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Citations de Patrick Chamoiseau (332)


Vers cette époque, je commençais à écrire, c'est dire: un peu mourrir. Le sentiment de la mort fut encore plus présent quand je me mis à écrire sur moi-même, et sur Texaco. Je vidais ma mémoire dans d'immobiles cahiers sans en avoir ramené le frémissement de la vie qui se vit, et qui, à chaque instant, modifie ce qui s'était produit.
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À la faveur de cette lumière qui défaisait ses équilibres



[…]

À la faveur de cette lumière qui défaisait ses équilibres, les fulgurances fuligineuses voulurent le submerger. Elles paraissaient provenir de partout, sillons de terres, zinzole de parlers, siwawa de peuples, grands bouquets de personnes. Pour la première fois depuis qu’il l’affrontait, le magma sembla prendre le dessus. Pourtant, lumière était en lui, pillage ouvert, froidures. Des architectures inconnues se redressaient tremblantes, puis s’éparpillaient en fulminantes déroutes. Un maillage de clairs-obscurs enserra son esprit. Sensations d’étourdi. Le vieil homme qui fut esclave parvint à se mettre genoux, et-puis à se hisser tremblant, dos plaqué contre un tronc, et-puis à tituber, et-puis à essayer de reprendre sa course. Il courait sous l’urgence d’une agonie. Chaque pas déclenchait l’avalasse des éclaircies et des coulées fumagineuses. Mais il avançait. Il parvenait à avancer. Il crut que la vitesse réinstallerait l’équilibre perdu. Lumière le tisonnait à travers ses paupières devenues transparentes, il les avait perdues, et ses pupilles s’exposaient au rayonnement pas soutenable. Il courut encore, ou il essaya de le faire, en tout cas il eut, dans un balan à travers les Grands-bois, l’aveugle sensation d’avancer. Mais la terre se déroba. Un man-man-trou. Profond. Le vieil homme qui fut esclave s’y engloutit d’un coup. […]
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« Les femmes arboraient leurs bijoux de régale, anneaux, colliers, bracelets de coquillages, d’écailles de tortue ou de perles de lambi. Chemisette blanche et longue cotonnade relevée d’un côté. Leurs cheveux enveloppaient une calende de madras dont les bouts imitaient les feuilles du chou sauvage. À leur cou, à leur taille, à leurs poignets, à leurs chevilles, frémissaient des rubans-toutes-couleurs qui les transformaient, au vent de la jetée, en des lianes chargées de longues fleurs impatientes. »
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Où débute l'enfance? Au souvenir de la vision du monde sous le premier regard? À l'éclaboussement du pays-vu contre la prime conscience?
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Islamophobie insécurité identité immigration… sont des mots tombés monstres ! 
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Car les réfugiés ne débarquent pas de rien ni de nulle part. Ils reviennent, ils ne sont que revenir - et si on les confond avec des étrangers ou des envahisseurs, c'est qu'on refoule de notre propre généalogie le fait que nous sommes tous des enfants de migrants, et que, si la question des réfugiés hante l'Europe, il faut aussi voir ces spectres comme ici, de joyeux lutins, car ces enfants sont nos "parents revenants".
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Homo sapiens est aussi et surtout un Homo migrator... Sapiens l’Africain n’est pas né dans un lacis de frontières aiguisées, mais dans des écosystèmes ouverts, rythmés par les climats, les pénuries, les abondances, sécheresses et submersions...
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… nous pensions que le plus archaïque était derrière nous… Seulement la paix capitaliste et financière n’est pas la Paix.
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Les frontières de l'Europe s'érigent en de mauves meurtrières.
Elles alimentent un des enfers de Dante et réinstallent une manière de ce Gouffre dont a parlé Glissant. Gouffre de vies noyées, de paupières ouvertes fixes, de plages où des corps arrachés aux abysses vont affoler l'écum. Gouffre d'enfants flottés, ensommeillés dans un moule de corail, avalés par le sable ou désarticulés tendres par des houles impavides.
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Les békés inventèrent le cachot […] Leurs pierres ont conservé grises des tristesses sans fond. Les présumés coupables n’en sortaient plus jamais, sauf peut-être avec les fers aux pieds, le fer au cou, le fer à l’âme pour fournir un travail au-delà des fatigues (p. 50-51).

Les cercueils rouges envoyèrent des racines ; et l’on vit s’élever au dos long des années, plusieurs arbres d’agonie, branches tordues de douleurs. Les observer ramenait des souvenirs qu’on ne possédait pas. Ca raidissait en toi comme un pajambel triste […] mais qui va faire un livre sur ça ?
Cahier n° 4, page 11 (p. 138-139).

