Citations de Lionel Ray (229)
Marions-nous, disait le poème.
Ils se sont mariés un jour de juin
dans le bleu surpris.
Evadons-nous, disait le poème.
Ils se sont évadés un après-midi de septembre
Dans le jaune éclaté.
Déchirons-nous, disait le poème.
Ils se sont déchirés un soir de mars
dans le rouge éteint.
Viatique
Extrait 4
C'est un étrange voyage que de vivre
Comme de boire jusqu'à la lie le verre
Et de s'en arracher comme d'une ombre
Laissant à l'horizon de soi pas même une forme vide
Sauf cette poussière de mots cette dentelle
Obscure qui a pour nom « souvenir »….
p.10
Sous l'orchestre des astres
DANS LA BROUSSAILLE DES MOTS…
Extrait 2/2
…Qu'avons-nous fait de toutes ces voix
De cendre et de rose obscure
Elles qui touchaient à peine terre
Comme l'eau vive et comme une flamme
Qu'avez-vous fait de vous-même
Ce frisson impalpable des feuilles
Ce plain-chant des humaines chimères
Cette fumée ce désert.
p.12
Sous l'orchestre des astres
DANS LA BROUSSAILLE DES MOTS…
Extrait 1/2
Dans la broussaille des mots
Nous sommes d'étranges voyeurs
Tout empoissés de brume
De chiffres de griffures et de froid
Nos façons d'aveugles sont de patiente
Et d'inégale mesure
Ici quand le rideau tombe
C'est tout le théâtre intérieur qui se vide
La mémoire est en écharpe et s'use…
p.12
Sous l'orchestre des astres
PORTRAIT
Extrait 2/2
…Se pourrait-il que je ne sois qu'une ombre
Cette fumée qui s'échappe criblée de pluie
Et de lumière.
Ce désordre qui cherche à me ressembler
De l'une à l'autre face ce tumulte des lignes et des mots
Cette grimace.
Ou ce nom désappris ces pages déchirées
Et peut-être dans les marges de ma vie
Le visiteur oublié d'une imaginaire nuit.
p.10
Sous l'orchestre des astres
NUIT
Extrait 2/2
…Me voici bouche ouverte à la nuit secourable
À la nuit qui ne pense pas idole obscure
Et si proche si tendrement mienne
Nuit qui ne tremble et ne remue
Nuit terrestre et qui s'enfle de vent
Comme les hautes vagues de l'océan
Attendez je vous montre ma nuit
Sans bouche et sans regard
Ma nuit blanche et noire Nuit géante
Et suave immensément
p.14
Sous l'orchestre des astres
PORTRAIT
Extrait 1/2
Dentelle du silence cette architecture
Entre les notes éparses les voix
Cette musique muette.
Cet autre que je suis… si c'était moi si j'étais
Ma propre mesure et si le temps était mon espace
Clos improbable inexpliqué.
J'ai senti monté en moi la pensée
Du miroir cette image étrange et fidèle
Et ses façons de vivre jusqu'à en mourir….
p.10
Dans le creux de l’ombre
un feuillage vibre
comme quelque chose en toi
inconnu
qui se dérobe
tu regardes un modèle oublié
un grillage une écharpe
une lueur encore
sur la mer éteinte
tu as souvenir
d’une terrasse où l’on
entrait à pas comptés
avec des gravats des herbes sales
une chaise inconfortable et l’aïeul
au regard de bronze aveugle
fadeur du ciel
où criaient quelquefois
des oiseaux de haut vol
et le siècle désancré déchiré
sans voix
comme une phrase interrompue.
SERAIT-CE LE TEMPS…
Serait-ce le temps qui vous étreint, à quel
buisson de mémoire s’accrochent les paroles
perdues, lignes éteintes ?
Improbable poème, comment finir
quand on ne sait où ça commence ?
Que disent les aveux, les effrois
ce pauvre bonheur d’étoile lointaine,
ce grand vide, la mer
comme un ventre qui se fend ?
LA FORÊT AUSSI…
La forêt aussi a son langage, elle parle
entre ciel et racines, et hurle quelquefois,
par grand vent, bouche ouverte, en pleine nuit.
Mais pourrait-on comprendre ses tragédies,
cette dentelle obscure du contre-jour,
Ces propos de fougères et de fourmis,
et parler d’un temps sans grammaire
ni alphabet
lorsque le temps affleure à la saignée
des branches, jusqu’à la pointe extrême
des feuilles, et l’exténuation du silence.
JE PARLE DU TEMPS…
Je parle du temps qui se tient là, depuis
toujours, comme un cercle de vieillards
inoffensifs et chuchotants.
Je parle de la nuit qui se perd à la recherche
de la nuit, et de rien, et de personne.
Je parle de la foule en toi qui se disperse
et se rassemble et qui t’invente
et qui t’oublie.
Il y a d’imprudentes randonnées
Des fenêtres toujours closes des terrasses
D’où l’on perçoit au loin la mer on y voyage
La nuit tombée.
Regardons d'abord du côté des définitions pour remarquer que les dictionnaires ne conçoivent la paix que par rapport à la guerre. Ils précisent le phénomène guerre, le concept de guerre, pour définir ensuite celui de la paix comme absence de guerre, c'est-à-dire de façon négative : c'est l'absence de lutte armée, organisée, comme le bonheur consiste selon les moralistes dans l'absence de maux et se définit comme l'envers du malheur.
C'était perdu dans la nuit ‒,
au plus profond de la forêt.
Le temps se posait dans ton nom
Comme l'oiseau sur la plus haute
cime. Le temps mystérieux comme
une forêt, comme une clairière
dans la forêt, comme
une harde de cerfs dans la forêt.
p.56
Comme un château défait
Il y a la nation des nuages
la langue cruelle de la lune d'été,
les oiseaux courageux, et rien.
Il y a l’œil solaire, quelqu'un, personne,
une poignée de paroles, et rien.
Il y a une femme endormie,
l'heure qui est palpable comme son épaule,
la houle pacifique, et rien.
p.86
Comme un château défait
L'oubli comme une clef qui se ferme,
comme un nom sans personne,
comme un trou qui s'effondre
En lui-même. Et c'est aussi du temps
qui se dissipe dans la croissance de la nuit.
Cette suave pluie
où rien ne pense, et qui trace dans les cours
une écriture indéchiffrable.
p.83
Comme un château défait
Tu aurais voulu des aventures
en pays imprévisibles
et frapper fort
sur le tambour terrestre.
Tu aurais guerroyé mille et cent ans
sous des soleils inflexibles
pour des tribus de corbeaux,
des peuples de lynx ou d'étoiles.
Tu t'es retiré dans un rêve
n'ayant tué ni la cruelle chimère,
ni la nuit grave,
ni le Temps aux pieds de plomb.
p.62
Comme un château défait
Je donnerai toutes les nuits du monde
pour cette femme inventée
comme une grande clarté rouge.
Comme un pays abandonné
avec sa chevelure de poudre.
Je donnerai toutes les pluies
toutes les preuves tous les silences
pour celle qui dort près de moi,
même absente.
p.97
Comme un château défait
Le peu de poids que l'on pèse
dans le soir ! le peu
de cendres ! comme entre les mots
Le soudain silence ! et l'énorme
nuit ! le seul lieu,
ce mouvement, l'ombre qui
le glace,
et ce visage de vitrail !
p.23
Comme un château défait
Peut-être il reviendra
avec un visage inchangé,
ne le dérange pas !
Le temps s'applique,
jamais effarouché.
C'est pour ça que la musique
dit toujours que tu l'aimes
même si le monde est déserté.
p.22
Comme un château défait