque le temps de la messe des morts se tisse avec celui de la vie d'Antonia. Les personnages principaux du prêtre et de la photographe ont d'ailleurs en commun, outre une famille, un mélange de réflexion et d'instants de simplicité (proche de la naïveté?) assez intéressant. Mais d'autres histoires de photographes s'ajoutent à la trame, et il m'a été difficile d'avoir une vue d'ensemble, un peu comme si j'avais cherché à tourner mon regard, le cou tordu, pour relier des régions distantes d'une fresque sur un plafond. On aime ou on n'aime pas ce foisonnement, il m'a ravi et j'en redemande. Et bien sûr j'apprécie l'écriture de Jérôme Ferrari, travaillée mais jamais tape à l’œil.



J'ai peur d'en avoir, contrairement à mon habitude, trop dit sur la construction du livre et surtout sur le récit qui en est la matière apparente. Vos commentaires sur ce point seraient appréciés.



*J'ai cherché à savoir si le Coran, comme la Bible, dit que la divinité a créé l'homme à son image, mais le texte a des interprétations contradictoires sur ce point.
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Le sermon sur la chute de Rome

Le soleil irise de son feu le ciel de Corse ou de Rome, je m’égare dans ma géographie, d’autant plus que la gare n’est plus qu’un souvenir. Tous ce que je sais c’est qu’on s’y enfile encore quelques pastagas sous le soleil exactement, ou lorsque la lune fait son apparition. Tout en bout de comptoir, ma place fétiche, le regard qui se porte sur les serveuses, jeunes et généreuses, qui tournent autour des tables, un plateau à la main, des verres de pastis, des pintes de bière, les seins charitables qui ne demandent qu’à être pris en main, je profite de ce spectacle seul dans mon coin, histoire de philosopher sur ma vie. Ou sur la chute de Rome, bien que là, je crois que je risque de m’y perdre, autant faire ce que je sais faire, me contenter de boire mon pastis devant un bon bouquin, aux phrases longues et presque interminables – contrairement au contenant de mon verre - que j’apprécie particulièrement. En plus, la plume se met au service d’un bar… Ce n’est pas Saint Augustin qui va m’empêcher de reluquer les seins des saintes serveuses si vertueuses qu’elles me caressent l’âme sensible, les sévices de mon imagination.



Lorsqu’un bar ferme ses portes dans un petit village de campagne, c’est un peu la mort de celui-ci. Là où dans le temps l’église faisait office de lieu de communion, le bar remplit amplement cette fonction. Pourtant, tous s’y rencontrent, les chasseurs, les ivrognes, les enculés et autres prostituées. Alors lorsqu’un enfant du pays décide de le sauver, c’est l’espoir qui renait. La vie qui renait. Le désir et l’envie qui renaissent. Même les plus bourrus, les plus solitaires, le bison qui décline en son for intérieur ces deux caractéristiques, prennent le temps d’aller boire un pastis. Le concept repose avant tout sur le savoir-faire des serveuses, leurs sourires et leurs jolis postérieurs qu’après deux verres on aurait tant envie de l’attraper, pour le humer, le caresser, le pénétrer, dans la chambre du haut.



Mais l’homme étant de général un pauvre type – et je ne parle pas du bison – le paradis ne reste qu’artificiel – dis-je en regardant les seins de la serveuse se dandiner lorsqu’elle m’amène la bière qui étanchera ma soif - dans ce bas monde, triste ère où l’errance d’une vie rend triste. Je ne suis point là pour philosopher sur la vie des hommes, étant plus spiritueux que spirituel, mais ces derniers ont toujours tendance à détruire la beauté de ce monde, et pourtant quoi de plus beau qu’un bar, un pastis et une serveuse bien roulée…
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À son image

Prix Goncourt 2012 avec « le Sermon sur la chute de Rome », Jérôme Ferrari propose un roman sur la violence et les rapports entre la réalité et la photographie.

« A son image » est construit autour des étapes de la messe des funérailles d'Antonia, une jeune femme corse dont la voiture est tombée dans un ravin en août 2003. C'est son oncle, parrain et prêtre, qui se charge de célébrer ses obsèques, entre peine et souvenirs. Il lui a offert son premier appareil photo lors de ses quatorze ans. Alors que sa foi vacille sous le chagrin, c'est l'occasion de revenir sur la vie d'Antonia, celle d'une reporter-photographe de presse locale, compagne d'un militant nationaliste corse, partie couvrir la guerre de l'ex-Yougoslavie et ses massacres car usée et frustrée d'être cantonnée à sa couverture des fêtes locales, d'immortaliser les incendies de forêts ou accablée par l'envers du décor du FNLC, son terrorisme et ses batailles d'ego sanglantes, et de voir ses amis militants se déchirer. Toutefois elle ne divulguera jamais ses reportages construits à partir d'images de guerre.