Après deux siècles de queue, [ils] stationnèrent deux secondes devant un secrétaire de mairie à trois yeux. D’un trait d’encre, ce dernier les éjecta de leur vie de savane pour une existence officielle sous les patronymes de Ninon Cléopâtre et d’Esternome Laborieux… (p. 144).

Liberté s’était faite un travail à contrat, avec livret, avec passeport. […] Les contrats de moins d’un an te livraient aux vindictes des patrouilles vérifiant ton livret. […] Toutes chaines, de la République ou de Napoléon, n’étaient bonnes que brisées […] Et ni les gendarmes, ni leurs carnets, ni même cet impôt personnel qui nous frappa tous, t’obligeant à trouver moyen de le payer, n’ont su vaincre nos rêves (p 156-157).


La doulce France, berceau de notre liberté, l’universelle si généreuse, était en grand danger. Il fallait tout lui rendre. […] Nous trouvâmes dans l’armée une perspective ouverte de devenir français, d’échapper aux békés. […] Nous fûmes des milliers à devancer les mobilisations (p. 243).

Longtemps, je me considérais comme de passage dans cet En-ville, avec dans l’idée d’entreprendre, sitôt mes poches bien pleines, un Noutéka des mornes… pauvre épopée de mon pauvre Esternome… Je me la ressassais dans ces lits misérables ou j’inspirais de la poussière… […] la misère des cœurs soucieux de s’y grandir […], pauvre épopée, levée complice d’une amertume (p. 284).

Basile me donnait des enfants que je ne voulais pas garder. Une sorte de répulsion, de peur, de refus qui provenait à la fois de la guerre, de mon mépris pour Basile, de ma crainte d’affronter l’En-ville avec une marmaille à l’épaule. […] Je n’étais pas la seule à me percer le ventre. Que de misères de femmes derrière les persiennes closes… […] Ô cette mort affrontée au cœur même de sa chair… que de misères de femmes (p. 306-307).

L’En-ville sent comme une bête, ferme les yeux pour comprendre que tu approches d’une cage, sens pour mieux comprendre, pour mieux la prendre, elle te déroute en te montrant ses rues alors qu’elle se trouve bien au-delà des rues, au-delà des maisons, au-delà des personnes, elle est tout cela et ne prend sens qu’au-delà de tout cela… […] Sens-le Marie-Sophie, sens-le pour voir qu’il vit vraiment (p. 368, p. 369).

Les céhéresses furent mis en déroute par des foules négresses jaillies […] de là où l’on mâchait des petites roches sans pain. Ces quartiers bridés en dehors de l’En-ville enfourchèrent cette tremblade pour clamer leur douleur et abattre les ferrements que l’En-ville leur posait. […] On incendia des voitures et des commissariats. On éleva des barrages nocturnes. Des bandes hurlantes défolmantaient le monde (p. 400-401).

Mais l’En-ville nous ignorait. Son activité, ses regards, les facettes de sa vie (du matin de chaque jour aux beaux néons du soir) nous ignoraient […]. Nous voyions l’En-ville d’en haut, mais en fait nous ne le vivions qu’au bas de son indifférence bien souvent agressive (p. 405-406).

La voix de De Gaulle s’écria “ Mon Dieu, Mon Dieu …”. Je crus qu’un vieux-nègre assassin lui avait allongé un coup de sa jambette. […] On dit qu’il hurla que nous étions foncés, mais je n’ai pas entendu cela (p. 423).

Et-puis la parole tourbillonna jusqu’au secret de nous-même…ô inconnue… vertige de monde… une clameur de langues, de peuples, de manières qui se touchaient entre elles, se mêlaient, posaient intactes chaque brillance singulière au scintillement des autres (p. 426).

Désormais, une généalogie bien claire, sans aucun trou douteux, imposait à tous le plus haut des respects […]. [Leur caste] était aussi liée par la culture méticuleuse de l’idée de survivre dans l’océan nègre menaçant de toute part. […] Les nègres étaient leurs frères mais jamais leurs beaux-frères, et malheur à celui d’entre eux qui enfreignait la règle. […] Aujourd’hui, il fallait savoir se marier, et marier ses enfants, seul moyen d’évoluer dans les strates de la caste, […] quitter l’absence de nom pour un nom très ancien, et quitter la jeunesse pour la poussière magique des familles séculaires (p. 463-466)

