Tout d'abord, je remercie NetGalley et les éditions Belfond pour l'envoi de ce roman dont la 4ème de couv' m'avait titillée!
Le sympathisant est un petit pavé dense, complexe et riche mais avant tout, c'est la confession d'un bâtard.
Bâtard par sa naissance d'une mère sud-vietnamienne et d'un prêtre français. Il ne sera jamais accepté par les siens.
Bâtard et déraciné de sa terre natale, réfugié aux États-Unis au moment de la débâcle américaine lors de la guerre du Vietnam, dans les années 70. Il ne sera jamais intégré sur sa terre d'accueil et restera orphelin de sa terre d'origine.
Bâtard dans une existence louée à l'idéologie communiste du Vietcong alors que son quotidien est aux côtés des sud-vietnamiens et des américains. En choisissant l'espionnage, il renonce à sa propre essence.
Bâtard, finalement, car il n'a même pas de nom dans ce roman...
La plume de l'auteur est caustique, noire et n'épargne rien ni personne. Si le moteur de cette confession est un passage dramatique de l'Histoire, le conflit vietnamien, elle ne donne aucune leçon: l'ombre et la lumière forme un couple aux facettes changeantes et troubles.
L'Histoire est trop souvent un ramassis de dates indigestes et de résumés stériles alors que l'humain en est le terreau trop souvent occulté.
Avec Le sympathisant, c'est l'intimité d'un chaînon entre les ennemis d'une même terre, vietcongs et sud-vietnamiens, entre deux idéologies opposées, le communisme totalitaire et l'impérialisme américain.
C'est l'intimité de l'enfant de ce couple qui se déchire sans issue.
Si le choc est idéologique, l'auteur analyse finement et souvent avec humour le choc également culturel de l'Orient et de l'Occident. Quand le Sympathisant est nostalgique de sa terre et de ses spécificités sociales, il n'en reste pas moins admiratif de l'américan way of life.
Paradoxe de l'espion qui bataille parfois pour préserver la "pureté" de ses convictions quand il épouse, dans les apparences, une cause opposée...
Où se situe la vérité et les mensonges quand l'homme est déchiré entre ses deux frères de sang, Man et Bon. Man, agent communiste et Bon, bras armé du sud? Quand l'un est à ses côtés et l'autre, resté au pays? Quand la loyauté et l'amitié se disputent la morale?
Quand l'homme vit et s'abreuve au sein capitaliste alors que ses convictions intimes sont inverses?
Quand l'abandon par les alliés d'hier ne résiste pas à l'horreur des camps de rééducation des gagnants d'aujourd'hui?
Ce roman va bien au-delà du choc des idéologies politiques véhiculé par la guerre du Vietnam, c'est une grande fresque humaine de la scène de théâtre hypocrite de la société: les personnages sont les masques interchangeables de chacun. Madame, l'Auteur, le Capitaine, le Général ne sont que les symboles de l'ambivalence identitaire de tout un chacun.
En ne donnant pas de nom à son personnage, l'auteur nous renvoie, à des degrés moindres à nos propres contradictions, au combat entre notre nature profonde, nos convictions intimes et les concessions que nous sommes obligés de d'adopter dans la société dans laquelle nous évoluons. C'est la sphère intime qui s'entrechoque avec l'intérêt général et les girouettes gouvernantes.
Je dois bien avouer que j'ai arrêté ma lecture par certains moments. Les récits à la première personne m'ennuie parfois par leurs longueurs, leur égotisme et leur redondance. Toutefois l'histoire est captivante et l'analyse du déracinement du personnage est passionnante. Elle est faite de mille petits riens et de blessures profondes. C'est le deuil de son statut et de ses repères, l'assassinat d'un passé, un échouage dans l'inconnu, une agression perpétuelle de ses racines et la difficulté à s'intégrer dans un monde qui n'est pas le sien. L'auteur alterne grandes réflexions quasi-philosophiques avec des anecdotes plus légères. Je pense que la scène du calamar restera inoubliable!
Viet Thanh Nguyen évoque avec pudeur et retenue les Boat People, symbole de la répression communiste sur le peuple vietnamien, tout comme le racisme des américains envers les témoins vivants de leur défaite. Que ce soit la politique occidentale ou le communisme révolutionnaire, le sympathisant en dévoile les violences et manipulations, les mensonges et les libertés idéologiques. Les idées volent, s'envolent, endoctrinent, emprisonnent, trahissent et au final, les morts de chaque camp rougissent du même sang la terre qui les porte.
Le sympathisant est un premier roman auréolé du Prix Pulitzer. Je suis totalement allergique aux bandeaux sur les bouquins et prix de toutes sortes. Mais pour le coup, pour sa trame historique, ses réflexions justes et dérangeantes sur l'âme humaine et ses critiques sociétales, je trouve que c'est une récompense justifiée et méritée pour une jeune plume puissante et profonde!
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