Jérôme Ferrari documente son roman d'une iconographie sans images, confiant leur reproduction au pouvoir des mots. Il interroge sur la pertinence et le message de la photographie de guerre. Alors même qu'une photographie est la trace sensible d'un instant éphémère, celui qui la regarde ajoute toujours son interprétation et tente de donner un sens, fréquemment en se trompant. Antonia cherche à lever ses incertitudes sur son propre talent et se retrouve toujours un peu décalée face à l'évènement car elle s'interroge sur la fonction et l'utilité du photoreportage de guerre et le risque de voyeurisme qu'il peut entrainer. Il est difficile de déterminer la limite entre une image « honnête et une image « obscène », entre ce qui reste futile et ce qui est insupportable.



La thématique religieuse est très forte, alors que Jérôme Ferrari affirme ne pas être croyant, il adopte une « écriture croyante », comme l'appelait le prêtre philosophe Michel de Certeau, et accorde une grande importance au thème de la représentation du réel. Son personnage principal est une photographe et le titre du livre renvoie à ce Dieu qui, pour les chrétiens, a créé l'homme à son image.



Ce roman puissant, et à la construction originale, nous donne l'occasion de nous poser des questions sur le pouvoir de l'image, alors que celle-ci s'affiche partout, régulièrement détournée. Peut-on tout montrer, tout représenter, au prétexte que c'est notre liberté qui est en jeu ?

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Le sermon sur la chute de Rome

Rome, ville éternelle ?

Comme souvent, avant de démarrer une lecture, je ne savais rien de l'œuvre mis à part le fait que ce roman avait reçu le prix Goncourt. Je pensais donc partir dans la Rome antique et je me suis retrouvé en Corse.

Je ne l'ai pas regretté, bien au contraire. Ça n'arrive pas si souvent de rencontrer des livres qui vous captivent, celui là en est un, dès les premières phrases j'ai été happé et ne l'ai plus lâché.

Cela tient surtout à l'écriture de Jérôme Ferrari, envoûtante. Je suis rentré de plain-pied dans l'histoire de cette famille avec cette photo prise en 1918 mais où ceux qui compte ne sont pas les présents mais les absents.

Suivants les chapitres, soit on déroule le siècle avec Marcel soit l'on est ancré de nos jours dans ce petit village.

Les passages sur Marcel sont ceux les mieux écrits, les plus émouvants, une vie rongée d'espérance, une vie à ses yeux inutile, gâchée, il reste avec ses morts et attend à son tour la fin.

Pour son petit-fils Matthieu et son ami Libero, après des désillusions universitaires, ils se construisent un autre rêve en reprenant un bar. La majeure partie de ce roman se déroule dans ce bar, microcosme des passions et des relations humaines.

Espoirs déçus, rêves se terminant en cauchemars, est-ce que rien de ce qu'on bâtit ne résiste ?

Que reste t'il à part la pensée de ces moments ?

Quand une personne âgée meurt, elle emporte avec elle le souvenir de ceux déjà disparus qui ne vivaient plus que dans sa mémoire, ils disparaissent à jamais sans plus personne pour se rappeler leurs existences sauf à travers quelques photos, des visages des générations précédentes où l'on ne peut le plus souvent même mettre un nom.

Ce roman a résonné en moi sans même que je puisse vraiment l'expliquer. Il invite à la réflexion. J'espère vous avoir donné envie de le découvrir à votre tour, il le mérite.
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Le sermon sur la chute de Rome

Deux amis quittent leur Corse natale pour aller étudier à Paris. L'un d'eux se spécialise dans la philosophie et les discours de Saint Augustin. L'expérience n'est toutefois pas à la hauteur de leurs espérances. Plutôt que d'y trouver le Savoir et la Sagesse, on leur inflige de la rhétorique creuse et prétentieuse.



Libéro et Matthieu plaquent tout pour reprendre un bar de leur village natal. S'éloigner de la corruption des grandes villes, retrouver ses racines, leur semble réconfortant. Rien n'empêche pourtant leur vie de se désagréger, inéluctablement : ni les décisions concernant leur commerce, ni les anciennes connaissances qui tentent de les ramener à leurs rêves de jeunesse.



L'écriture de ce livre est une vraie réussite. Pour une fois, les phrases démesurément longues n'ont en rien gêné ma lecture, l'ensemble du texte reste très fluide. L'auteur parvient également à nous faire ressentir la chute inévitable de ces personnages qui font pourtant tout pour se débattre. Quelques connaissances supplémentaires sur Saint Augustin m'aurait sans doute aidé à découvrir plus de références, mais ce livre m'a fait forte impression.
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Le sermon sur la chute de Rome

Difficile de faire un court résumé du livre tant il brasse de récits, de vies et d'époques.



Plusieurs destins se croisent dans ce roman dont l'action court sur plusieurs générations. Le récit débute avec la description de Marcel, un vieil homme revenu sur son ile après un parcours chaotique. Dans son petit village corse, le bar se meurt suite à des mauvaises gestions successives. Il va être repris par deux jeunes, amis d'enfance, Matthieu le petit-fils de Marcel, et Libero, qui abandonnent leurs études de philosophie, pour essayer de redonner vie à ce lieu et afin de se rapprocher d'un idéal de vie simple et authentique. Matthieu n'a jamais vécu dans l'ile, hormis pendant ses vacances, Libero, lui, est de retour dans son village dont il avait réussi à s'évader. Leur ambition ? Transformer ce modeste lieu en « meilleur des mondes possibles » selon l'enseignement de Leibniz.



