Citations de Yves Navarre (259)
Un dernier regard sur le bureau où le soir de l'épreuve écrite de philosophie du baccalauréat, elle s'était tenue fébrile, inquiète à se demander si elle avait bien traité le sujet : "Notre seule unité, c'est l’interrogation." Un sujet qu'elle ne pourrait plus traiter. Il faut être jeune et ne rien savoir, ou que du su, de l'appris, pour pouvoir encore s'épancher sur de telles pensées et ne pas avoir compris que plus on s'approche du but plus on s'en éloigne.
Le plus beau des romans, et peut être le seul que j'écrirai, n'est qu'une lettre, celle-ci.
L'enfance est donc une compagnie bien insupportable. Il ne faut pas sauter un mot. L'enfance voit la mort de face. Cruelle. Buccale. Implacable.
"Meurtre ?" Il n'y a pas de prescription pour meurtre, en Famille. Henri P. sachant qu'il allait devenir ministre ne voulait pas que son fils lui crée un scandale, rencontre un autre R L . ...
Etrange rite auquel nous nous soumettons comme des enfants. Or, trois décennies plus tard, je me surprends à parler d'étrangeté quand il ne s'agissait que de spontanéité.
J'ai du bonheur à revendre, et personne pour m'en acheter.
Tout souvenir ne devient choquant ou excessif que lorsque l'on se dérobe devant lui.
Et je me dis que si tout se termine bêtement, cet instant-là aura été bouleversant, incisif, tellement inutile.
Je n'ai que ma vie à offrir en partage.
Il n'y a plus de limites entre mes rêves et la réalité. Ils me disent l'autre fraction de toute vérité.
Je sais que vous ne m'aimez pas beaucoup, ou bien que vous m'aimez trop, toujours est-il que je n'ai jamais croisé votre regard, comme si bous tous vous employiez, par jeu ou par feinte indifférence, à laisser aux autres le fardeau de leur solitude.
Il n'y a pas de place dans nos rapports tant pour les excuses que pour les pardons. Alors j'attends, un regard, un signe, un geste, une attitude inattendue, un mouvement qui puisse éveiller une tendresse et d'un seul coup, tout effacer du cauchemar qui vient de nous désunir pour un été, un automne, quand pourtant encore tout nous attire l'un vers l'autre.
J'ai voulu accueillir le monde, mais le monde a feint de croire que mon accueil était répressif; J'ai attendu de chacun un excès, un signe qui ne s'adresse pas à l'intelligence mais à la sensibilité.
[...] ne se dire que les mots simples qui égratignent mais ne blessent pas, quand au fond de soi, tout n'est que charnier d'émotions et d'intentions.
J'ai trop de bagages pour ne pas un jour en crever. Parfois, je me dis qu je pèse lourd, très lourd. Le poids d'une vie ratée.
Les hommes se sont fabriqué des armures de carton, ces déguisements dérisoires, pour se donner force et illusion de vivre ensemble quand chacun vit dans a propre prison.
Mais une vie est ainsi faite, de bribes et de bouts, de grâces et d'appels, d'échos et de maux qui se mêlent et sombrent puis font surface à nouveau.
"Ils me voulaient superbe. Je n'étais que chat. Le maître, en fait. Un pacha."
Le sol est dur aux genoux ces temps-ci
Le silence est tumultueux et la mélancolie ne serait que la gaieté d'être triste. Le silence est précieux, il vous rends précis et démasque les oublieux.
Jocelyne "a eu" le Femina, quand "j'ai eu" le Goncourt, ce qui nous valut un titre de journal, le Goncourt à un pédé, le Femina à une lesbienne.
(in Carnet de bord)
- Et puis vous allez écrire ce que vous vivez maintenant
- Non, professeur, c'est comme la boue, il faut tamiser, tamiser pendant des années, alors seulement, parfois, on trouve une fine pellicule d'or, c'est ça l'écriture.
(in Les fleurs de la mi-mai).
