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EAN : 9782021417685
272 pages
Seuil (01/04/2021)
4.12/5   12 notes
Résumé :
XVIIe siècle. Aux Antilles. C'est la nuit sur une plantation où se déroule une veillée mortuaire. Un vieux-nègre esclave entre dans le cercle des flambeaux. Dès ses premiers mots, il se métamorphose en " maître-de-la-Parole ". Comment ce vieil homme a-t-il pu s'ériger en père fondateur de la littérature des Amériques ? Quels sont les secrets de cet improbable résistant à l'esclavage et à la colonisation ? D'où lui vient cette assignation à ne conter que la nuit, sou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Patrick Chamoiseau nous entraîne dans une la-ronde une veillées traditionnelle pour nous révéler le mystère de la création littéraire. Et ce mystère remonte au temps des conteurs, des tambours et des danseurs. C'est donc une lecture envoûtante à la recherche de la langue, de l'écriture et de la beauté. Lecture poétique, politique, philosophique. 


Recherche de l'émotion esthétique, de la beauté.

"Vivre aux Antilles revient à être plongé dans des calamités potentielles : cyclones, tremblements de terre,
éruptions volcaniques..."

[...]
"Moi, travaillé par mes cyclones et mes tremblements de terre, je trouvai précieuse cette notion de catastrophe. Je pris plaisir à ruminer ce moment qui introduit la création, durant lequel l'artiste vide la page, vide la toile, vide la pierre ou le marbre, vide son instrument, et se crée en lui-même les conditions d'une expression irremplaçable et singulière."

[...]
"L'artiste est appelé, tel un élu, par les « surgissements-de-la-Beauté » qui persistent dans les longs sillons du Beau. Il est habité par leur magie persistante ; il passera toute sa vie à tenter d'en produire lui-même. L'artiste investi de cette sorte s'élance alors vers l'inconnu, je veux dire : vers les bouleversements inépuisables qu'offre l'acte de création."

J'ai beaucoup aimé les "surgissement-de-la beauté"  et la "catastrophe existentielle". 

J'ai aussi aimé le rôle du conteur et l'apprentissage du disciple. le conteur à la base de la littérature écrite.




"Pour qu'une métamorphose se produise quand le vieux-nègre esclave se transformait en maître-de-la-Parole, il fallait un bouleversement qui vide la page : efface, dans son humanité remise en « devenir », la moindre survivance de l'esclave. Il fallait un « moment-catastrophe ».

[...]
L'état poétique est donc la condition sine qua non d'un moment-catastrophe."

Dans la dernière partie, l'énigme du panier est plus ardue avec des références littéraires que je ne maîtrise pas . Chamoiseau se réfère aux traditions, aux conteurs mais c'est aussi un grand lecteur  qui peut invoquer Deleuze, Joyce, Faulkner et bien d'autres. Il fait une lecture très érudite de Césaire et de Glissant ainsi que d'autres auteurs que je ne connais pas. Il revient sur l'écriture de ses oeuvres. j'ai retrouvé Texaco et cela m'a donné envie de lire d'autres livres . Quand il m'a un peu perdue avec l'érudition, je l'ai retrouvé avec joie quand il raconte les traces des Amérindiens:


je remercie laboucheàoreilles de m'avoir signalé ce livre, son avis ICI. Sa lecture est assez différente de la mienne. Elle s'est plus attachée à montrer l'acte d'écriture, le rôle de la main. Comme je rentre des Antilles j'ai été plus sensible au contexte géographique et culturel.
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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Cet essai traite de la création artistique, plus particulièrement littéraire. En parallèle de la mondialisation économique des relations se sont développées entre les peuples et les cultures, ce que Patrick Chamoiseau nomme Mondialité. Cela a permis de sortir les individus des emprises communautaires. L'écrivain se place dans ce cadre, il chemine "non plus dans le seul tissu de son pays natal, le seul atelier de sa langue d'origine, mais bien dans cet inextricable".

