******
C’est toujours pareil avec Maryna Uzun, nous sortons des codes habituels de la poésie et entrons dans un autre monde. Je me suis délecté récemment du livre de poésie en prose de Jean-Michel Maulpoix « Une histoire de bleu ». Je me fondais dans cette couleur bleue qui charmait chaque phrase : « L’écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin. » C’était beau. Puis, dans « Odessa », j’ai trouvé un poème parlant de couleurs, et le bleu, à nouveau, était présent : « Et les pianos bruns épousent la couleur de la mer avec toutes les nuances de bleu. »
Deux poètes, un homme, une femme, deux styles très différents. J’ai trouvé autant de plaisir en lisant les deux.
Maryna Uzun possède cette faculté d’employer les mots à contresens. Nous nous installons dans un poème, cela sonne bien aux oreilles, puis, d’un coup, on ne sait pourquoi, en plein milieu d’un vers, elle met des mots qui semblent ne pas correspondre avec le thème. Elle parle de la mer « Et quand elle est grosse », et termine le poème par « Je descends mes brosses ! ». On s’interroge. On relit. Il doit y avoir une raison ? Puis, on continue vers un autre poème où l’on retrouve les mêmes formes d’expression… J’ai compris ! Il ne faut pas chercher un sens exact, mais se laisser emporter dans le rythme des phrases : « Suis-je bien dans ton lit ?/ Je suis dans ton assiette ! ». D’ailleurs, l’auteure nous dit bien ce qui se passe dans sa tête : « C’est la cohue, c’est le chahut/Je suis en fuite, je suis en fuite… ».
Nous en avons pour notre argent dans ce livre ! La ville d’Odessa est décrite en première partie. De nombreux poèmes nous sont offerts en seconde partie, à la sauvette, sans ou avec titres, parfois des photos de l’artiste s’intercalent. Nous ressentons le plaisir de l’auteure dans la construction des poèmes dont les vers font mouche.
J’ai découvert Odessa, des lieux, les escaliers dont l’un se nomme Richelieu, les ruelles, les bancs aux tourterelles, la neige, la mer Noire. Dans les mots de l’auteure s’infiltrent une ambiance, un chant, une ritournelle. La ville nous envoie des bouffées de vie parfumées. J’en ai gardé une parcelle. J’ai retenu que l’odessitude selon l’auteure est l’extase que la contemplation de la mer Noire procure au peuple d’Odessa. Ainsi, j’ai eu la sensation d’être entré en odessitude en lisant. Je me suis surpris, moi aussi, à prendre cet air béat, ce sourire niais des habitants envisageant la vie avec optimisme.
L’auteure se dévoile souvent intimement dans ses poèmes. La pianiste apparaît dans une page en prose parlant des pianos d’Odessa : « Odessa renaît en moi dans un vacarme sourd de pianos désaccordés. » La musique lui est contre-indiquée, dit-elle, car elle pleure en l’entendant, sauf quand elle joue. Ce qui la tracasse : « Ce sont mes innombrables peurs/ Mes peurs voilant dans leurs vapeurs/La pauvre noix de mon cerveau/ Rendant celui-ci somnolant… ». L’amour la rend bête : « Mon amour me rend bête/ Je suis si bête/Que je suis invincible/En matière de chaussettes ! ». Apparemment désespérée, elle se confie : « Je veux faire un poème érotique/Sans douleur, sans alcool et sans hics/Sans la contorsion acrobatique ». Manque de chance, elle a des problèmes physiques : « Ne m’aime pas, je suis plate/Et jamais j’me dilate/Plate comme la salade/Je n’fais pas de roulades ! »
Nous en apprenons un petit peu sur son père, certainement un brave homme : « Il chantait quand il lavait/Ses assiettes ébréchées/Le palier en profitait » ; « Il n’allait pas, pas une fois/Aux entraîneuses. » ; « Il était beau, nez de poivron ».
Parfois, de précieux conseils sont fournis aux lecteurs : « Être au bord de l’amour/Sans jamais y tomber. » ; « Si vous êtes à la dérive/Ne buvez jamais d’absinthe ! » ; « Parlez d’un livre aimé comme d’une femme aimée/ Qu’on ne peut résumer par crainte de l’abîmer ! ». Très jolie !
Surtout, amis lecteurs, ne cherchez pas à expliquer cette poésie qui peut tourner à l’absurde parfois. Lisez là ! Laissez-vous aller et riez souvent ! Ne vous demandez surtout pas ce que Marcel Proust en aurait pensé.
J’ai aimé, selon les mots de Maryna Uzun, « sa verve satirique, hystérique, capricieuse, aboyeuse, intarissable ». De toute façon, elle dit clairement : « Si ceux qui me comprennent sont trop peu nombreux/Cela m’est bien égal, je m’en contrebalance. »
J’ai cherché la strophe décisive, qui résume l’auteure. J’en ai trouvé une qui me plait bien :
« Je suis la somme de mes folies
Nous sommes la somme de nos replis
Mon lecteur n’aura rien compris
Mon lecteur n’aura rien appris
À part qu’il faut aimer la pluie
À part que j’ai aimé le buis… »
« La liberté n’est pas de ce monde. Il n’y a que des formes de liberté. »
***
Lien :
http://www.httpsilartetaitco..