La couverture et sa gravure (des pinceaux, des tubes de gouache, une plante verte) m'a attirée ainsi que le titre : Un peintre de notre temps. C'est un livre soigné avec une couverture cartonnée, un bel objet.
C'est le journal d'un peintre avec ses réflexions sur la peinture, la politique, l'identité, sa vie et les difficultés des artistes. Suite à sa disparition, l'auteur John Berger le trouve, le lit et nous fait par de ses réflexions sur cet ami dont finalement il ne savait pas grand-chose.
Ce livre est un prisme contenant la vision de l'artiste, la vision de l'auteur et aussi notre propre vision de tous ces fragments de vie, c'est très subjectif.
Janos Lavin, est un peintre qui a mis sa vie entre parenthèse, a changé d'identité, de pays, s'est marié et vit en Angleterre. Malheureusement, dans ce pays, il est le hongrois, n'est pas reconnu et son passé lui revient par bribes. Il a fuit devant le choix : art, politique et peut-être liberté d'expression ? Petit à petit, rattrapé par son passé, il va repartir affronter sa destinée.
J'ai beaucoup aimé le rapport de Janos à son art, sa conception d'une oeuvre, son insatisfaction permanente et cette solitude qui l'entoure. Ainsi que quelques réflexions :
_ C'est ça. C'est la collection d'un chasseur de fauves. Toutes ces oeuvres qui sont chez vous étaient vivantes autrefois. Maintenant elles ont l'air mortes.(p. 40) qui souligne le problème de l'appartenance de l'art : au peuple, à l'état ou aux particuliers.
Un petit mot sur John Berger, l'auteur que je ne connaissais pas qui nous livre une oeuvre toute en sensibilité, presque un clair-obscur. Le peintre se sert de ses mains et de ses yeux pour s'exprimer, et l'auteur de sa compréhension pour mettre des mots sur les émotions.
Cette lecture fut très enrichissante pour l'amatrice d'art que je suis mais c'est aussi quelques années de la vie d'un homme, donc je ne peux que conseiller cette lecture.
Merci à L'Atelier Contemporain, vous m'aviez souhaité une bonne lecture, elle fut excellente et merci à Babelio.
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Je remercie L'Atelier Contemporain et Babelio de m'avoir gracieusement offert cette belle lecture et surtout de m'avoir permis de découvrir un grand écrivain John Berger.
Pourtant le commencement a été plutôt difficile et dans les premières pages j'ai eu du mal à entrer dans l'histoire. Mais en le refermant je n'ai pas pu résister à la tentation de le relire.
Ce roman à deux voix se présente sous la forme d'un journal intime, écrit entre 1952 et 1956 par un peintre hongrois exilé à Londres. La deuxième voix est celle de son ami qui a découvert le journal après la mystérieuse disparition du peintre.
A travers ce livre l'auteur nous livre une très intéressante réflexion sur la peinture, le rôle de l'artiste et la compatibilité entre l'art et de l'engagement politique. Il revient aussi sur une partie de l'histoire de l'Europe dans la première partie du XXe siècle et les grands débats idéologiques qui l'ont animé.
C'est une oeuvre d'une grande sensibilité et humanité.
Un peintre de notre tempsJohn Bergertous les livres sur Babelio.com
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11 août 1953
...Si vous voulez un tableau d'elle, il faut le peindre vous-même. D'ailleurs, si tous les hommes peignaient leurs femmes, il y aurait davantage de belles femmes. C'est certain.
_ Si je le commençais, vous me le retoucheriez ?
Alors là, Janos a éclaté de rire et a continué à rire, ses tempes rosissant sous les touffes de cheveux.
_ Ecoutez. Peignez-la vous -même. Ou bien sortez-vous cette idée de la tête... ( p. 96 )
7 septembre 1954
Quelque part dans le bleu-noir d'un ciel de nuit, il y a un rouge vaincu, un vert vaincu, même un jaune vaincu. Nous devons créer cette vibration non pas séparément dans chaque couleur que nous appliquons, mais à travers le rapport entre les couleurs que nous utilisons sur chaque toile. En terme de couleur nous devons transformer la profondeur en largeur. (p. 145)
21 novembre 1952
C'est ma culpabilité que j'avoue. J'ai fait de moi doublement un émigré. Je ne suis pas rentré dans notre pays. Et j'ai choisi de consacrer ma vie à ma peinture plutôt qu'aux objectifs immédiats. Ainsi je suis un spectateur qui regarde ce à quoi il aurait pu participer. Ainsi je questionne sans fin. Ainsi je risque de réduire dans mon esprit le monde à mes propres dimensions pour découvrir une petite vérité qui est restée ignorée des autres. (p. 82)
19 janvier 1952
Hier soir, après les cours, j'ai travaillé tard sur la gravure des "vagues et mouettes"...
Quand des centaines de mouettes tournoient dans le ciel et que la lumière est rasante de sorte que leur noir et leur blanc se fondent dans un argent, elles ressemblent à un banc de ces harengs dont elles se nourrissent. Alors imagine que la mer et le ciel soient interchangeables. Imagine que tu les renverses comme les globes d'un sablier. C'est ce tableau. (p. 23)
26 juin 1952
Ce dont si peu de gens se rendent compte, c'est que le peintre, contrairement à l'écrivain, l'architecte ou le décorateur, est à la fois le créateur et l'exécutant de son art. Il a besoin de deux vies.[...] Dessiner, c'est savoir par la main - c'est avoir la preuve qu'exigeait Thomas. L'esprit de l'artiste, à travers la pointe d'un crayon ou d'une plume, fournit la preuve que le monde est solide, matériel. (p. 61)
John Berger and Susan Sontag speak about story telling and about the ethic of photography.