Citations de Scholastique Mukasonga (393)
Quand vous vivez un drame aussi terrible, vous n’avez pas de projets. En devenant écrivain, j’ai trouvé une porte de sortie à cette souffrance, et c’est devenu mon confort. J’ai commencé à vivre quand j’ai couché ce poison sur le papier. La littérature est la meilleure des thérapies.
interview "camiondesmots"
La pluie pendant de longs mois, c'est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d'autrefois ou le président d'aujourd'hui, la Pluie, c'est celle qu'on attend, qu'on implore, celle qui décidera de la disette ou de l'abondance, qui sera le bon présage d'un mariage fécond, la première pluie au bout de la saison sèche qui fait danser les enfants qui tendent leurs visages vers le ciel pour accueillir les grosses gouttes tant désirées, la pluie impudique qui met à nu, sous leur pagne mouillé, les formes indécises des toutes jeunes filles, la Maîtresse violente, vétilleuse, capricieuse, celle qui crépite sous la bananeraie comme ceux des quartiers bourbeux de la capitale, celle qui a jeté son filet sur le lac, a effacé la démesure des volcans, qui règne sur les immenses forêts du Congo, qui sont les entrailles de l'Afrique, la Pluie, la Pluie sans fin, jusqu'à l'océan qui l'engendre.
Le firmament, c’était un mot que nous avaient appris les bons pères. J’aimais ce mot. Je me le répétais. Le firmament pour nous, c’étaient les petits nuages qui flottaient autour de la lune, comme des flocons dorés. Et ces nuages du firmament, ce ne pouvait être que les boules de pain merveilleuses qui nous attendaient dans le ciel, celui qui était au-dessus de nos têtes ou celui dont nous parlaient sans cesse les bons pères.
Toutes les nuits, mon sommeil est traversé du même cauchemar. On me poursuit, j'entends comme un vrombissement qui monte vers moi, une rumeur de plus en plus menaçante. Je ne me retourne pas. Ce n'est pas la peine. Je sais qui me poursuit... Je sais qu'ils ont des machettes. Je ne sais comment, sans me retourner, je sais qu'ils ont des machettes...Parfois aussi, il y a mes camarades de classe. J'entends leurs cris quand elles tombent. Quand elles...A présent, je suis seule à courir, je sais que je vais tomber, qu'on va me piétiner, je ne veux pas sentir le froid de la lame sur mon coup, je...
Je me réveille. Je suis en France. La maison est silencieuse. Mes enfants dorment dans leur chambre.
(incipit)
Un diplôme tutsi, ce n’est pas comme un diplôme hutu. Ce n’est pas un vrai diplôme. Le diplôme, c’est ta carte d’identité. S’il y a dessus Tutsi, tu ne trouveras jamais de travail, même pas chez les Blancs. C’est le quota.
Mais, nous, qu'est-ce que nous allons devenir ? Un diplôme tutsi, ce n'est pas comme un diplôme hutu. Ce n'est pas un vrai diplôme. Le diplôme, c'est ta carte d'identité. S'il y a dessus Tutsi, tu ne trouveras jamais de travail, même pas chez les Blancs. C'est le quota.
Tu te souviens de ce qu'on nous racontait au catéchisme : toute la journée, Dieu parcourt le monde mais, chaque soir, il rentre chez lui au Rwanda. Eh bien, pendant que Dieu voyageait, la Mort lui a pris sa place, quand il est revenu, elle lui a claqué la porte au nez. La mort a établi son règne sur notre pauvre Rwanda. Elle a son projet : elle est décidée à l'accomplir jusqu'au bout.
« La femme aux pieds nus, elle fait le portrait vivant d'une Mère Courage au cœur de l'Afrique et qui donne son cœur pour que vivent ses enfants ».
« Maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton corps et je n’ai plus que des mots pour accomplir ce que tu avais demandé. Et je suis seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur la page du cahier, tissent et retissent le linceul de ton corps absent ».
Heureux le professeur qui a le bonheur d’enseigner au Rwanda ! Il n’est pas d’élèves plus calmes, plus dociles, plus attentifs que les élèves rwandais.
Ailleurs, dans beaucoup d'églises, les tueurs ont brisé les statues de la Vierge. On lui avait donné, estimaient-ils, le visage d'une Tutsi. Ils ne supportaient pas son petit nez trop droit.
Les militaires avaient fouillé. Ils avaient consciencieusement éventré les greniers, brisé les cruches, questionné tous les occupants, même les enfants. En vain. Les Inyenzi avaient déjà déguerpi sans demander leur reste.
La ministre souligna que le Président, soutenu par le peuple majoritaire, travaillait sans relâche au développement du pays, impossible sans le concours des femmes dont l’éducation, selon la morale chrétienne et les principes démocratiques, était l’une de ses priorités.
On remarqua que l’aumônier déchirait ostensiblement les photos des chanteurs mais épargnait celles de Brigitte Bardot et s’efforçait d’en glisser subrepticement quelques-unes dans les poches de sa soutane.
À peine si m’envahit alors la mémoire confuse d’une
paix bienheureuse. Peut-être m’appelait-elle, mais je ne sais
vers qui, vers quoi, elle m’appelait. N’était-elle que le
masque fallacieux du néant ? Mais pourquoi la mort serait-elle si belle ? Et je pense à ceux qui sont tombés sous les
machettes : y avait-il pour eux une lumière au bout de leurs
souffrances ? Alors le souvenir de la lumière se fait brûlure
vive.
"La Mort a établi son règne sur notre pauvre Rwanda. Elle a son projet, elle est décidée à l'accomplir jusqu'au bout. Je reviendrais quand le soleil de la vie brillera à nouveau sur notre Rwanda".
"Maman, pourquoi ne nous as-tu pas appris le kinyarwanda ? Ne sommes-nous pas nous aussi rwandais ? Nous avons honte quand nous allons au Rwanda voir nos cousins et nos cousines. Que pensent-ils de nous ? Que nous méprisons leur langue ? " A cette époque, j'avais peur pour mes enfants. La langue est une identité, et cette identité , on me l'avait niée. Elle était devenue une menace de mort. Je voulais leur épargner cette menace, qui semblait planer sur eux comme elle planait sur moi. (p. 105-106)
Les pensionnaires du lycée sont filles de ministres, de militaires haut gradés, d’hommes d’affaires, de riches commerçants. Le mariage de leurs filles, c’est de la politique. Les demoiselles en sont fières : elles savent ce qu’elles valent. Il est loin le temps où seule comptait la beauté.
En 1994, le viol fut l'une des armes des génocidaires. Ils étaient pour la plupart porteurs du sida. Et toute l'eau de Rwakibirizi et l'eau de toutes les sources du Rwanda n'auraient pas suffi à "laver" les victimes de la honte des perversions qu'elles avaient subies et de la rumeur de porteuses de mort qui les faisaient rejeter par beaucoup. Cependant, c'est en elles, en elles et dans l'enfant du viol, qu'elles trouvèrent la source vive du courage, la force de survivre, de défier le projet de leurs assassins. Le Rwanda aujourd'hui, c'est le pays des Mères-Courage.
les gamins, qui s’offrent à porter les paniers pour quelques
pièces, lapident la malheureuse de tomates et de papayes
trop mûres tandis que la suppliciée étouffe en silence sa
souffrance et sa honte. La nuit, les descentes dans les night-clubs ont surtout pour objectif les homosexuels : les Noirs
vont en prison, les Blancs reçoivent dès le lendemain leur
avis d’expulsion.