Citations de Lionel Ray (229)
je suis la page…
je suis la page qui
boit son encre je suis
l'écorce et la ré
sine l'enfouissement
des eaux le chemin
des rousseurs le rire
des luzernes j'ai
l'âge des horloges
je crois au jour qui
ferme ses feuilles aux ruches
qui lâchent la fête
au brouillon des fleurs
dans un jardin de
robes j'attends la
solitude j'affirme
un vrai bilan d'hi
ver je suis la main
qui résiste au gris
à la sape des vents
je retourne à la
fraîcheur au terreau
des soirs parmi les
oiseaux agités
le saccage des sons
le feu vide sa fronde
LES CHÂTEAUX DE CENDRE
Extrait 2
Tu es infirme entre les mots, cloués au blanc,
Dans la répétition du même, l'ingénuité,
Adossé au transparent travail du silence,
Avec un corps lacunaire, dans l'excès du doute,
Vacant. Et c'est l'enfer qui se redresse, la sourde
Chiennerie des heures qui fauchent le futur, tu es
Dehors, exclu, sombrant peu à peu dans la spirale
Des longs hivers : aucun chemin aucune rive.
p.19
Le temps est vieux…
Le temps est vieux, le temps est vain,
vieillard impénétrable,
en lui tu respires, tu t’éloignes.
Comme la nuit est longue
et lourde ! et l’encre si noire !
Tu inventes d’autres rumeurs
et le temps parmi d’autres mots obscurs
sème ses ombres sur la mer.
Ils s’en vont, tu les aimais…
Ils s’en vont, tu les aimais.
Debout dans l’embrasure
d’une nuit sans voix,
désirant. tu cherches souffle.
Tu es au bord d’une immense
absence, là où se dissipent
toute chose et toute fable,
où le temps n’est plus le temps,
Ni poussière ni fantôme
ni même image, mais une pause
infinie, résolution
De l’infime, rien qu’une pluie
de mains impalpables qui ne saisissent
rien ni personne.
Tu vois tes pensées …
Tu vois tes pensées comme
la béance des tournesols
au-dessus des herbes.
Fraîcheur presque visible, le vent
est plein d’ombre. Tu es tout entier
dans cette vague sans profondeur.
Un ciel d’ennui se pose
sur la cime des chênes,
les siècles noueux y font
un bruissement monotone
Comme d’une mer éternelle.
Les heures s’usent
et tombent
d’un monde à l’autre.
Désir du désir…
Désir du désir jamais rassasié du corps
de l’autre comme d’un horizon qui s’éloigne
à mesure. Ici tout tremble
De volupté, danse qui de toi
te rapproche, rose de chair heureuse
respirée dépliée
sous un plafond d’étoiles
et d’inquiétude.
Un savoir infini…
Un savoir infini coule entre les rives,
tu regardes l’eau chargée du sang des hommes,
tu es uni au fleuve et au ciel.
Et le temps qui te semblait passer
n’est plus du temps.
Tu te souviens de la présence
sans nom des choses comme d’une musique
mentale et proche et presque lisible.
Un instant tu as oublié le nom…
Un instant tu as oublié le nom
des choses : la nuit est vide,
l’heure n’est plus cette écriture
du sable et des oiseaux.
Un instant tu es entré dans
la non-vision du soleil, dans
l’immobile minuit, dans la cave
de l’impossible naissance
Du monde il n’y avait nulle
apparence, nul être, pas même
la trace d’un brin d’herbe ou l’hypothèse
D’un nuage, ni début ni fin,
seulement cette mesure de l’in-
connaissable et la parfaite absence.
Ce qui frémit …
Ce qui frémit : comme un cri
chuchoté, une palpitation de voyelles
ou ce parfum de fleurs invisibles.
Et toi, hors de toi-même,
Cherchant à discerner par froide nuit,
dans le chaos silencieux des étoiles,
des ombres, solitaires sentinelles
ajustées à l’envol.
Ici commence tout vertige,
tu respires le vent et ses lointains,
l’heure vide, l’instant sans poids.
Alors la nuit grave et sans contour,
comme une source de mémoire et d’encre,
descend dans le feu et le sang.
Tu n’es rien d’autre que…
Tu n’es rien d’autre que
ce que tu cherches.
Souviens-toi de l’imprévisible.
La couleur de vivre,
celle de novembre,
l’oubli.
Chemine en toi lentement
la langue du temps perdu.
Mots en écho, cris et balbutiements,
toutes les joies dispersées
dans l’ombre
comme feuilles jaunies.
Il y a cette brûlure
au creux des mains,
l’inscription d’un vertige
qui n’a pas de nom.
Avec les mots tu as construit…
Avec les mots tu as construit
une maison mentale la maison du temps
masse de nuit qui pense à voix haute
et que traversent des regards jadis aimés.