L'entreprise démarre bien, alors que le village semblait sur le point de mourir, les deux ex-étudiants vont transformer le bar à la dérive en établissement convivial et attirant, apportant à tout le village un bonheur nouveau et inattendu. Mais bientôt tout va se dérégler et ce petit bonheur vire au cauchemar, ce qu'ils avaient bâti tombe en poussière car, victimes de leur succès, ils vont perdre leur âme. Les deux amis assistent à leur chute et à celle de ceux qui les entourent ; ils l'ont orchestrée eux-mêmes sans s'en rendre compte. Les ex-apprentis philosophes sont frappés par la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient. Avec beaucoup de subtilité l'auteur illustre leur chute avec le sermon par lequel saint Augustin tenta en 410, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres.



La relation à Augustin est permanente : Libero a fait son mémoire de master sur sa vie et Aurélie, la soeur de Matthieu, fait des fouilles archéologiques sur l'ancien site d'Hippone, en Algérie, pour retrouver la cathédrale d'Augustin, lieu où celui-ci vécut. Augustin est donc doublement présent : il va ainsi servir de « révélateur » de la crise évoquée par le livre, parce que les héros ont le sentiment de créer un monde, et le « meilleur des mondes possibles ». Cette recherche du passé donne du sens au présent mais pour les deux époques, Vème et XXème siècle, nous avons le même thème, la mort des idéaux.



Avec un style remarquable, Jérôme Ferrari a un rare talent pour décrire la complexité de la vie et des rapports humains. « le monde est comme un homme, il nait, il grandit, il meurt », le sermon de Saint Augustin va lui servir de tremplin pour décrire avec brio la vie de plusieurs générations d'hommes et de femmes tout au long du XXème siècle. Le style avec ses très longues phrases qui peuvent donner le vertige rappelle parfois Proust mais le lecteur ne perd jamais le fil de l'histoire. Professeur de philosophie, Jérôme Ferrari sait intégrer celle-ci à petites doses dans son roman, tel un fil conducteur, ce qui invite à une réflexion à travers le destin tragique des personnages. Le lecteur est sans cesse entrainé par l'écriture enlevée du roman, un beau Goncourt (2012).

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Le sermon sur la chute de Rome

Ce livre me fait penser à celui de Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, qui m’avait aussi puissamment ennuyée. Deux livres, deux auteurs érudits qui le font savoir de manière prétentieuse et maladroite, oubliant ce que dit Boileau dans L’art poétique « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. ». Une pensée claire exprimée simplement qui ne faisait pas défaut à Saint Augustin dans ses sermons sur la chute de Rome auquel ce livre se réfère pour expliquer comment un monde nait, grandit et meurt.



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Le sermon sur la chute de Rome

Alors que vaut un Goncourt édité par Actes sud ? Avant de vous livrer le fruit de mes réflexions littéraires sur ce roman, il me faut contextualiser. Primo : je me méfie des prix littéraires en tout genre. Deuxio : je me méfie encore plus du Goncourt. Tertio : le nombre de romans primés par le Goncourt que j’ai aimés se comptent sur les doigts d’une main. Si vous percutez vite, vous l’avez compris, la Sermon sur le chute de Rome n’avait rien pour m‘emballer. Si j’ai acheté cet ovni (parce qu’il faut bien parler d’Ovni, la personnalité de Jérôme Ferrari + la fin de l’hégémonie Gallimard au Goncourt en font un E.T littéraire) c’est tout simplement grâce à un bouquiniste peu cher de la place parisienne qui me le faisait à 1 euro. Franchement, difficile de résister vous en conviendrez. Donc prenant mon courage de sceptique-cynique à deux mains, j’ai plongé et croyez-le ou non, je suis plutôt ravie d'avoir craqué.



Cette histoire d’amitié fusionnelle sur fond de querelles de familles corses remontant à perpette a bien fonctionné. Deux amis de longue date, jeunes hommes du genre torturés et paumés, brillants étudiants en philosophie, décident de tout quitter pour reprendre le bar du village dans lequel ils ont grandi, perdu au cœur du maquis. Pourquoi donc ? Pour recréer un paradis perdu à leur échelle, persuadés que le bonheur est à portée de main pour qui s’en donne les moyens et que ce bonheur émane des choses simples de la vie. Mais rien n’est aussi simple dans la vie et oui, c’est le fatum qui veut ça. Ce qui devait être une belle aventure amicale tourne au désastre, les vieilles rancœurs, les jalousies mesquines et l’égoïsme cristallisés au cœur de ce village ayant vite fait de tout envoyer valser.



Ce que j’aimé tient en une chose : le style de Jérôme Ferrari. La puissance et l’impétuosité évocatrice de sa prose ont touché ma corde sensible de lectrice. Je suis restée coite face au déchaînement de son style qui a parfaitement servi la violence qui sourd tout le long du roman. J’ai cru à cette histoire et plongé toute crue dans le chaos de ce village corse.