Je lui offrais les contentements du monde, livrée sans mesurage, faisant ce qu’il aimait et que je découvrais en explorant son corps. Afin de lui ôter les charmes de la drive, je lui ouvris des cantiques dans les graines, je semai des douceurs dans chacun de ses pores, je suçai son âme, je léchai sa vie. Je m’efforçais de nous fondre l’un à l’autre, et lui offrir une ancre. Ma coucoune se fit chatrou pour l’aspirer et le tenir. […] elle se fit chouval-bois qu’il pouvait chevaucher autour d’un point central, elle se fit petit-gibier-tombé à lover dans sa main pour s’endormir cent ans, et elle s’écartela pour devenir béante, chemin-grand-vent sans murs ni horizon ou il pouvait aller tout en restant en moi […].
[Ma coucoune] se fit pomme et poire et petite cage dorée, elle se fit poule-et-riz, elle se fit liqueur-sucre à laquelle suçoter, elle se fit tafia à soixante-cinq degrés temple des ivresses fixes, elle se fit madou-blanc à cueillir goutte par goutte d’une langue arrêtée, elle se fit dangereuse comme la fleur datura qui pétrifie les jambes, elle se fit grande blessure impossible à soigner sans s’y greffer à vie, elle se fit pince coupante le serrant juste assez pour napper le plaisir (p. 457).

Je connus des amours semblables avec des hommes différents. Toujours avec le même compte de plaisir et de larmes, de brulures et de mystères…illusion toujours neuve… […] Je sus les abandons, je fis souffrir des gens, on me fit souffrir tout, je me trompai souvent et pris un saut de chair pour du sentiment. […] Oh, Gostor qui faisait toujours ça à la gibier rôti… Oh, Nulitre, qui s’accrochait à mon dos et me basculait en avant… Oh, Alexo qui m’appelait manman… hum… Aucun d’eux ne parvint à m’extraire de la Doum et des abords de Texaco […] mon point d’ancrage désormais, mon Texaco à moi […] – ma gazoline de vie (p. 399-400).
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On ne ment que quand on raconte mal. J’ai cette tradition-là (p. 149).

Sur sa mère :
Man Ninotte utilisait de temps en temps des chiquetailles de français, un demi-mot par-ci, un quart de mot par là, et ses paroles françaises étaient des mécaniques qui restaient inchangées (p. 67).

Quelle douceur […] de revoir son sourire, ses yeux, son corps, de sentir qu’il avait prise sur le monde à travers elle, elle si forte, si savante en la matière de vivre ! (p. 104).

Sur son père :
Le négrillon l’avait souvent entendu dire […] que dans un endroit comme ça on entrait mouton pour en sortir cabri. Le savoir du négrillon ne lui paraissait pas pertinent (p. 44-45).

Holà, cette marmaille nous dessine des pommes en plein saison-mangots !... Il lui faut un bain de menthe glaciale !... (p. 48).

Le papa […] déroulait un français d’une manière cérémonieuse qui n’en faisait pas une langue, mais un outil ésotérique pour créer des effets (p. 67).
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Pour tout peuple livré aux dépendances, le dimanche est un metteur en scène qui ne donne rien à jouer, ni en dedans ni en dehors. Et en oblique même pas.
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Au bout de trois silences, le jeune reviens doucement à la charge de son vieux compagnon :
_ Quoi qu'il en soit, papa, tu devrais être content de t'en aller avec tes ailes intactes !
Pourquoi, papillon ?
_ Rares sont ceux qui à ton âge peuvent se vanter d'avoir su se préserver un tel trésor...
_ Quel trésor ?
_ Tes ailes... toutes magnifiques...!
_ Ah... oui c'est vrai, soupire le vénérable, mais hélas...
...
_Hélas ? Pourquoi dire "hélas" quand on a conservé toutes ses ailes ?
_ Pour une raison très simple, mon fi...
Il se tait, toujours soucieux, abîmé dans des chimères sans fond.
_ Mais laquelle ? s'impatiente le fringant.
_ J'aurai gardé mes ailes mais je n'aurai pas connu la lumière.
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Méhié é hanm, Ohibo tÿoutÿoute anba an hojèt pahol-là !… Ce qui, traduit, peut vouloir dire : Messieurs et dames, Solibo Magnifique est mort d’une égorgette de la parole…
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La sève du feuillage ne s'élucide qu'au secret des racines
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Un nègre se disant d'Afrique, allait administrer la Ville (Fort-de-France)...et communiste en plus!...
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Il faut parfois une vie pour comprendre son enfance.
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« Elle pouvait déclencher de silencieux tocsins dans les rêves profonds, accrocher des murmures aux persiennes, sonner de la langue dans les trous de serrure, transformer la quiétude des chambres en abeilles zinzolantes. »
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Ces livres subitement réveillés avaient, au fil des ans, dessiné dans ma bibliothèque une "géographie cordiale". (...)
Cette âme de toute bibliothèque fidèlement éprouvée, je l'ai appelée : sentimenthèque. On n'écrit pas avec toute une bibliothèque, juste avec ce qui a pu atteindre nos chairs. (p. 43)
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Le but d'une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre ; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront après nous.
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