Citations de Patrick Modiano (1622)
Les détails topographiques ont un drôle d'effet sur moi: loin de me rendre l'image du passé plus proche et plus claire, ils me causent une sensation déchirante de liens tranchés net et de vide. (p.41)
Je retrouvais ce sourire avantageux et cette fatuité de voyageur de commerce qui vous raconte ses bonnes fortunes devant une bière, dans un buffet de gare perdu. (p.22)
Livre polyphonique pour tenter de retracer le parcours météorique d'une femme qui fuit, fuit le monde et elle même, Jaqueline alias Louki, "Dans le café de la jeunesse perdue" est un livre brumeux comme tous les livres de Modiano, un livre qui semble lui même vouloir fuir dans l'une de ces "zones neutres" de Paris dont parle l'un des personnage. Intrigant et nostalgique, c'est une balade dans un Paris de toute éternité, puisqu'il semble n'avoir jamais existé, comme une carte postale noir et blanc que l'auteur tenterait de colorier, en y ajoutant des personnages qui se croisent sans forcément échanger... sans savoir où ils vont.
Et de menus événements se succèdent et glissent sur vous sans y laisser beaucoup de traces. Vous avez l'impression de ne pas pouvoir vivre votre vraie vie et d'être un passager clandestin. (p.110)
Était-ce l'illusion de ceux qui ont vingt ans et qui croient que le monde commence avec eux? (p.111-112)
S'il attachait tant d'importance aux études, c'est que lui n'en avait pas fait et qu'il était un peu comme ces gangsters qui veulent que leurs filles soient éduquées au pensionnat par les "frangines". (p.78)
Mes camarades l'avait mis en quarantaine en le traitant de "dégonflé" avec cette lourdeur de caserne qui vous accable quand les "hommes" sont entre eux. (p.46)
Parfois, comme un chien sans pedigree et qui a été un peu trop livré à lui-même, j'éprouve la sensation puérile d'écrire noir sur blanc et en détail ce qu'elle [ma mère] m'a fait subir, à cause de sa dureté et de son inconséquence. Je me tais. Je lui pardonne. Tout cela est désormais si lointain... (p.88)
Je vais continuer d'égrener ces années, sans nostalgie mais d'une voix précipitée. Ce n"est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite ou alors je n'aurai plus le courage. (p.82)
Une douzaine d'années avait passé depuis que l'on ne m'appelait plus «la Petite Bijou» et je me trouvais à la station de métro Châtelet à l'heure de pointe. J'étais dans la foule qui
suivait le couloir sans fin, sur le trottoir roulant. Une femme portait un manteau jaune. La couleur du manteau avait attiré mon attention et je la voyais de dos, sur le tapis roulant. Puis elle marchait le long du couloir où il était indiqué «Direction Château-de-Vincennes». Nous étions maintenant immobiles, serrés les uns contre les autres au milieu de l'escalier, en attendant que le portillon s'ouvre. Elle se tenait à côté de moi. Alors j'ai vu son visage. La ressemblance de ce visage avec celui de ma mère était si frappante que j'ai pensé que c'était elle.
Elle a déjà tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant ?
Bien des années plus tard, il s'était retrouvé par hasard dans cette rue Bleue, et une pensée l'avait cloué au sol : Est-on vraiment sûr que les paroles que deux personnes ont échangées lors de leur première rencontre se soient dispensées dans le néant, comme si elles n'avaient jamais été prononcées ? Et ces murmures de voix, ces conversations au téléphone depuis une centaine d'années ? Ces milliers de mots chuchotés à l'oreille ? Tous ces lambeaux de phrases de si peu d'importance qu'ils sont condamnés à l'oubli ?
[...]
Et si toutes ces paroles restaient en suspens dans l'air jusqu'à la fin des temps et qu'il suffisait d'un peu de silence et d'attention pour en capter les échos.
«Depuis quelque temps Bosmans pensait à certains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans nom, des rencontres fugitives. Tout cela appartenait à un passé lointain, mais comme ces courtes séquences n’étaient pas liées au reste de sa vie, elles demeuraient en suspens, dans un présent éternel. Il ne cesserait de se poser des questions là-dessus, et il n’aurait jamais de réponse.»
C'était fini pour moi, la période où tout est encore en suspens, où on se trouve à la lisière de tout, un peu comme dans uen salle d'attente.
J'avais quitté Lyon, je venais de m'échapper d'un endroit où les gens parlaient trop fort, des gens que je ne connaissais pas, et ma vie serait une fuite sans fin.
L'avenir... Un mot dont la sonorité semblait aujourd'hui à Bosmans poignante et mystérieuse. Mais, en ce temps-là, nous n'y pensions jamais. Nous étions encore, sans bien nous rendre compte de notre chance, dans un présent éternel.
Encore un froncement de sourcils. Que lui répondre? De drôles de parents qui avaient toujours cherché un pensionnat ou une maison de correction pour se débarasser de moi
Il essayait vainement de se rappeler dans quel livre était écrit que chaque première rencontre est une blessure
" Je pense à Dora Bruder. Je me dis que sa fugue n'était pas aussi simple que la mienne une vingtaine d'années plus tard, dans un monde redevenu inoffensif. Cette ville de décembre 1941, son couvre-feu, ses soldats, sa police, tout lui était hostile et voulait sa perte. A seize ans, elle avait le monde entier contre elle, sans qu'elle sache pourquoi."
A vingt ans, j’éprouvais un soulagement quand je passais de la Rive gauche à la Rive droite de la Seine… Tous les quartiers de la Rive gauche n’étaient que la province de Paris