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Critiques de Louise Glück (54)
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L'iris sauvage

« Au bout de ma douleur

il y avait une porte. »



Je suis entré par cette porte dans ce récit, par cette phrase.

Il n'est jamais facile de parler de poésie, d'écrire sur la poésie. La poésie se tient comme quelque chose qui ne demande pas qu'on la décrive, qu'on la commente, encore moins qu'on la juge. Tout juste pouvons-nous tenter de balbutier un ressenti devant ce qu'elle nous dit.

Je suis entré dans L'iris sauvage, recueil de poèmes écrit par Louise Glück, comme on entre dans un jardin. D'ailleurs ce thème du jardin est le fil rouge qui entrelace tous les poèmes de ce livre.

Le thème du jardin me plaît et se tenir au seuil d'un jardin encore plus. Cette vision est emplie de métaphores qui me réjouissent et pour moi plus particulièrement celle justement de se tenir au seuil d'un jardin, - cet instant du désir avant d'y venir, me parle, me porte, m'emporte, en dit long sur nos belles hésitations.

Ce texte m'a parfois résisté, dense, complexe, aimant jouer avec le lecteur et le perdre jusqu'à ne plus savoir qui parle, qui s'exprime dans la beauté des mots et le parcours des saisons. L'écrivaine, un jardinier, Dieu peut-être, un Dieu hypothétique, - en tous cas pas pour moi je n'en veux pas, un Dieu invisible dont les poèmes expriment parfois une forme de reproche en son absence...

Tout au long de ce recueil, je me suis demandé qui parlait. J'ai aimé cette ambiguïté du texte avec lequel l'autrice joue magnifiquement.



« Une fois que tout me fut arrivé,

le néant m'arriva. »



J'ai effleuré une confidence, une confession, celle de Louise Glück, mais je n'en suis pas sûr et peut-être que ce doute en moi rajoute une qualité supplémentaire à mon ressenti envers ce livre.

Il y a quelque chose de très féminin dans l'écriture de Louise Glück. Mon propos pourra vous surprendre, mais bon nombre de textes écrits par des écrivaines portent peu cette dimension féminine. Ici j'ai aimé ce ton, cet engagement, cette liberté.



« Parfois, un homme ou une femme impose son désespoir

à une autre personne, ce qui s'appelle

mettre son coeur à nu, ou alors mettre son âme à nu –

ce qui pour l'instant signifie qu'ils ont reçu une âme –

dehors, un soir d'été, un monde entier

relégué sur la lune : des groupes de formes argentées

pouvant bien être des bâtiments ou des arbres, le jardin étroit

où le chat se cache, se roulant dans la poussière sur le dos,

la rose, le coreopsis, et dans les ténèbres, le dôme doré du capitole

converti en un alliage de clair de lune, forme

dépourvue de détails, le mythe, l'archétype, l'âme

pleine d'un feu, vrai clair de lune, tiré

d'une autre source, et qui, brièvement

luit comme luit la lune : pierre ou pas,

la lune a encore tout d'un être vivant. »



J'ai découvert une voix singulière qui nous touche dans l'intime et convoque sans arrêt l'universel.

Louise Glück dit avec acuité le bonheur, mais aussi l'inquiétude liée à ce bonheur qui est celle de l'attente, une attente perpétuelle, celle de l'autre, celle d'un monde peut-être meilleur.

Je découvre avec étonnement l'édifice que représente ce texte, où tous les poèmes semblent reliés les uns aux autres par un fil invisible, se faisant écho mutuellement. On pourrait évoquer l'image du kaléidoscope pour décrire la sensation que j'ai éprouvée devant ce texte magistral.

Il y a aussi une beauté dans ce dialogue triangulaire entre les fleurs, le jardinier et le divin.

Ne nous y trompons pas, Louise Glück nous convoque dans un jardin bien réel, bien terrestre qu'il est réjouissant de visiter.

Parfois je reconnais que la présence un peu lourde de Dieu, - on va dire les choses comme cela, m'a un peu agacé, je lui aurais bien dit d'aller se voir ailleurs pour que je puisse enfin communiquer sans filtre avec la narratrice.

Ce qui saisit ce texte, c'est son apparence fragmentée, et une fois la lecture achevée, nous découvrons la cohérence de l'ensemble comme quelque chose d'abouti.

J'ai aimé la polyphonie de ces poèmes, leurs respirations.

J'ai aimé accueillir ces poèmes comme une sorte de résistance au monde, un désir profond d'exister, une envie de donner sens à nos vies.

