AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Nina Berberova (316)


Février.
Le bruit a couru que Tsvetaïeva s'est pendue à Moscou le 11 août. Notre parole (ou Parole nouvelle ?) en a rendu compte de manière triviale et stupide. En relisant récemment un de ses écrits en prose de Tsvetaïeva, je suis tombée sur un passage où elle raconte que quelqu'un, la voyant de dos, l'avait prise pour Essenine. C'est comme si je les voyais maintenant se balançant au bout de deux cordes semblables, lui à gauche, elle à droite, leurs têtes blondes, aux cheveux de lin coupés au carré, prises dans des noeuds coulants identiques.
On dit q'Etron a été fusillé. Leur fils, qui est membre du parti, est sans doute à la guerre. Comment, dans ces conditions, ne pas se pendre lorsque, de surcroît, l'Allemagne que l'on adore bombarde notre cher Moscou, que les vieux amis, effrayés, se détournent de vous, que les journaux vous harcèlent et qu'il n'y a rien à manger ?
Commenter  J’apprécie          150
Elle boit aussi. Et vers minuit, il dit qu'il a faim, elle commande comme lui de la vodka et quelque chose à manger, simplement pour accompagner ses trois verres de vodka. Autour des yeux elle a deux cercles larges et noirs et à cause de la vodka sa bouche est devenue molle et profonde. A quoi donc joue-t-il ? se demande-t-elle, engourdie, éméchée. A l'époux légitime ? A l'amant de cœur ou au maquereau ? Et si je le lui demandais sans façon ?

Cette pensée la fait rire aux larmes et elle glapit, sa tête se penche, de ses deux mains elle se tient le visage pour qu'il ne tombe pas sur la table.

Sa soudaine incapacité de se contrôler suscite chez lui passion et tendresse. Elle larmoie pesamment, saisit son verre et le broie avec bruit entre ses doigts blancs et réguliers.

- Pour l'amour du ciel, Tatiana Arkadievna, crie-t-il, le visage en sueur, on peut se blesser comme ça.

Ses doigts et sa robe sont couverts d'éclats de verre, mais lui ne dit plus rien et, les poings serrés sous la table, du bruit dans la tête et du feu au cœur, il reste là, regarde et nage dans le bonheur dont elle est la cause, il ne se rappelle plus rien, il essaie de ne pas respirer, de ne pas ciller, et dans la brume de sa béatitude tout est ivre et net, gai et triste à la fois.

Mais elle s'ennuyait.
Commenter  J’apprécie          150
là, dans l'appartement du docteur Borman... ça piétinait, ça courait, il y avait du vacarme et des bruits de guitare, les gens s'exclamaient et chantaient, en un mot, on fêtait le Nouvel An en joyeuse compagnie. Nul besoin de regarder la pendule ni de tendre l'oreille pour entendre si minuit sonnait, il n'y eut pas de doute : d'abord tout le monde en face disparut des fenêtres, les invités des Adler passèrent dans la salle à manger (quarante couverts, six laquais de location) ; puis on déplaça quelque chose chez les Borman ; soudain il y eut une minute de silence. Les réverbères clignotaient dans la rue, les étoiles scintillaient. Il s'ensuivit aussitôt un fracas de tonnerre, un bruit de chaises. Ah-ah-ah, hurlèrent de concert une douzaine de voix.
Grand-père était couché à côté, il allait mourir.
Commenter  J’apprécie          150
Elle ne comptait plus que sur elle-même, et cette indépendance la rendait encore plus forte et plus jeune; il y eu en elle cette espèce de charme qu’on remarque chez les femmes indépendantes dont la ”société” a fait son deuil et qui paient cette ”société ” de leur complète indifférence.
Commenter  J’apprécie          140
Le voilà assis, cet homme solide et sensé, ce "marchand" qui ne souffrira pas d'être refait et trompé, le voilà avec sa lourde poigne vitale, pour qui tous nos "permis" ou "pas permis" sont risibles, qui, sans hésiter, a, toute sa vie, marché sur les autres pour faire son chemin et maintenant ne cédera rien de ce qui est à lui. Demain, il saura tout.
Commenter  J’apprécie          140
Les premières phrases : C'est aujourd'hui le premier anniversaire de la mort de maman. Plusieurs fois, à voix haute, j'ai prononcé ce mot : mes lèvres en avaient perdu l'habitude. C'était bizarre et agréable. C'est passé ensuite. Certaines personnes appellent "maman" leur belle-mère, d'autres désignent ainsi la mère de leur mari ; un jour, j'ai entendu un monsieur d'un certain âge appeler "petite maman" sa femme, qui était d'une dizaine d'années plus jeune que lui. Je n'ai eu qu'une seule maman et je n'en aurai jamais d'autre. Elle s'appelait Catherina Vassilievna Antonovskaya. Elle avait trente-sept ans quand je suis née, et je fus son premier et unique enfant.
Commenter  J’apprécie          140
LE MAL NOIR

Depuis Des années tout m’est indifférent. Les gens n’aiment pas cela, ils cessent de vous remarquer. Les miroirs ne vous reflètent plus, l’écho ne vous répond pas. Je voudrais bien guérir ! Mais je ne puis venir à bout du mal noir, je ne puis ressusciter. Des millions d’années ont passé depuis sa mort, et je ne sais toujours pas où le vais, je tourne en rond, je vis dans des endroits où je suis arrivé je ne sais comment. Je suis moi-même un miroir qui ne reflète rien.
Commenter  J’apprécie          120
LE LAQUAIS ET LA PUTAIN