En revanche, comme beaucoup de lecteurs dépités, je n’ai pas compris la portée philosophique du roman et le parallèle avec le sermon de Saint Augustin n’est pas évident. De ce côté-là, c’est l’échec pour Jérôme Ferrari mais comme j’ai adhéré au reste, je ne lui en tiendrai pas trop rigueur. Trop présomptueux semble-t-il. Gardons de ce roman l’idée d’un récit puissant et évocateur qui se lit vite et finit sur un KO et c’est déjà pas mal.
Lien : http://www.livreetcompagnie...
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Le sermon sur la chute de Rome

D'où vient dès les premiers chapitres cet ennui soporifique qui me ramène inlassablement au tango Corse de Fernandel ?





Ferrari, rien qu'à ce nom : j'avais rêvé d'une belle balade ! Or très vite : Bardaf ! C'est l'embardée ! J'ai fait un tête à queue sur le parking d'un bar à putes. Jusque là ce n'était peut-être pas une si mauvaise entrée, on pourrait même trouver l'emplacement approprié, mais je n'y ai pris aucun plaisir. La fin d'un mythe ! Déjà !?





Allez, je dévoile : il y a dans ce bouquin plus de chute de reins que de chute de Rome et le bon St Antoine a bien du travail pour m'aider à trouver Saint Augustin. Pour une fois je résume : deux glandeurs reprennent, après bien d'autres qui se sont plantés, un bar en Corse dans un petit village en voie de désertification. Voilà, voilà, c'est un peu court. Il va falloir meubler. L'auteur aussi, en route pour l'album de famille et les petits cancans sur chacun, j'ai sûrement raté l'une ou l'autre tournées lors de la mise en perce d'un nouveau fût. Tellement à court qu'il ira jusqu'à utiliser le copier-coller d'un vieux sermon désuet sur lequel il ne doit plus y avoir de droits d'auteur.





J'aime suffisamment les sentences qui semblent s'éterniser semblables à ces sentiers secrets dont les lacets serrés me fassent passer par cent sentiments semés à mon insu attisant mes sens par divers artifices, aussi l'été, tout en serpentant sans soucis dans les sillons d'une vaste pensée issue des synapses d'un auteur instruit. Oui j'aime les phrases, qui locutionnent et circonvolutionnent. Et me bercer de tendre poésie m'assure parfois une symbiose instantanée, modifie en profondeur ma perception de l'univers. Ce n'est donc pas cela.





Alors peut-être que C. Jérôme ?





Je m'attendais à beaucoup mieux sur des thèmes aussi fort que l'homme face à la mort ou l'impermanence des civilisations. Déçu, déçu. Rien de nouveau, déjà dans la Rome antique ces thèmes étaient rebattus car j'ai lu sur une critique de Siabelle quelque chose comme : «Et pourtant, il n'y a pas de paix après les batailles durement gagnées, pas de repos, nulle réalité stable, seulement des espaces libres à la place d'amis, de l'air empoisonné et des vastes silences obscurs.» Sophocle Antigone





Je ne pense donc pas que ce livre va stopper les peuples ignorants de livrer démocratiquement l'Europe aux barbares. Comme dans toute décadence, les partages de larges richesses et les disputes internes accaparent beaucoup trop l'attention au détriment de graves menaces externes que nos regards veulent ignorer. Pensez-y avant les prochaines élections ou tout référendum. Car ce qu'ont fait certains hommes pour assurer une des plus longues périodes de paix en Europe peut être facilement défait par certains hommes (ou femme !), ne vous laissez pas détourner par votre intérêt court terme particulier. Entendez-vous le bruit des bottes s'approcher ?





Mais que cela ne vous empêche pas de bien profiter de vos vacances d'été et de ce présent éphémère qui nous est donné.
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Le sermon sur la chute de Rome

Un auteur que je suis heureuse d'avoir découvert. Ce "Sermon sur la chute de Rome" est un roman splendide, magnifiquement écrit. La plume est belle élégante, l'écriture ciselée. Voici un roman intelligent et sensible qui a amplement mérité son prix Goncourt 2012. D'autres rendez-vous sont pris pour lire de nouveaux textes de Jérôme Ferrari, en particulier le roman "Où j'ai laissé mon âme" qui m'a été chaudement recommandé. Un grand écrivain. Un livre magnifique.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Dans le secret

Que de colères, de rages, nourries dans le secret des âmes déchirées de Antoine et Paul Mattéï deux frères qui vivent dans le milieu fermé d’un village corse qui semble immuable. Eux-même sont murés dans des tourments renaissant et se perpétuant d’une génération à la suivante, pris entre rêve et réalité, une réalité qu’ils voudraient fuir. Ils se débattent, tentent de comprendre et peut-être une forme de rédemption est-elle possible lorsque l’homme entend la quintina cette cinquième voix que perçoive sans qu’elle soit chantée ceux qui se laissent prendre par la beauté grave d’un choeur polyphonique de quatre hommes, la Quintina considérée comme étant la voix de la vierge. Mais l’homme peut-il encore supporter d’entendre «dans le secret» la beauté de cette voix ?