J'ai lu dans ces poèmes un cri, celui d'exister. Et c'est beau.



« Quelque chose

vient au monde sans y avoir été invité

provoquant le désordre, le désordre –

Si tu me hais tant,

ne t'embête pas à me donner

un nom : as-tu besoin

d'une autre insulte

dans ta langue, une autre

façon de blâmer

une tribu pour tout –

comme nous le savons tous les deux,

pour adorer

un seul dieu, on a besoin

d'un seul ennemi –

Je ne suis pas l'ennemi. »



Ce sont des poèmes qui chantent, mais ne racontent rien, ne nous racontent rien sauf peut-être ce que nous voulons entendre.

Comment concilier l'ici et le maintenant ?

Le silence du matin,

Le chant des oiseaux,

Les mots dessinent à chaque instant l'image d'un départ, esquissent un visage,

Se croire libre de négliger cette tristesse qui vient,

Se promener dans le jardin d'été,

Entendre le vent du soir,

Ici le chagrin ressemble à la tige nue d'une fleur qui tient encore debout.



Ce texte ressemble à un dialogue mystique et nous propulse au dessus du monde immobile par la simple force et beauté des mots.

Si je devais me souvenir d'un seul instant qui m'a émerveillé, éveillé à cette lecture, ce serait celui-ci :

« Demeurer immobile dans l'instant qui précède l'éclosion de la fleur

Là où rien ne s'est encore passé. »



J'ai aimé me tenir à la porte de ce jardin comme un enfant hésitant au seuil de cette porte.

Les saisons passent et l'autrice nous invite peut-être à cette seule question lancinante : croire ou ne pas croire.



« Je voulais rester comme j'étais,

immobile, comme le monde ne l'est jamais,

pas au coeur de l'été mais l'instant précédant

l'éclosion de la première fleur, l'instant

où rien ne s'est encore passé –

non pas au coeur de l'été, le stupéfiant,

mais au printemps tardif, l'herbe pas encore

haute au bord du jardin, les tulipes

pas encore tout à fait écloses –

comme un enfant hésitant au seuil de la porte, observant les autres,

ceux qui partent les premiers,

amas de membres roides, à l'affut de

l'échec des autres, à l'affût des hésitations publiques,

doué de l'implacable assurance des enfants avant l'attaque imminente,

s'apprêtant à vaincre

ces faiblesses, à ne succomber

à rien, l'instant juste

avant la floraison, l'ère de la maîtrise

avant l'apparition du don,

avant la possession. »



Je referme cette porte, celle d'un jardin en embuscade qui veille en nous, - qu'il soit en friche ou ordonné, - de préférence en pagaille, peut-être japonais qui sait, qui ressemble à l'endroit où j'invite parfois l'âme soeur que j'aime pour y déambuler avec elle et croire un peu en l'éternité.
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L'iris sauvage

C’est vrai qu’on sent l’influence d’Emily Dickinson sur Louise Glück, mais la comparaison peut produire une certaine déception: je n’ai retrouvé ni la fraîcheur, ni l’impression de spontanéité, la sensation d’une présence chaude et vivante. Il y a dans L’Iris sauvage quelque chose de beaucoup plus distancié, beaucoup moins frémissant, plus obscur.

Le je est fuyant, on ne sait pas toujours bien qui parle, mais il y a quelque chose d’intime qui se dit. Parfois cependant l’ambiguïté des locuteurs m’a gêné, un côté devinette devenant un peu écrasant, piétinant la possibilité d’être émue.

Mes sentiments sont assez contrastés à la lecture de ce recueil, par moments j’ai été séduite par une écriture qui me semblait profonde et subtile, effleurant de beaux mystères. Parfois, le livre me tombait des mains, la polyphonie me semblait artificielle, l’écriture me paraissait manquer de chaleur, de générosité, voire d’authenticité - en tout cas, ça ne me parlait pas.

Bref, pas complètement convaincue par ce prix Nobel 2020.
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L'iris sauvage

L’un des rares recueils de Louise Glück édités en France. Le thème des fleurs et du jardin m’a attiré, il n’est pas si fréquent que cela en littérature, même poétique. Les fleurs sont d’habitude plutôt présentes à titre de métaphores que comme thème central. La structure de ce recueil est très originale : une alternance de trois types de poèmes. Les uns, au noms de fleurs, où les fleurs interpellent leur créateur, jardinier, entité énigmatique, nature, ou Dieu, cela n’est pas précisé. Ce sont mes préférés, ce sont aussi les plus lisibles isolément.