Patrick Chamoiseau évoque ses souvenirs d'enfance pour raconter sa découverte de la littérature. Sa mère lui rapporte du marché des rebuts de librairie, vendus sans couverture en "petits-lots-ficelés". Ces premières lectures ne lui parlent pas de lui. Il n'y retrouve ni sa langue maternelle (le créole, langue dominée), ni les paysages et choses de son quotidien. Il se tourne alors vers la bibliothèque Schoelcher et commence à lire tout ce qui traite des Antilles. Mais il s'agit de livres écrits par les vainqueurs, les colonisateurs et au bout de quelque temps il se rend compte que ces lectures sont toxiques, où Nègres et colonisés sont des sous-hommes et la culture antillaise un folklore. Enfin l'auteur part à la recherche de la langue créole dont les contes, chants, proverbes... forment une oraliture. Il rencontre de vieux conteurs, héritiers des conteurs de la plantation esclavagiste, ceux dont la tradition dit qu'ils ne peuvent conter que la nuit sous peine d'être transformés en panier. Comme le sorcier qui connaît les plantes qui soignent ou qui empoisonnent, le conteur est un résistant à l'oppression esclavagiste.

Pour Deleuze, l'angoisse de la page blanche vient de ce que cette page est non pas vide mais trop pleine de ce qui a déjà été écrit. Pour créer quelque chose de vraiment nouveau il est besoin d'une catastrophe qui vide la page. Pour les esclaves, la catastrophe existentielle c'est le transport dans la cale du bateau négrier.

La culture créole est un métissage composé de vestiges de cultures africaines, amérindiennes, occidentales.

Dans la dernière partie Patrick Chamoiseau analyse les oeuvres d'auteurs antillais à l'aune de cette capacité -ou pas- de vider la page. Les poètes doudouistes comme Daniel Thaly n'ont pas été capables de remettre en question l'imaginaire dominant. L'auteur juge leurs textes jolis mais tièdes.

Un long passage est consacré à l'oeuvre de Césaire et à la construction de la notion de Négritude. Cependant Césaire fait l'impasse sur la langue créole.

Enfin il est question de Glissant.

Patrick Chamoiseau manie lui une langue inventive avec création de mots-valises, surgissement d'onomatopées, du créole aussi, bien sûr. Il y a des accents poétiques là-dedans. C'est un auteur que je n'avais jamais lu, très cultivé et exigeant. Il y a de nombreuses références littéraires, une réflexion philosophique. Je dois avouer que je ne suis pas sûre de comprendre tout ce que je lis mais quand je comprends, qu'est-ce que c'est bien! Je retrouve le même choc que lors de ma première lecture de Beloved de Toni Morrison : la littérature, l'invention littéraire m'a fait prendre conscience plus que les textes documentaires du crime contre l'humanité qu'était l'esclavage. Ici c'est l'évocation de l'horreur absolue du transport dans les bateaux négriers qui est particulièrement frappante. Je trouve aussi très intéressante la réflexion sur la place de la langue dominée et de la langue dominante dans une colonie. Par ce qu'elle véhicule la langue dominante n'est pas une simple langue, c'est une arme.