Ce livre de Jérôme Ferrari (le premier publié par Actes Sud), où l’on peut croiser les thèmes développés dans les suivants, a la beauté sombre et incandescente d’un soleil noir. 


La mort des mondes à laquelle il est fait allusion p 135 est développée dans le dernier livre de Jérôme Ferrari «Le sermon sur la chute de Rome»

« ... tout le monde était gentil avec moi mais pas au point de me dire que ce qui m’ennuyait ( les réunions de famille pour les fêtes) était sur le point de mourir et que j’y repenserais bien des années plus tard -- si peu d’années plus tard, en somme -- avec une telle nostalgie et une si grande peur. Ce ne sont pas seulement les hommes qui meurent, les mondes meurent aussi d’une vraie mort, aussi définitive et triste que celle des hommes.»

De même on croise en 1959 un Paul Mattéï parti en Indochine puis en Algérie qui par certains côtés est une esquisse du André Degorce de «Où j’ai laissé mon âme».

Je vais poursuivre ma plongée dans l’univers de cet auteur dont la découverte me touche profondément.

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À son image

La photographe et la mort



Jérôme Ferrari, à travers le portrait d’une photographe corse, nous livre une passionnante réflexion sur le poids des images qui fixent le temps, sur la fascination de la guerre et sur la mort.



Au mois d’août les touristes flânent sur le port de Calvi. Antonia déambule au milieu de ses gens. Elle est photographe, chargée de réaliser les clichés des mariages. Du moins, c’est son métier en 2003, au moment où commence ce beau roman et où s’achève sa vie. Antonia va en effet être victime d’un accident de la route quelques heures plus tard, sans doute à cause d’une maladresse due à la fatigue. Elle a en effet pris la route au petit matin, aprèd avoir conversé de longues heures avec Dragan, qu’elle avait rencontré à Belgrade en 1991, au moment de la Guerre des Balkans et qui, lui aussi, se promenait à Calvi, ayant choisi la légion étrangère pour fuir son pays.

Si Jérôme Ferrari a choisi ce drame en ouverture de son roman, c’est pour avoir «fait l’expérience de la puissance des photographies et de la façon dont elles bouleversent notre rapport au temps: ce qu’elles nous montrent est à chaque fois figé pour toujours dans la permanence du présent et a pourtant, dès le déclenchement de l’obturateur, déjà disparu. Personne n’a énoncé ce paradoxe plus clairement que Mathieu Riboulet : "La mort est passée. La photo arrive après qui, contrairement à la peinture, ne suspend pas le temps mais le fixe." »

Nous voici invités aux funérailles d’Antonia, célébrées par son oncle et parrain à qui la famille a un peu forcé la main. Car le prêtre est affligé, lui qui a offert à sa filleule son premier appareil photo à 14 ans, décidant ainsi de la vocation de l’adolescente. Dans cette Corse aux traditions et aux mœurs fortement ancrées, elle découvre dans ses clichés un moyen d’évasion mais aussi une part de pouvoir. En figeant une réalité, elle va écrire à sa manière les événements, montrer les réunions de famille puis – en étant embauchée par un quotidien régional – illustrer la rubrique locale et les faits divers et notamment ceux liés au FNLC. À travers son regard, les faits de gloire des séparatistes deviennent ridicules. « Elle photographiait de mauvais acteurs récitant le texte incroyablement pompeux d’une pièce ratée que ni la violence ni les années de prison ne pouvaient rendre plus authentique et, dans cette pièce, Antonia jouait elle aussi, comme les autres, peut-être encore plus mal que les autres. Chaque fois qu’elle appuyait sur le déclencheur, elle validait cettc mise en scène qui n’avait rien à voir avec la réalité mais n’existait que dans l’attente de sa transformation en images. Tout cela ne lui semblait guère honorable. D’ailleurs, à bien y réfléchir, l’écrasante majorité des photographes n’exerçaient pas un métier honorable, ils donnaient de l’importance à des sujets futiles, pire encore, ils fabriquaient de la futilité, et s’ils avaient de surcroît des prétentions artistiques, c’était encore bien pire… »

Une farce qui va pourtant entraîner à son tour des drames. Encore la mort et encore le déchirement quand Pascal B. – son homme – est arrêté puis emprisonné ou quand les nationalistes vont se combattre entre factions rivales.

Quand arrive la Guerre des Balkans, Antonia décide d’aller couvrir ce conflit sans pour autant avoir de mandat. Peut-être pour voir à quoi ressemble une «vraie guerre», peut-être pour fuir la Corse, mais en tout cas par inconscience. Car ce qu’elle voit est terrible, accablant.