Une autre série de poèmes portent comme titres des moments de l’année, de la journée ou de situation météorologique. Ces textes-là sont aussi à la première personne, donnant la parole à une sorte de Dieu créateur. Et puis il y a une troisième série de poèmes portant pour titres les noms de prières religieuses (Matines et Vêpres), encore à la première personne, mais cette fois il s’agit d’un être humain qui s’adresse à Dieu. Ces poèmes sont souvent assez sombres. J’ai apprécié ce «je» changeant qui met fleurs et humains sur un même plan, ce triple changement de points de vue qui s’interpellent et se répondent. La façon dont Louise Glück rend la place de la nature avec l’alternance des saisons, l’alternance des temps de la journée, est particulièrement intéressante. Si la construction du recueil est complexe, l’écriture est très sobre, pleine de délicatesse. Par contre je dois avouer que le message que veut faire passer l’auteur m‘a échappé, sa vision philosophique ou spirituelle est restée assez énigmatique pour moi, de même que souvent les liens d’un poème à l’autre.
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Nuit de foi et de vertu

Deuxième lecture de Louise Glück, après L'Iris sauvage.

J'ai trouvé ce recueil beaucoup plus abordable et donc, plus émouvant.

Ces poèmes pourraient aussi bien être des histoires, présentant différents narrateurs masculins ou féminins (je ne comprends pas comment cela apparaît en anglais) dont on est libre de penser que ce sont les mêmes ou non. Le poème donnant son titre au recueil est particulièrement touchant, évoquant la révélation lente de la disparition des parents dans l'expérience d'un jeune garçon, en grandissant.

Chaque poème caresse des sensations, des émotions, sans forcément les citer explicitement. J'ai relu chacun d'eux plusieurs fois, les reprenant entièrement ou par bribes.



Le recueil en lui-même semble tracer un arc de cercle dans le temps, nous entraînant petit-à-petit vers la vieillesse et la mort, même si la mort apparaît déjà au centre du récit. L'écriture semble simple, presque plus des bribes d'histoire que des poèmes, mais elle a, inscrit en elle, un fort pouvoir d'évocation, nous menant de l'expérience physique vers une émotion diffuse.

Je suis heureuse d'avoir persévérée dans la lecture des recueils de Louise Glück pour en découvrir une autre facette que celle, plus froide à mon avis, de l'Iris Sauvage.
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L'iris sauvage

Je découvre Louise Glück grâce au challenge Nobel et grâce aussi à son prix Nobel qui a permis à ce que ses recueils soient enfin traduits. Enfin parce que la poétesse a tout de même plus de 70 ans et est considérée comme une auteure majeure de poésie aux Etats-Unis alors qu'elle était jusque là inconnue sous nos latitudes. Pour l'instant, deux de ses recueils existent maintenant en français, espérons qu'il y en aura d'autres.

C'est tout un univers métaphysique qui naît du jardin de Louise Glück; où chaque plante évoque pour elle un moment de vie, un sentiment, la vie, la mort, la rupture. Chaque poème a une voix, à nous d'imaginer laquelle: celle d'une femme qui observe son mari ou son fils? Celle d'une des fleurs consciente de son impermanence? Ou celle d'un Dieu qui maîtrise chacune de ses minuscules existences? Celle, enfin, du silence, de la nature, ou de toute entité dominant ce coin de jardin comme un démiurge?

A nous d'apposer nos sentiments et nos pensées sur ces voix (sur)naturelles. C'est là toute la puissance évocatrice de la poésie: quand elle devient universelle, et parle à chacun de nous.

Lire ce recueil est un peu comme se promener dans son jardin, faire une pause devant un végétal et l'écouter vivre, se laisser transfigurer.

Partir de la nature et en particulier des fleurs pour faire de la poésie, dit comme ça, n'a rien d'original, et pourtant j'ai trouvé ce recueil à part, particulier dans le genre. A la fois très classique (Ronsard il y a déjà 500 ans évoquait la rose comme figure allégorique) et très moderne.

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Meadowlands

Troisième lecture de Louise Glück à mon actif, après le complexe Iris Sauvage, et le plus émouvant Nuit de foi et de vertu.