C'est un livre qui ne se lit pas tout seul. Il faut accepter d'y consacrer du temps et de la concentration mais cela en vaut la peine.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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critiques presse (1)
LeMonde
11 juin 2021
L’écrivain invite à une traversée intime faite de souvenirs, lectures et voyages, en héritier du mythique premier conteur créole.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Je fus très vite conscient d’un phénomène étrange : mes lectures n’avaient pas épuisé toute ma bibliothèque. Certains livres étaient restés pour moi endormis : je n’avais pas rencontré leur auteur, souvent des créateurs qu’on ne saurait négliger. Une conversation, un article de journal, un bout de phrase qui flotte dans une indication les rappellent à votre bon souvenir comme le ferait un éclat de jasmin. On se précipite dans ses rayonnages, on les trouve, on s’y plonge, et… ce qui ne s’était pas passé avant se produit ! De ce point de vue, les bibliothèques relèvent de la caverne d’Ali Baba, du labyrinthe inépuisable et du grand cimetière. On y entasse par gourmandise, l’entassement creuse des angles morts ; les lectures trop avides qui deviennent des réflexes traversent de longs couloirs inertes ; dès lors, on peut s’y perdre, mal peser des merveilles, aller aux verroteries… Néanmoins, même endormi, même oublié, même resté invisible, un livre important intègre votre univers sensible, il vous nourrit et nourrit les moments de l’Écrire durant lesquels votre être en son entier acquiert une densité d’étoile.
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L'écriture s'étant installée chez moi telle une sale manie, j'étais devenu sensible à la question de la langue employée. Ma mère négresse était plutôt de langue créole, c'était son naturel. Mon père s'était construit une "manière de mulâtre à beaux-airs" à grand renfort de langue française; il exhibait la chose en récitant de mémoire appliquée les impressionnantes merveilles d'un signalé monsieur Jean de La Fontaine. J'étais sans doute bien plus à l'écoute émotionnelle de ma mère, car, dans ma tête où s'entrechoquaient les deux langues, le créole s'accrochait au vif et au sensible. (p. 46)
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Bien entendu, ces ouvrages où je vivais au rêve ne me parlaient jamais de moi. Ils n'évoquaient ni les paysages que je connaissais, ni ma langue maternelle, ni les choses qui composaient mon existence. Pour disposer d'ouvrages qui refléteraient ma réalité antillaise, je me mis à rôder du côté de la Bibliothèque Schoelcher, un édifice improbable, pagode de fer et de dorures, posté au centre de la ville, en face d'une savane d'origine militaire, juste à côté de ce palais de gouverneur qu'utilisent encore nos préfets de passage. Sa base livresque provenait du don des ouvrages personnels de l'admirable Victor Schoelcher. Je me vois encore monter les quelques marches , traverser une sorte de nef entre les falaises de livres reliés sentant le cuir confit, le papier mort, le ravet sec, la naphtaline. Je me vois approcher du vieux conservateur qui somnolait l'après-midi dans les poussières de son bureau. Touché par ma démarche de négrillon bizarre, cet être humain (...) m'accorda l'accès à une vieille armoire grillagée où s'éternisaient dans un coin d'oubli des livres concernant les Antilles. Livres de flibustiers en dérade dans les îles; livres de prêtres savants qui établissaient chronique de leurs séjours aux Amériques; livres de colonialistes heureux de posséder des îles; enfin, livres de poètes énamourés alentour des doudous, des fleurs et des joliesses du paysage.... d'une manière générale, les vainqueurs tenaient la plume, et quand ce n'était pas eux c'était leur seul imaginaire qui introduisait l'évocation de ce pays et qui disait le monde. Mais j'avais une telle soif de ma propre " réalité" que ces lectures me procuraient, à beau dire à beau faire, un plaisir sans manman. (p. 4
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Le rapport privilégié que l'on entretient avec un ouvrage n'est souvent irréductible à aucune expérience autre. Le livre peut être important, insignifiant, même regrettable...Qu'importe: il vous a apporté quelque chose, un mot, une phrase, une leçon, un personnage, une maille de sensibilité, un rien qui nuance votre vie...(p. 43)
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Ces livres subitement réveillés avaient, au fil des ans, dessiné dans ma bibliothèque une "géographie cordiale". (...)
Cette âme de toute bibliothèque fidèlement éprouvée, je l'ai appelée : sentimenthèque. On n'écrit pas avec toute une bibliothèque, juste avec ce qui a pu atteindre nos chairs. (p. 43)
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Quel roman écrit dans un prodigieux cocktail de créole et de français remporta le prix Goncourt en 1992 ? Il raconte l'histoire d'un quartier de Fort-de-France…
« Texaco » de Patrick Chamoiseau, c'est à lire en poche chez Folio.
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