Ses photos vont compléter celles réalisées par les photographes des guerres antérieures, celle de Gaston Chérau qui couvrit la guerre italo-turque entre 1911 et 1912 en Libye, celles de Rista Marjanović ou encore celles de Ron Haviv qui sont autant de témoignages de la barbarie. À moins qu’il ne s’agisse de propagande, d’un parti pris. Mais ce qui est sûr, c’est que cette expérience aura changé à jamais la vie d’Antonia.

Comme dans Les vies multiples d’Amory Clay de William Boyd, le photojournalisme est au cœur de ce roman parce qu’il fixe ainsi le temps, donne une éternité aux événements, mais surtout pose parce qu’il pose la question, à l’heure des médias de masse et des réseaux sociaux, de la manière dont il rend compte du réel ou le déforme. Avec son écriture limpide, Jérôme Ferrari confirme son talent qui lui a valu le Prix Goncourt 2012
Lien : https://collectiondelivres.w..
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Le sermon sur la chute de Rome

« Nous ne savons pas, en vérité, ce que sont les mondes. Mais nous pouvons guetter les signes de leur fin. Le déclenchement d’un obturateur dans la lumière de l’été, la main fine d’une jeune femme fatiguée, posée sur celle de son grand-père, ou la voile carrée d’un navire qui entre dans le port d’Hippone, portant avec lui, depuis l’Italie, la nouvelle inconcevable que Rome est tombée. »



Que l’on parle d’une civilisation ou d’une vie d’homme, de ses rêves et de ses réalisations, c’est toujours la même chose : nous sommes condamnés à finir. Car dès que tout commence par la main de l’homme, tout s’éteint par la main de l’homme.

C’est ce que j’ai compris de ce roman de Jérôme Ferrari, et j’en retire beaucoup de nostalgie.

En effet, à travers 3 générations, j’ai vu se perdre, dans un lent délitement, des mondes où la passion dominait : le monde de Marcel Antonetti, qui commence à se dissoudre dès la fin de la guerre 14-18, lorsqu’il n’est pas encore né, et dont il garde une photo en noir et blanc, puis qui se poursuit avec son errance en Afrique ; Afrique encore pour le monde de sa petite-fille Aurélie, passionnée de fouilles archéologiques mais qui doit faire une croix sur cet univers pour rentrer en France ; et enfin le monde de Matthieu, le petit-fils, qui rêvait d’un bar, qui l’a eu et puis qui lui aussi l’a perdu...



Que ce soit par Saint Augustin, évêque d’Hippone, qui, à travers son sermon sur la chute de Rome, nous délivre un message d’acceptation, ou par la narration de simples vies, mouvementées comme toutes les vies si on les regarde au plus profond d’elles-mêmes, Jérôme Ferrari est parvenu à me communiquer la nostalgie, c’est vrai, mais aussi, non pas de la résignation, de l’adhésion à notre destin.



En effet, cet auteur a l’art de polir le vocabulaire pour dévoiler des phrases somptueuses, des images brillantes. Mais finalement, je ne lui octroie que 3 étoiles, car ces mêmes phrases m’ont souvent énervée à cause de leur longueur interminable.

Et pour adhérer totalement à un univers, je dois tout accepter de lui, ses failles et ses éclats.

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Où j'ai laissé mon âme

Où se situent le bien et le mal, où est la trahison : dans la fidélité à un camp coupable ou dans la dissidence ? Voilà l'une des multiples questions qui taraudent le capitaine Degorce à l'heure où la torture est l'alternative à une possible défaite et où lui-même se transformera en bourreau à l'instar de ses condisciples qui ne lui inspirent que mépris...

Dans ce roman dense et bouleversant, Jérôme Ferrari nous renvoie à notre condition très humaine et très faible et assène une vérité universelle : l'homme est misérable et porte le mal en lui, le mal si difficilement discernable du Bien.

Une réflexion sombre et magnifique sur la torture, les questions morales qu'a pu soulever la guerre d'Algérie et la condition humaine tout simplement.
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Le sermon sur la chute de Rome

Un village corse perché sur les hauteurs. Le bar est repris par 2 enfants du pays lLibero et Mathieu amis d'enfance qui , leur doctorat de philosophie en poche, ont préféré rentrer au village .Une envie en tête, conforme à l'enseignement de Leibnitz créer et vivre dans le meilleur des mondes possibles

"Pour la première fois depuis longtemps, il pensa à Leibnitz et se réjouit de la place qui était maintenant la sienne dans le meilleur des mondes possibles et il eut presque envie d s'incliner devant la bonté de Dieu , le Seigneur des mondes qui met chaque créature à sa place . Mais Dieu ne méritait aucune louange car Mathieu et Libero étaient les seuls démiurges de ce petit monde . Le démiurge n'est pas le Dieu créateur. Il ne sait même pas qu'il construit un monde , il fait une oeuvre d'homme , pierre après pierre, et bientôt , sa création lui échappe et le dépasse et s'il ne la détruit pas c'est elle qui le détruit . ( p 98 )

Mais leur paradis finira par devenir l' enfer

Au village vit Marcel Antoneli le grand-père de Mathieu plongé dans ses souvenirs . Vient régulièrement le voir Aurélie la soeur de Mathieu archéologue de formation qui travaille sur le chantier d'Hippone en Algerie plus précisément sur les ruines de le basilique de saint Augustin là où fut prononcé le sermon sur la chute de Rome .