Cette fois-ci, Louise Glück dissèque le couple, passant de celui, mythique, d'Ulysse et Pénélope à celui plus trivial d'un couple vieillissant au bord de l'implosion. Par la voix des autres, Télémaque le fils, Circé l'amante, la relation entre Ulysse le voyageur infidèle et Pénélope l'épouse patiente et fière est interrogée, analysée, sublimée ou encore critiquée et banalisée avec un certain humour sous-jacent parfois. J'ai aimé cette manière de revisiter ce récit à travers le double prisme du regard extérieur et de la poésie.

En parallèle, un couple se lance des piques d'exaspération autour de sujets aussi banals que l'entretien du jardin, l'achat de meubles ou l'organisation d'une fête.

Dit comme ça, ça n'incite peut-être pas à la lecture et pourtant, l'entrelacement de l'histoire de ces deux couples crée une nouvelle dimension autour nos histoires personnelles, si peu importantes au regard des autres mais faisant part d'une mythologie personnelle pour les protagonistes.

Une nouvelle belle découverte de Louise Glück toujours grâce aux traductions de Gallimard qui les présente en version bilingue; le Prix Nobel a eu ça de bon, nous faire connaître cette poétesse.
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Averno

C’est un sombre lac

Mais pas forcément calme

C’est en prose

Mais à petite dose

Qui interroge, qui creuse

Jusqu’à Perséphone qui attend

De comprendre son sort

Le subit-elle ? l’a-t-elle voulu ?

La violence de la Terre

Entre en résonance

Avec celle de la mère

Qui renaît.

Tant de questions

Si peu de réponses

Des interrogations, des mythes

Beaucoup de rythme.
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Nuit de foi et de vertu

Recueil de la poétesse des États-Unis récipiendaire du Nobel 2020.

Une édition où on trouve côte à côte, des pages avec le texte original en anglais et celles de sa traduction française.



Je ne m’y connais pas beaucoup en poésie, j’ai choisi de lire Louise Glück parce qu’elle est une des 16 femmes à avoir reçu un prix Nobel de littérature (une dix-septième cette année, avec Annie Ernaux).



J’ai d’abord constaté que n’est pas une lecture difficile, un vocabulaire accessible et ancré dans le quotidien. Cela devient cependant presque un défaut, car cette facilité d’approche peut permettre d’avaler strophe après strophe, en oubliant de s’attarder aux images poétiques.



Ensuite, j’ai apprécié certains passages, porteurs de beauté ou d’émotions, mais pas au point d’être emportée et de garder un souvenir impérissable de l’œuvre.



Un avis mitigé, mais qui tient probablement plus à mon ignorance qu’au génie de la poétesse.

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Nuit de foi et de vertu

Cela commence par une "Parabole", le premier texte, murmurée par un ""nous" dans lequel chacun peut reconnaître le chemin de sa vie.

Dès lors, la porte m'était ouverte vers ce recueil qui m'a délicieusement ébranlée, tant pour la musicalité de la prose que pour la simplicité des mots et des situations (ce qui m'a permis le plaisir d'une lecture en anglais principalement), simplicité qui pourtant conduit sans crier gare à des profondeurs troublantes.

C'est peut-être une erreur d'interprétation mais qu'importe : J'ai eu la sensation de croiser deux personnages aux récits entremêlés, un "il" que l'on découvre tout jeune enfant mobilisé sur ses sensations nocturnes, déjà capable de ressentir ses parents disparus, et que l'on va retrouver tout au long de sa vie marqué par cette absence; mais également une "elle" qui pourrait être l'auteur, se nourrissant de la nuit.

Très belle découverte!

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L'iris sauvage

Comme beaucoup de gens, je pense, j’ai découvert le nom de Louise Glück lorsque le prix Nobel de littérature 2020 lui a été attribué. Elle n’avait pas connue à l’époque de traductions autres que dans des revues, mais le prestigieux prix a fait que deux de ses recueils sont sortis chez Gallimard en 2021. Mon chemin les a croisé dans une librairie amie, et j’ai un peu au hasard, embarqué cet Iris sauvage.