Avec les mots tu as bâti des ponts
entre l’ici et l’ailleurs tu entendais
quelquefois la houle sonore des forêts comme
une réponse et un salut au bord du froid.
Et tu devins pêcheur d’ombres étonné
de tout miroir de tant de vertige et de feu
immergé.
Avec les mots
ouverts comme des blessures
tu as parlé un langage de sang
et tu as pris le chemin de septembre
vers les fruits la mer le silence.
Est-ce ainsi qu’on à vécu... (chansons)
Est-ce ainsi qu’on a vécu,
côté nocturne côté solaire,
les deux font un seul visage,
est-ce bien cela que j’ai voulu ?
Voici donc nos deux profils,
côté gauche et côté droit,
de l’un à l’autre passe inchangée,
toujours la même voix.
Quand tu chantes c’est l’âme qu’on entend,
même si tu l’inventes, c’est toujours toi,
même sang, même opéra.
Que le cristal se brise ou que tu fuies
vers le dehors, ce monde étrange,
ce jeu perdu, c’est toujours toi.
Illisible visage
TU SERAIS UN ARBRE CALME…
Tu serais un arbre calme
modulant feuille à feuille des syllabes
éparses, étranger aux heures,
par un clair après-midi de juillet.
Tu serais l’étreinte de l’eau
et du vent, si proche du chant,
à l’embouchure de quelque fleuve secret,
si frêle aussi à l’horizon d’une voix
Qui cherche le chemin pressenti.
Tu serais ce que tu n’as jamais dit,
jamais vu ni rêvé ni pensé,
Tantôt fouet tantôt silence,
souriant miroir où quelquefois passent,
sur fond d’enfance, des images légères.
VOYAGEURS
extrait :
Qu'êtes-vous donc venus chercher ici où
Chacun se perd
Prêtant l'oreille au désert des autres
Voyageurs de tant d'années
Et chacun va chacun s'en va avec
Son petit panache de fumée
Viatique
Extrait 10
Le monde est mon lieu, dit le poème.
[…]
Qui-es-tu ?
Qui-es-tu dans les mots dans ce bouquet chiffonné
Du souvenir qui-es-tu dans cette asphyxie de moi-même
Toi qui me ressembles et que je ne connais pas
Cette présence obscure à perte de vue dans la dérive
Des heures et des jours cette empreinte sans dénouement
Ce labyrinthe où passe et ne passe pas le voyageur immobile
que je suis et que je ne suis pas
p.12
Viatique
Extrait 9
Le monde est mon lieu, dit le poème.
[…]
Le silence est mon plus beau miroir, dit-il
la fabrique de tous les philtres
Réponse en lui des images
C'est l'écho visible du passé
Visage d'exil beau visage visage d'endormi
Cette joie dansante d'on ne sait quelle flamme
Cette quête ardente ce charmeur de fusées
Je t'écoute mon silence comme du fond d'un puits
p.10
Viatique
Extrait 8
Le monde est mon lieu, dit le poème.
[…]
Je vous apprendrai ce que c'est que la voix
Dit-il, l'inflexion des paroles cette politesse
De velours et cette ivresse violente
Parfois ce voyage cet alcool
Connaissez-vous la lumière noire
Princesse des nuits sans sommeil
Ce miracle d'outre monde la neige
Sous vos pieds ce pollen cette poudre
Pareille à un envol halluciné
p.10
Viatique
Extrait 7
Le monde est mon lieu, dit le poème.
[…]
Je vous parlerai du silence, dit-il
Et le courant l'emporte le voici
Qui s'accroche à toutes les branches
C'est un pays c'est une île c'est un geste arrêté
Et cela tournoie comme du feu
Une feuille morte à demi un regard
Sans visage et le silence vous écoute
Rien n'échappe tout est mémoire
p.10
Viatique
Extrait 6
La grande leçon de mon enfance
Ce fut pourtant le refus des larmes
Mais tout fait retour dans le grand silence nocturne.
Mon poème prend le risque de lier le masque à l'aveu,
Mots et cailloux dans la bouche,
Le prononcé des ombres et des viandes.
Ce n'est pas un miroir pour jeune fille
Ni un alcool pour un soir de fête
Mais une prose qui ne connaît ni la pause ni la victoire.
p.10
Viatique
Extrait 5
Rien ne ressemble plus à ma vie que le poème
Il connaît l'impossibilité d'être seul.
En lui d'un mot à l'autre grandit l'imprévisible
Mais aussi le chaos où les monstres sont tapis.
Ce qu'il crache et ce qu'il crie
N'est rien d'autre que bouche ouverte à l'étonnement,
Ce grossissement d'insecte d'une foule égarée
La pâle friperie des jours fanés, écume, grimace….
p.10