Chacun parcourt sa vie comme il peut . Le monde qui nous entoure qu'est il réellement ? Nul ne me sait "nous ne pouvons guetter que les signes de sa fin "

Roman polyphonique l'histoire des 2 amis ,de ces frères et soeur ,de cet homme âgé , n'est elle que prétexte à une réflexion philosophique sur le devenir éphémère des mondes qui nous entourent ? peu importe .

Je me suis laissée porté par l'écriture de Jérôme Ferrari , philosophe de

formation, une écriture ample qui se déploie merveilleusement bien . bref vous aurez compris que j'ai été touchée et que j'ai apprécié ce roman ;

un prix Goncourt de très haut niveau Magistral !
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À son image

À son image est un roman écrit par Jérôme Ferrari, dont j'avais déjà beaucoup apprécié le Sermon sur la chute de Rome. C'est le second livre que je lis de cet auteur.

Cela fait plusieurs jours que j'ai refermé ce livre. Je ne parvenais pas jusqu'alors à écrire mon ressenti, trouver l'angle par où venir vers vous. Je vais tenter de le faire.

Ici l'ensemble du récit se déroule durant les funérailles d'une jeune femme morte accidentée sur une route escarpée de Corse à l'âge de trente-huit ans. Elle s'appelait Antonia. C'est son parrain et oncle qui officie aux obsèques, car il est prêtre.

Antonia a été durant un temps photographe de guerre. De retour au pays, elle a fait quelques reportages auprès des indépendantistes corses. Désormais la Corse est apaisée, alors elle suit les mariages ici où là, photographiant des couples qui avancent dans cette joie encore innocente vers le bonheur conjugal.

Le texte prend la forme d'une liturgie scandée par douze tableaux qui accueillent l'histoire d'Antonia, quelques épisodes de sa vie, sur le terrain de la guerre, en ex-Yougoslavie, mais en Corse aussi. On y rencontre les siens, ceux qui ont été proches d'elle, ceux qui l'ont aimée, désirée. Et surtout ce lien indéfectible entre son parrain et celle qui ne croyait pas en Dieu mais qui était si proche de celui qui lui avait offert son premier appareil photo lorsqu'elle avait quatorze ans.

Le texte se déroule au rythme d'une messe des morts, douze tableaux dans l'itinéraire d'une vie, chaque scène est associée à une photo renvoyant elle-même à certains moments de l'existence d'Antonia.

Sans doute, la foi religieuse occupe une présence immense dans cette Corse entre mer et montagne, entre terre et ciel. Il y a un espace possible pour l'accueillir. Elle est présente dans ce roman comme quelque chose qui révèle les choses. C'est la Corse de Jérôme Ferrari, d'Antonia, de son parrain et de tous celles et ceux qui ont côtoyé cette jeune femme jusqu'à son dernier jour. Même ce couple qu'elle a photographié avant de prendre la route pour finir au fond d'un ravin, a compté comme tant d'autres dans sa vie.

Il est possible de lire et aimer ce livre sans être croyant, je vous le confirme. Mais je l'ai aimé pour cela aussi car il donne un point de vue.

L'écriture est belle et exigeante. On entre de plein pied dans une profonde réflexion sur l'image, l'immédiat, l'éphémère, l'insignifiant, ce qui s'oppose forcément aux mots, au sens, à l'identité.

Jérôme Ferrari pose la question du sens, de l'intimité, de la pudeur. Comment nos vies peuvent s'irriguer de cela. Nous protéger en quelque sorte. L'image s'oppose-elle frontalement à cela ? Ou bien est-elle compatible avec le respect d'autrui ?

Comment peut-on passer de photographe de guerre à photographe de mariage ? Ou bien dit comme cela un peu plus crûment : comment peut-on passer du malheur au bonheur ? Où est cette trajectoire qui peut donner sens à une existence ? Mais Jérôme Ferrari ne nous dit jamais les choses comme cela... Je voudrais tant écrire les choses comme lui, je voudrais tant comprendre les choses comme lui, comme il nous les restitue à travers l'histoire d'Antonia, dans un texte à la fois intime et universel.

À l'heure où, dans nos sociétés fortement médiatisées, une seule photo peut émouvoir, troubler ou indigner, Jérôme Ferrari pose justement la question de l'image, celle des guerres, celle des réseaux sociaux, celle de la relation à la mort. Celle de l'esthétisme et de la séduction. Celle de l'intimité fracassée. Où commence l'un, où se poursuit l'autre...? À quel instant, l'image qui était là pour informer, alerter, saisir la conscience, tout d'un coup perd sens, perd pied, devient racoleuse... ?