Nous sommes dans un jardin. L’auteure-narratrice-jardinière nous parle, et sa voix se mêle à celles de fleurs, de plantes. Mais aussi à une autre voix, celle d’un être d’une autre nature, un créateur, un jardinier suprême si l’on peut dire. Mais l’existence de ce dernier n’est pas certaine : est-ce lui qui parle ou est-ce juste une voix inventée, une hypothèse, une éventualité qu’on évoque. Cette voix paraît lointaine, cet être transcendant ne semble pas très intéressé par les petites créatures qui pourraient avoir besoin de lui, il semble les laisser pas mal à elle-mêmes. Le cycle de poème se déroule suivant les saisons, les floraisons, en premier celle de l’Iris sauvage du titre, jusqu’aux dernières de la fin de l’été, celles un peu trop tardives, qui sont l’annonce de la fin ; puis les dépérissements arrivent. Le cycle des saisons, le cycle des existences, éphémères, rapides, impossibles à arrêter. Les poèmes aux noms florales alternent avec les noms de saisons, et avec les oraisons (Matines, Vêpres). Le jardin, symbole de la vie, dans sa brièveté, son aspect changeant, sa vitalité, mais aussi la fin prévue dès le départ. Même si la renaissance ne paraît pas être une vraie éventualité.



C’est une poésie qui sous des allures très simples est très construite, pensée. Les poèmes se complètent, prennent sens les uns par rapport aux autres. L’interrogation centrale semble être quel sens donner à la souffrance et à la mort, qui est la sans doute la question essentielle de l’homme depuis qu’il existe. Pas de réponse définitive ni dogmatique ici, plutôt un questionnement, dont on sait qu’il sera pas résolu, d’autant plus que l’auteure refuse le rassurant et le facile.
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Averno

Grande figure de la poésie américaine, Prix Pulitzer en 1993 pour son recueil The Wild Iris (L'Iris sauvage), la reconnaissance de Louise Glück en France a été, de manière assez incompréhensible, très tardive et s'est faite à la faveur du Prix Nobel qui lui a été attribué en 2020. C'est de cette même année que date la première traduction et publication de son oeuvre en France.



Publié en 2006, Averno est, après L'Iris sauvage, le second recueil que je lis de Louise Glück.



Un des points d'ancrage du recueil est l'Averno (l'Averne), le nom d'un petit lac volcanique situé tout près de Naples, qui donne son titre au livre. Pour les Anciens, l'Averno représentait l'entrée des Enfers.

Autre point d'ancrage : un autre lac, celui de l'enfance auprès duquel l'auteure était autorisée par ses parents à se balader seule la nuit accompagnée de son chien.

La troisième entrée du recueil, c'est le mythe grec de Perséphone (Louise Glück était passionnée par les récits mythologiques). Enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, emmenée dans le monde des morts, sa mère Déméter partie à sa recherche, tentera de la ramener à plusieurs reprises dans le monde des vivants.



L'Averno, le lac de l'enfance et le mythe de Perséphone vont comme des thèmes constituer la trame du recueil. Sans s'influer les uns les autres, ces leitmotivs vont se répondre comme en écho, comme des réminiscences venant justifier le présent.



Dès les premières pages, on rentre dans une atmosphère étrange, diffuse. Les poèmes apparaissent comme une déploration d'un monde détruit. Mais au fil du recueil, comme en contraste, va apparaître l'expression d'un émerveillement devant la splendeur de la terre, de la nature.



Dans l'Averno, j'ai retrouvé quelques-uns des thèmes déjà présents dans l'Iris sauvage : l'incommunicabilité, l'indicible qui complique les relations entre les êtres et leur rapport au monde. Au travers d'eux, de manière plus ou moins prononcée, Louise Glück explore les états du coeur et de l'âme, de l'amour, mais aussi de la séparation, de la disparition.



« Le moi s'achève et le monde commence.

Ils étaient de taille égale,

commensurables,

l'un étant le miroir de l'autre. »



Il y a dans la poésie de Glück l'affirmation d'une nécessité de se souvenir, de garder en soi la marque de l'existence mais aussi la répugnance que nous avons à le faire. La mémoire agit chez la poétesse américaine comme l'expression d'un traumatisme – A quoi cela sert-il de se souvenir ? A quoi cela sert-il de revenir à l'origine de l'utilité de l'existence ?



« Il est vrai qu'il n'y a pas assez de beauté dans le monde.

Il est également vrai que je n'ai pas les compétences

pour la restaurer.

La candeur n'existe pas non plus, et là, peut-être

pourrais-je être d'une certaine utilité. »





En réponse aux thèmes abordés, jamais Louise Glück n'avance de certitudes, d'opinions tranchées. Son écriture est marquée par des hésitations, des phases d'incertitude et de remise en cause. Elle fait le choix de l'ellipse, cultive un goût pour le secret qui font qu'elle ne dévoile jamais totalement son intention ou sa pensée.

