Citations de Laurent Binet (620)
C'est un combat perdu d'avance. Je ne peux pas raconter cette histoire telle qu'elle devrait l'être. Tout ce fatras de personnages, d'événements, de dates, et l'arborescence infinie des liens de cause à effet, et ces gens, ces vrais gens qui ont vraiment existé, avec leur vie, leurs actes et leurs pensées dont je frôle un pan infime... Je me cogne sans cesse contre ce mur de l'Histoire sur lequel grimpe et s'étend, sans jamais s'arrêter, toujours plus haut et toujours plus dru, le lierre décourageant de la causalité.
Heydrich, comme Sherlock Holmes, joue du violon (mais mieux que lui). Et comme Sherlock Holmes, il s'occupe d'enquêtes criminelles. Sauf que, à la différence du détective, lui ne cherche pas la vérité; il la fabrique, c'est autre chose.
Jamais aucun drapeau n'aura autant dit ce qu'il veut dire que cette croix noire sur disque blanc sur fond rouge. Cela dit, quelqu'un m'a fait remarquer un jour que c'était exactement les couleurs de Darty, j'avoue que ça m'a laissé perplexe...
« Le langage de Roland Barthes est imbitable. Mais alors, pourquoi perdre son temps à le lire ? Et, a fortiori, à écrire un livre sur lui ? » (p. 26)
"Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir." Finalement, sa dernière pensée est un alexandrin de Corneille.
Bayard le rejoint sur l'estrade : "Monsieur Foucault ?" Le grand chauve est en train de rassembler ses notes, dans ce relâchement caractéristique de l'enseignant qui a fini son cours. Il se tourne ver Bayard avec bienveillance, sachant quelle timidité ses admirateurs doivent parfois surmonter pour lui adresser la parole. Bayard sort sa carte. Il connait bien, lui aussi, l'effet qu'elle produit. Foucault s'arrête une seconde, regarde la carte, dévisage le policier puis replonge dans ses notes. Théâtral, il dit, comme à l'attention du public en train de se disperser : "Je refuse d'être identifié par le pouvoir."
Mais Mitterrand, lui, a très bien compris ce qui se passe. Ce jeune merdeux (Balavoine) est en train de les montrer tels qu'ils sont, lui, les journalistes autour de la table et tous leurs semblables : des vieux cons qui croupissent dans leur entre-soi depuis tellement longtemps qu'ils sont morts au monde et qu'ils ne s'en étaient même pas aperçus.
"Il y en a, des gens, qui sont partis à la recherche de licornes, pour ne trouver que des rhinoceros."
page 412
Il y a des interprètes partout. Chacun parle sa langue même s'il connaît un peu la langue de l'autre. Les ruses de l'interprète ont un champ très ouvert et il n'oublie pas ses intérêts. Derrida
La conversation est en somme une partie de tennis qu'on joue avec une balle en pâte à modeler qui prend une forme nouvelle chaque fois qu'elle franchit le filet.
Mitterrand essaye de faire une grimace de dégoût, mais en fait cela ne change rien à son expression habituelle.
Avant de le quitter il lui a demandé :
"Que ferais-tu si tu étais le maître du monde ?".
Le gigolo lui a répondu qu'il abolirait toutes les lois.
Barthes avait dit :"Même la grammaire ?"
Jakobson a, par ailleurs, synthétisé le processus de communication sous la forme d'un schéma qui comporte les pôles suivants : l'émetteur, le récepteur, le message, le contexte, le canal et le code. C'est à partir de ce schéma qu'il a dégagé les fonctions du langage.
Jacques Bayard n'a pas envie d'en savoir plus mais, pour les besoins de l'enquête, il est nécessaire qu'il comprenne, au moins dans les grandes lignes.
Quand on a goûté à la langue, on s’ennuie assez vite avec toute autre forme de langage : étudier la signalisation routière ou les codes militaires est à peu pneus aussi passionnant pour un linguiste que de jouer au tarot ou au rami pour un joueur de poker
Le succès de Beaubourg n'est plus un mystère : les gens y vont pour ça, ils se ruent sur cet édifice, dont la fragilité respire déjà la catastrophe, dans le seul but de le faire plier.
La place des textes est dans les manuels scolaires. Il n’y a de vérité que dans les métamorphoses du discours, et l’oral seul est suffisamment réactif pour rendre compte à vitesse réelle du cours éternel de la pensée en marche. L’oral, c’est la vie : je le prouve, nous le prouvons, rassemblés aujourd’hui pour parler et pour écouter, pour échanger, pour discuter, pour contester, pour créer ensemble de la pensée vivante, pour communier dans le mot et l’idée, animés par les forces de la dialectique, vibrant de cette vibration sonore qu’on appelle la parole et dont l’écrit n’est somme toute que le pâle symbole : ce que la partition est à la musique, rien de plus.
Le langage sert à produire un message, qui ne prend sens que dans la mesure où il y a un destinataire. Je vous parle en ce moment, vous êtes la raison d’être de mon discours. Seuls les fous parlent dans le désert. Encore le fou se parle-t-il à lui-même. Mais un texte, à qui parle-t-il ? À tout le monde !
J'espère simplement que derrière l'épaisse couche réfléchissante d'idéalisation que je vais appliquer à cette histoire fabuleuse, le miroir sans tain de la réalité historique se laissera encore traverser.
Cet été, au zoo de Kiev, un homme est entré dans la fosse au lion. A un visiteur qui voulait le retenir, il a dit, en enjambant la barrière : « Dieu me sauvera. » Et il s’est fait dévoré vivant. Si j’avais été là, je lui aurais dit : « Il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte. »
Dieu n’a été d’aucune utilité aux gens qui sont morts à Babi Yar. (…)
Entre 1941 et 1943, les nazis ont fait du « fossé de la grand-mère » ce qui est probablement le plus grand charnier de toute l’histoire de l’humanité…
le 4 février 1942, Heydrrich tient ce discours qui m'intéresse parce qu'il concerne l'honorable profession à laquelle j'appartiens : [Binet est prof de lettres, note de moi-même] “Il est essentiel de régler leur compte aux enseignants tchèques car le corps enseignant est un vivier pour l'opposition Il faut le détruire, et fermer les lycées tchèques. Naturellement, la jeunesse tchèque devra alors être prise en charge en un lieu où l'on pourra l'éduquer hors de l'école et l'arracher à cette atmosphère subversive. Je ne vois pas de meilleur endroit pour cela qu'un terrain de sport. Avec l'éducation physique et le sport, nous assurerons tout à la fois un développement, une rééducation et une éducation."
Tout un programme : cette fois, c'est le cas de le dire !
(...)
Ce discours m'inspire trois remarques :
1. En Tchéquie comme ailleurs, l'honneur de l'Education Nationale n'est jamais aussi mal défendu que par son ministre. Antinazi virulent à l'origine, Emmanuel Moravec est devenu après Munich le collabo le plus actif du gouvernement tchèque nommé par Heydrich.
(...)
2. L'honneur de l'Éducation Nationale est bel et bien défendu par les profs qui, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs, ONT VOCATION À ÊTRE DES ÉLÉMENTS SUBVERSIFS (c'est moi qui souligne), et méritent qu'on leur rende hommage pour cela.
3. Le sport, c'est quand même une belle saloperie fasciste."