Question : comment tenir compte des leçons de réalisme que ma génération, 18 ans en 1958, 28 ans en 1968, a du subir, sans pour autant devenir complètement passive ou complètement cynique ? Je n'aurai jamais le courage de me tuer. Je voudrais et je veux qu'on m'endorme.
(in Les fleurs de la mi-mai)
Romain Leval, dans "Le Jardin d'Acclimatation", habite là où habite Marguerite Duras, en face de l'impasse des Deux-Anges, un secret du texte. Et sa cure de désintoxication, à l'Hôpital américain, Marguerite la faisait dans la chambre voisine de celle où René, mon père, mourait, mêmes jours, mêmes semaines, secret ? signe ? Signe et secret ?
(in Les fleurs de la mi-mai)
Il ne fallait pas dire les patients, ou les malades, mais les Résidents. Le luxe du lieu cachait à grand-peine la misère et l'effroi, chacune, chacun, plus que jamais devait prendre son malheur en patience. La Résidence donnait bonne conscience, c'était luxueux, confortable, remboursé à 100%.
(in Les fleurs de la mi-mai)
Bernard est mort, Conrad est mort, Marcel est mort.
Dans le journal du jour, dans un article, un bien-portant écrit QUI SERA LE SUIVANT ?
(in Les fleurs de la mi-mai)
Luc rêve d'un jour où il oubliera tout cela, son enfance. Les draps de l'oubli sont noirs. Les draps des pages sont blancs puis bleus : faire le beau voyage de l'écriture. Se délivrer.
Rasky l'observe : Est-ce la même infirmière que la veille, ou bien l'avant-veille ? Rasky confond toutes ces poupées blanches, bien amidonnées, bien maquillées, aux voix suaves et lointaines. S'en irait il déjà ? Aurait il déjà franchi les premiers caps, rompus certaines amarres ?
- Ne bougez pas, je vais vous faire une intra.
L'infirmière se penche.
- Vous avez des veines tellement fines, tellement capricieuses. Vous étiez capricieux, enfant, n'est-ce pas ?
Silence.
Rasky se dit en lui même qu'il a toujours été un enfant. Puis il ferme les yeux et se dit qu'il voudrait ne plus voir que des infirmiers pour le soigner.
Henri Prouillon respire profondément comme s'il craignait une peine à venir ou un déchirement. Il n'a jamais pu, ou su, s'émouvoir au bon moment. Les douleurs de la vie se sont toujours éveillées en lui trop tard, quand personne d'autre, dans l'entourage, ne pouvait plus ni les expliquer ni les situer. C'est sans doute là un trait d'éducation, la marque véritable, tout ce qui dans un certain milieu ordonne un décalage entre la cause et l'effet, l'impression et l'émotion, le discours et l'écoute. Ne jamais rien laisser transparaître.
Le jeune homme se lève, retire lentement ses vêtements, et dans l'ombre de la chambre, faible lueur électrique de derrière les rideaux, Yves voit se profiler le corps svelte, élancé, le corps élégant et touchant du visage.
Le jeune homme se couche sur le lit : son corps n'est qu'une immense blessure, la peau n'est que cratères, cicatrices aux épaules, au ventre, au jambes, comme si le jeune homme avait été lacéré, brulé à la torche.
Et comme Yves ferme les yeux, le jeune homme les lui rouvre et lui dit "I was a baby in Dresden..." J'étais un bébé à Dresde. " I was in Dresden when..." J'étais à Dresde quand ils ont bombardé la ville.
Le jeune homme prend les mains d'Yves, les plaque sur ses épaules et murmure " Don't stop kissing me, please" N'arrête pas de m'embrasser, s'il te plaît.
Don Francisco fait reconstruire les églises mais ne va à la messe qu'en cérémonie officielle. Quand il jure devant sa femme, et pour rire, dona Emilia se signe. Et quand Manolo chante Se va el caiman por la Barranquilla, chanson interdite sur les ondes de Radio Nacional de España, par Franco, qui sait qu'on le prend pour le crocodile en question, don Francisco a l'air ravi.