Ses poèmes apparaissent comme une suite d'échos, de fragments par lesquels elle veut souligner la reprise, la modulation, la variation. Autant de choix qui confirment la persistance chez elle à ne pas se prononcer définitivement sur un thème donné.





En écho au récit mythologique, Glück utilise la sphère personnelle pour se projeter dans des questions métaphysiques et esthétiques. Dans nombre de ses poèmes apparaît la tentation de la narration, du témoignage de ce que fût son enfance.

J'apprécie la poésie de Louise Glück dans ce qu'elle révèle de part aléatoire et mouvante de la vie.

Une poésie de la réserve, sensible, qui fait naître une intimité, un rapport des plus étroits entre l'acte d'écrire et celui de lire.



« Je montai à cheval pour te retrouver : des rêves

semblables à des êtres vivants essaimaient tout autour

de moi

et la lune à ma droite

me suivait, brûlante.



Je montai à cheval pour revenir : tout changea.

Mon âme amoureuse était triste

et la lune sur ma gauche

me tirait sans espoir.



A de telles impressions infinies

nous, les poètes, nous donnons de façon absolue,

faisant, en silence, présage d'un simple événement,

jusqu'à ce que le monde reflète les besoins les plus

profonds de l'âme. »



.
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L'iris sauvage

L’étonnement fut grand en octobre 2020 lorsque le Prix Nobel de littérature fut attribué à Louise Glück, récompense accordée pour l’ensemble de son œuvre poétique. Plus étonnant encore à l'automne 2020 a été l’absence de toute traduction (à part dans quelques revues spécialisées) de l’autrice américaine en France… Désintérêt, faux-pas éditorial, on ne connaîtra jamais les raisons d’un tel manquement.



Certes l’Iris sauvage (The Wild iris - édité aux États-Unis en 1992) ne permet pas de mesurer toute l’importance, toute l’ampleur du travail d’écriture de Louise Glück mais ce recueil offre une entrée précieuse sur une œuvre poétique commencée dans les années 60.



Les thèmes dans l’Iris sauvage sont nombreux, comme ceux de la vulnérabilité, de la douleur, de la perte, d’inconsolation, et du silence de Dieu. Ils s’y déploient dans des formes poétiques assez courtes (tant pour les poèmes que pour les vers), dans une langue relativement simple, qui possède à la fois les accents de la conversation et de la réflexion.

L’écriture de Louise Glück se déplace entre le monde quotidien et le monde spirituel, dans une fluidité qui souvent est rompue par l’usage d’ellipses, d’ambiguïtés, de changements de ton, de rythme.



Dans les poèmes de l’Iris sauvage se tient une conversation à trois, informelle, entre le poète-jardinier, les plantes et Dieu. Sans que l’on sache qui s’exprime vraiment, chacun s’adresse à l’autre dans un dialogue à trois (l’échange entre le poète-jardinier et Dieu prévaut pourtant), le jardin apportant, lui, plutôt un contrepoint sur le caractère perpétuel du cycle de la création et de la destruction, comme une liturgie du jour, qui va de sa naissance (les Matines) à sa fin (les Vêpres).



L’intime, chez Louise Glück, côtoie l’universel. La fugacité de l’instant, une parcelle de végétal, la lumière sur le jardin, une présence au loin alimentent une écriture qui se découvre tout au long de ce beau recueil. Parfois obscure, parfois inquiète, souvent lumineuse, la poésie de Louise Glück contient en elle une sensibilité, une réserve d’intemporalité qui m’ont beaucoup plu.
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L'iris sauvage

Cette grande poétesse américaine, Louise Glück, vient seulement d'être traduite en France après avoir reçu le prix Nobel de littérature en 2020.

La plupart des poèmes de L'iris sauvage suivent une forme dialoguée : I/You , Je/tu. Mais qui sont-ils ? Les titres nous l'indiquent, ce sont des éléments de la nature, des fleurs surtout, qui s'adressent à un autre vivant de leur environnement qui n'entend pas leur voix : l'homme ? le créateur ?

Impression que la poétesse fait parler les plantes, les saisons pour s'adresser à ce couple d'humains chassés autrefois du paradis terrestre.

Par ailleurs le recueil suit une progression temporelle. Les matins d'hiver et les premières fleurs, perce-neige, iris sauvage, violette, le mois d'avril et l'abondance des plantes, herbes folles et fleurs des champs, le coeur de l'été, enfin la prière vespérale et le coucher du soleil. Temps d'une journée, d'une année, d'une vie.

Apparaissent parfois dans le jardin un homme, une femme, un enfant, signes de vie, renaissante, toujours.