Entre le reportage de guerre et le côté glamour des mariages, une parenthèse s'est aussi offerte à Antonia, celui du FLNC, l'époque de la violence du nationalisme corse, Jérôme Ferrari nous dévoile l'envers du décor, parfois tragi-comique, lorsqu'elle fréquentait des indépendantistes corses dans les soirées clandestines, photographiant des hommes en treillis, armés, masqués, qui prenaient la pose pour elle, et qu'elle reconnaissait cependant à leur voix ou à leurs gestes. C'était puéril, presque comme un jeu chez ces grands enfants qui pouvaient cependant dès le lendemain matin tuer l'un des leurs dans des affrontements fratricides.

Ici dans ce livre, j'ai trouvé que la vie et la mort cheminent dans le même itinéraire, les mêmes méandres.

De temps en temps, Jérôme Ferrari nous convoque la figure du Christ. Si la photographie avait existé à l'époque de Jésus-Christ, et si des reporters avaient alors immortalisé l'instant de la crucifixion, la figure du Christ serait-elle alors la même deux mille ans plus tard ?

Tandis que le parrain d'Antonia poursuit son oraison funèbre, des images défilent dans ma tête, celle du livre, mais celle de ma mémoire de quinquagénaire aussi. Je me suis souvenu de photos emblématiques. Parfois j'ai été fasciné par une photo de reportage, de guerre ou pas seulement. Des photos ont marqué ma conscience. Celle d'un bonze vietnamien qui se fait immoler à Saïgon en 1963. J'étais trop jeune, puisque né en 1962, mais j'ai découvert cette photo plus tard à l'adolescence et elle m'a alors totalement bouleversé. Tout comme la photo d'une fillette qui s'appelait Omayra, coincée sous les eaux après un glissement de terrain en Colombie et qui mourut sous les yeux impuissants de ceux qui tentaient de la secourir, les yeux aussi des journalistes. Et forcément nos yeux aussi. Les yeux du monde. Tant de photos célèbres, parfois insupportables, qui approchent le malheur et la mort ont fait le tour du monde, cette fillette nue en détresse courant aux abords d'un temple vietnamien, après le largage de bombes au napalm sur la ville, et ce soldat tenant un pistolet sur la tempe de son adversaire en pleurs qu'il s'apprête à abattre.

Plus récemment, j'ai encore en mémoire cette photo du cadavre d'un petit enfant migrant de trois ans ayant fui la Syrie avec son père, son corps rejeté sur le rivage d'une plage de Turquie.

Et puis il y a aussi cette insoutenable photo dont le roman de Jérôme Ferrari fait allusion, une photo qui montre un petit enfant marqué par la famine, mourant, recroquevillé sur lui-même, à deux pas de lui un vautour est là comme s'il attendait ; c'est une photo intitulée « L'enfant et le charognard », prise par Kevin Carter au Soudan en 1993, en pleine famine. Kevin Carter se suicidera quelques années plus tard, hanté par sa douloureuse expérience.

Les photos peuvent-elles alors réveiller les consciences ou demeurer dans l'impossibilité de poser des mots, ici avant ou après ?

La façon de photographier d'Antonia a-t-elle marquée sa façon d'être avec les autres, les siens, ses proches, celui qu'elle aimait ? Que sait-on d'un photographe à travers ses photos ? Est-il ému ? Est-il froid par ce qu'il voit ? Antonia ressentait-elle des émotions durant ses pérégrinations ? Lorsqu'elle photographiait des gens qui allaient mourir ou qui venaient de mourir, que ressentait-elle alors lorsqu'elle appuyait sur l'obturateur ? Un des moments du livre que j'ai trouvé particulièrement beau est celui où l'auteur nous confie qu'Antonia, au retour de son reportage en ex-Yougoslavie, décida de ne pas développer les photos qu'elle avait prise là-bas... « Sur les photographies, les vivants même sont transformés en cadavres parce qu'à chaque fois que se déclenche l'obturateur, la mort est déjà passée. »

Que nous dit-il alors d'elle son oncle, son parrain lors de la cérémonie de ses obsèques ? Il est un passeur incroyable, qui nous délivre la vie d'Antonia dans son homélie. À quoi pense-t-il alors intérieurement ? Je ne fais pas allusion à son discours, mais à ce qu'il porte sur le coeur, lui qui confia à sa filleule alors de quatorze ans cet objet à la fois insolite et anodin, un appareil photo, cet objet qui devint pour elle comme un sens à sa vie, un passeport pour quitter la Corse, aborder le monde, son ivresse et sa fureur.

Les photos qui montrent la mort sont-elles obscènes où sont-elles militantes ? Parfois les photos les plus dures à voir peuvent faire croire à une profondeur qu'elles n'ont pas.

Il y a dans ce livre un magnifique humanisme, c'est peut-être la seule chose à retenir, s'il fallait retenir une seule chose.

Antonia est un très beau personnage, charnelle, imprévisible, déroutante. Sa beauté sombre me poursuit encore, longtemps après avoir refermé le livre. Mais le personnage que j'ai aimé par-dessus, c'est celui du parrain. C'est à lui qu'Antonia doit ce qu'elle fut, ses joies, ses doutes, ses errances. Et c'est lui qui accompagne sa filleule jusqu'à l'autre rive, la délivrant de notre imaginaire.
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