Pendant toutes ces années, rien n’était arrivé qui méritait d’être regretté, aimé, il lui semblait que tout aurait pu être mieux, que chez les autres c’était plus riche, plus gai, plus complet, que c’était là ce qu’on appelle le bonheur. Et avant cela dans l’enfance, dans un autre pays oublié depuis si longtemps.
Commenter  J’apprécie          120
Pendant toutes ces années, rien n'était arrivé qui méritait d'être regretté, aimé, il lui semblait que tout aurait pu être mieux, que chez les autres cétait plus riche, plus gai, plus complet, que c'était là ce qu'on appelle le bonheur.
Commenter  J’apprécie          120
Quand on se sépare, on peut emporter le « tu » au bout du monde, mais on ne peut pas emporter le « nous », il se brise à l’instant où l’on se quitte.
Commenter  J’apprécie          120
- Je viens de voir, en revenant de la place, un couple qui poussait une charrette remplie de pacotille ; ils la vendent, le soir, à la sortie de l’usine. Ils avaient l’air de s’entendre si bien, leurs mains s’agrippaient avec une telle coordination.
- On ne nous permettra pas.
- Alors, nous inventerons quelque chose d’autre.
Elle le regardait attentivement et il sentit qu’il y avait de la tendresse dans son regard, que pour la première fois de sa vie elle le regardait avec douceur.
- On n’aura pas froid ? demanda-t-elle tout bas.
- Quelquefois, on a froid, mais à deux on a plus chaud.
Elle réfléchit assez longuement, puis elle sourit.
- Ce que j’ai pu tirer le diable par la queue ces dernières semaines ! Je n’exagère pas, je vous assure.
- Vous me raconterez tout ça.
- Peut-être.
Il comprit alors qu’elle resterait avec lui et que leur nouvelle vie venait de commencer.

(Extrait tiré de la nouvelle "Le Violon de Billancourt" )
Commenter  J’apprécie          110
«  Plus les gens prennent l’habitude de vivre ensemble , plus sûrement perdent - ils le besoin de parler d’eux- mêmes » ….
Commenter  J’apprécie          110
Le Manuscrit de Billancourt

Trente-cinq ans, ce n'est pas rien. C'est comme les aiguilles d'une montre qui approchent des quatre heures, c'est comme un calendrier auquel on aurait arraché la feuille du mercredi, c'est ça trente-cinq ans, le véritable milieu de la vie, le milieu du jour, de la semaine, où derrière et devant toi, le temps s'écoule. (p. 152)
Commenter  J’apprécie          111
La peur, voire l’horreur, de la solitude est une superstition. On en a fait un épouvantail. J’ai aspiré à la solitude dès mon jeune âge. Rien n’était plus affreux pour moi que de passer une journée entière en compagnie d’une autre personne sans pouvoir être seule avec mes pensées, rester libre de mes actes, lire ce qui me tombait sous la main.
Commenter  J’apprécie          110
Il fallait se réjouir, or il n’y avait pas de joie. Mais les pendules aussi marchent sans joie, et la pluie tombe sans joie et cependant quelle stabilité…Comme il est beau l’univers de Dieu, et comme tout y est organisé avec justesse!
Commenter  J’apprécie          110
Sans ambition il n'y a pas de talent.

Commenter  J’apprécie          110
Chacun de nous a des souvenirs secrets et merveilleux qui remontent à son enfance, à sa jeunesse ou même à son âge adulte. Ce sont des bribes du passé qui nous sont particulièrement chères : une journée d'été, un bord de mer, les paroles ou le silence d'une personne aimée. Dans la vie réelle, il n'en reste rien. Les protagonistes jeunes ou vieux, sont morts ou devenus méconnaissables. La maison a brûlé, le jardin a été détruit, le lieu a changé trois fois de nom, la végétation l'a envahi ou bien on y a creusé un lac artificiel. Nous sommes seuls avec nos souvenirs, comme dans un rêve.

Lorsque nous mourons, ces charmantes visions, légères et secrètes, disparaissent avec nous. jamais personne ne les ressuscitera. Chacun de nous est un réservoir où survivent ces instants comme des poissons dans un aquarium...

Lorsque j'évoque un certain souvenir, c'est comme si je me mettais à dialoguer avec moi-même telle que j'étais à seize ans. Il s'agit de l'excursion à Pavlovsk, par un jour de printemps 1917. C'était la fin de mes études au lycée et j'étais heureuse. Nous formions un groupe de neuf ou dix jeunes filles accompagnées de deux de nos professeurs. Je me sentais si débordante de vie que, dans le train de retour, mes pensées se sont envolées vers l'avenir. Un jour, je me souviendrais du bonheur de cette journée, et ce souvenir pourrait sinon m'épargner l'épreuve, du moins me réconforter. Ce qui m'arrive aujourd'hui correspond à ce que j'imaginais alors. À présent, je me tourne vers ce passé qui m'enveloppe et je me rends compte que ce souvenir, telle une sentinelle, monte la garde et protège ma vie.
Commenter  J’apprécie          100
- Comprends-tu, Tassenka, ma petite, ma douce, dit-il tout à coup, je me sens si bien que je ne sais comment le dire. Et la tristesse, je ne sais pourquoi... Je me demande sans cesse : comment ai-je mérité cela ? Et tu sais, auparavant je m'interrogeais souvent - qui suis-je ? pourquoi ? Maintenant j'ai laissé tomber, je n'y pense même plus.
- Tu philosophais.
- Tu parles. Philosopher avec une gueule pareille. Maintenant, je n'en ai même plus envie.
- Dieu soit loué !
Commenter  J’apprécie          100
Sans ambition il n’y a pas de talent.
Commenter  J’apprécie          100
Cette Dounia remuait les coeurs dès le premier couplet :

À Billancourt
Nous avons un petit coin
Où après notre patrie nous soupirons
Chaque heure et chaque jour...

Page 50
Commenter  J’apprécie          90



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Nina Berberova (2217)Voir plus


{* *}