" cet été, nous sommes entrés dans l'éternité."

L'édition bilingue permet de lire le texte original, c'est une poésie simple, directe , naturelle.

Un remède indispensable en temps de pandémie !

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Meadowlands

D'un côté l'Odyssée, avec en exergue Télémaque, Pénélope et Circé, dans l'attente du retour du "héros" ou regrettant son départ ; de l'autre, un couple sur le déclin ; entre les deux, des paraboles sur la nature, les animaux... qui semblent paradoxalement lier l'épopée, à l'aspect banal d'un quotidien peu conté, et la vie quotidienne, à l'aspect plus poétique, et peut-être plus épique, qu'il n'y paraît.



Une poésie qui m'a touchée, que j'ai trouvé très délicate à certains moments, peut-être même plus en version originale, et tellement prosaïque, parfois comique, à d'autres, renforçant le paradoxe thématique voulu par Louise Glück par la rencontre entre mythe et réalité.



Une poésie que j'ai appréciée, et qui me donne envie de découvrir davantage la Nobel 2020 : ce sera, je pense, avec L'Iris sauvage.
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L'iris sauvage

Ce recueil est vraiment étrange, représentant les obscurs contrastes d'une poésie moderne, en particulier de par la façon d'aborder les thèmes poétiques, dans un style sonnant très 19 éme siècle. La nature, les fleurs, l'univers du jardin sont évoqués d'une manière symbolique, transfigurant une relation intime avec l'autrice, sa famille et configurant dans une forme presque mystique, les mots de la poétesse pour entrer dans un dialogue polymorphe avec Dieu, figure insaisissable, dématérialisée, où les vers se perdent dans l'infinie beauté du mystère de la création. Oscillant entre une recherche d'un moi, d'un nous contemplatif et intérieur, semant les petites graines d'un jardin d'Eden exhalant une quiétude poétique inachevée, l'autrice préfère parfois, l'interrogation, l'impératif demande à une entité métaphysique impalpable, de répondre à des questions existentielles du quotidien, renvoyant presque immédiatement, comme un paradoxe ces mêmes énigmes, aux membres de sa tribu familiale. Ce recueil qui a reçu le prix Pulitzer et l'autrice le prix Nobel de littérature, peut sembler surcoté, tellement sa compréhension complète paraît difficile, néanmoins, en se posant comme une poétesse à la philosophie poétique exigeante dans ses vers, elle demeure une curiosité atypique dans le monde de la poésie contemporaine de par sa démarche dialectique aux arcanes encore indéchiffrables.
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L'iris sauvage

Ce recueil de poésie était inédit en français. Louise Gluck ayant obtenu le prix Nobel de littérature en 2020, voilà qui est fait. L'édition est bilingue et c'est en plus.

Nous sommes dans un jardin au printemps, en été, en hiver, le matin, le soir. Les fleurs nous interpellent, nous interpellons la nature, la nature nous interpelle avec une entité au dessus de tout.

L'écriture est très simple, c'est le langage de tous les jours dans une composition parfaite et un travail des vers remarquable. La lecture est aussi agréable en français qu'en anglais. Merci donc à la traductrice.

Ces poésies, on a envie de les lire et les relire, comme ça, à l'occasion, un petit plaisir dans la journée, un joli bouquet de fleurs.
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Meadowlands

Louise Glück, comme dans L'iris sauvage, écrit sur le couple. Si dans le premier elle utilisait la métaphore du jardin, ici elle en appelle à Homère et à son couple mythique : Pénélope et Ulysse.

Tous deux interviennent à plusieurs reprises, ainsi que leur fils Télémaque, pour explorer les liens qui font un couple ; et la façon dont le lien se défait.

Car ce recueil parle de désamour, d'éloignement, de rupture. Beaucoup de ces poèmes sont des dialogues entre l'homme et la femme qui ne se comprennent plus, qui s'agacent l'un de l'autre, qui ont pourtant de beaux souvenirs en commun et une certaine nostalgie de l'amour.

Louise Glück dépeint ce thème avec des mots simples, des mots du quotidien, qui parviennent pourtant à nous briser le cœur.

"Tu sais pourquoi ils sont heureux ? Ils prennent

les enfants avec eux. Et tu sais pourquoi ils peuvent aller

se promener avec les enfants ? Parce qu'ils

ONT des enfants."

C'est très beau.

Édition bilingue, traduction de Marie Olivier.

Challenge Nobel

Challenge Poévie
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L'iris sauvage

Un Nom appelle un Verbe aussi le Nom de l'Iris dérivé du grec "arc-en-ciel", appelle un Verbe, et pas n'importe lequel ! En effet, le nom générateur convoque le Verbe créateur, de la Genèse, et l'arc-en-ciel, ou l'Iris sauvage, permet(tent) à la terre et au ciel de communiquer. La poétesse prête sa voix aux fleurs, à des éléments de la nature, terrestres, mais elle prête aussi sa voix au Verbe qui répond et qui se manifeste (par les couleurs de l'arc-en-ciel, par exemple).



Le personnage poétique qui déambule en un Jardin plus ou moins réel, plus ou moins allégorique, et qui converse en ce jardin, se livre à un Amour désespéré, un Amour qui doute parfois, souvent, et se laisse errer au gré de sa mélancolie ce qui fait que ce personnage, confus, perçoit plus volontiers l'ombre que la lumière en son jardin. (Comme elle le dit elle-même, son Jardin ne se trouve pas en Sicile, ou en Californie, mais dans le Vermont). Et son chant tourne à l'élégie, à la plainte, à la lamentation, car elle se désole de l'absence de toute manifestation divine, et elle se laisse séduire par la clarté de la lune, par une lumière qui dénature en quelque sorte la lumière qui ne saurait se voir sans être éblouie, et aussi s'identifie-t-elle plus volontiers, il me semble, aux plantes qui poussent dans l'obscurité et dans l'humidité, aux mauvaises herbes, aux fleurs qu'on cueille pour les abandonner aussitôt derrière nous, aux fleurs toxiques (comme l'iris, qui pourrait décorer un exemplaire des Fleurs du mal), ce qui fait qu'à la fin, on se retrouve non pas à célébrer le Jardin mais à s'en plaindre.



PS : je dépose moi aussi une plainte contre mon jardin car il pleut trop et mes légumes meurent noyés. Mais j'aime bien mon jardin quand même.
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L'iris sauvage

Comme beaucoup, je n'avais jamais entendu parler de Louise Glück avant 2020, l'année où la poétesse américaine reçut le prix Nobel de littérature, et il a fallu l'annonce de sa mort en ce mois d'octobre 2023 pour la lire. Il semblerait que ce n'était pas son genre d'être sous les projecteurs, préférant l'ombre.

J'ai donc choisi de lire son recueil de poèmes le plus connu, modeste façon de rendre hommage à sa poésie sobre et dense.



Dans "L'iris sauvage" l'individu et la nature sont liés à travers les saisons et les lieux. On est dans un jardin où la voix qui s'exprime n'est pas toujours celle d'une personne et je trouve très poétique de faire parler les fleurs.

Dans ce jardin on croise parfois des humains, John le mari et Noah le fils. Peut-être s'agit-il de l'Eden ? Je n'en suis pas certaine car il est aussi question de planter des tomates, de la vie quotidienne et pour ce qui est moins paradisiaque, de dépression et de désespoir.



Il n'y a pas d'histoire à proprement parler mais une atmosphère particulière grâce à une construction dépouillée et rythmée et si j'ai lu que Louise Glück parvenait à dire la beauté tragique de toute vie sur terre, elle le fait le temps d'une floraison.

J'attends donc un nouveau rendez-vous avec cette poétesse qui sait aussi utiliser le langage se tous les jours.





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L'iris sauvage

J’avais beaucoup aimé le premier recueil que j’avais pu lire de Louise Glück et c’est avec impatience que j’attendais cette deuxième lecture. L’impatience de retrouver cette mélodie et la simplicité de la langue utilisée.

J’ai beaucoup aimé ce fil rouge du jardin et de la nature qui est commun à tous les poèmes. La voix de l’auteure se mêle à celle d’une force supérieure, une force créatrice qui se situe entre le jardinier, la Nature ou qui pourrait même être Dieu lui-même. On assiste au cycle de la vie changeant mais aussi éternel recommencement. Les saisons passent et chacune reflète sa propre spécificité.

Sous un abord très simple, le recueil est très bien construit avec des poèmes qui se répondent et se complètent.

La thématique de l’existence est largement explorée dans ce qu’elle a d’universel. Ainsi la poésie de Louise Glück peut parler à chacun d’entre nous.

Cette lecture me donne envie de continuer ma découverte de cette auteure que son prix Nobel aura eu le mérite de faire traduire et largement diffuser en français.
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