Artemis Fowl, tome 6 : Le paradoxe du temps

"Le soldat de l'espace jaillit de l'ombre et Butler vit nettement ses yeux. Un bleu, l'autre noisette.

- Dormez, Butler, répéta-t-elle de sa voix mélodieuse. Vous ne sentez pas vos paupières lourdes ? Dormez...

"Elle est en train de m'hypnotiser !" constata le garde du corps. Il dégaina le pistolet, mais c'était comme si on avait plongé ses doigts dans du caoutchouc fondu, avant de les asperger de roulements de billes.

- C'est toi qui vas dormir ! grogna-t-il et il tira dans la hanche de la fille.

Hébétée, Holly regarda la fléchette hypodermique plantée dans le haut de sa cuisse.

- Oh, non, pas encore, gémit-elle, avant de s'écrouler sur le sol.

Butler retrouva instantanément ses esprits.

Le deuxième intrus ne bougea pas d'un pouce.

"C'est la gamine, la professionnelle, se dit Butler. Je me demande quel est le rôle de ce jeune débraillé ?"

Artemis comprit rapidement qu'il n'avait pas d'autre choix que de dévoiler son identité et d'enrôler Butler.

"Ça ne va pas être facile, pensa-t-il. En guise de preuve, je n'ai qu'une très vague resssemblance avec le jeune garçon que j'étais."

Quoiqu'il en soit, il devait tenter le coup avant que son plan ne tombe à l'eau.

- Ecoutez, Butler... J'ai quelque chose à vous dire...

Mais Butler ne voulait plus rien entendre.

- Non, non, non ! s'écria-t-il en tirant dans l'épaule d'Artemis. Arrêtez de parler, tous les deux !

Artemis arracha la fléchette, mais il était trop tard. Le minuscule réservoir de sédatif était vide.

- Butler ! hoqueta-t-il en tombant à genoux. Vous m'avez tiré dessus...

- Tout le monde connaît mon nom, décidément, dit le garde du corps, en se baissant pour balancer les deux intrus sur ses épaules.

- Je suis perplexe, avoua Artemis Fowl de dix ans, en étudiant les deux individus couchés dans le coffre de la Bentley. Il s'est passé une chose tout à fait insolite.

- Pas tant que ça, répondit Butler en palpant le pouls de la fille. Deux voleurs ont réussi à s'introduire dans le manoir, voilà tout.

- Ils ont franchi tous les systèmes de sécurité. Pas le moindre écho sur les détecteurs de mouvement ?

- Rien. Je les ai découverts par hasard en effectuant une patrouille de routine. Ils étaient cachés dans l'ombre et avaient enfilé de vieilles nippes.

Artemis se tapota le menton.

- Hmm. Vous n'avez donc pas trouvé leurs vêtements ?

- Pas un.

- Ce qui signifierait qu'ils se sont introduits ici en sous-vêtements.

- Ça, c'est insolite, reconnut Butler."

-Me remercier, capitaine? Voilà qui n'est pas banal. Si les fées me remercient, je ne suis pas sûr de bien faire mon travail.

-Oh, si, si! s'exclama la projection de Holly. Vous faites un excellent travail, plus que ça même. Personne ne vous appréciait... ne vous apprécie à votre juste valeur. Alors, merci et je promets de ne pas vous laisser tomber.

Root fut surpris de constater qu'il était véritablement ému. Ce n'était pas tous les jours qu'il sentait une émotion aussi authentique.

"Regardez-moi! se dit-il. En train de pleurnicher devant un hologramme! Foaly se régalerait s'il voyait ça."

-Je... euh... j'accepte vos remerciements, capitaine, et je les crois sincères. Je ne compte pas recevoir un appel par hologramme à chaque mission, mais pour une fois, ça ira.

-Compris, commandant.

-Et soyez prudente à Hambourg. Pensez à bien vérifier votre équipement.

-Promis, commandant.

Root aurait juré qu'il avait vu Holly lever les yeux au ciel, mais peut-être était-ce encore un défaut du programme.

-Autre chose, capitaine?

La fée tendit la main; le mouvement la fit scintiller et onduler légèrement. Root ne savait pas trop quelle attitude adopter. Les règles de savoir-vivre des hologrammes étaient claires: les étreintes et les poignées de mains étaient déconseillées. Après tout, qui a envie de serrer dans ses bras une image pixellisée?

Mais la main était toujours là.

-Souhaitez-moi bonne chance, commandant. Entre officiers.

Root émit un grognement. De la part d'un autre subordonnée, il aurait cru à de la flatterie, mais le capitaine Short l'avait toujours impressionné par sa candeur.

Il tendit la main à son tour et sentit de légers picotements quand elle toucha les doigts virtuels de Holly.

-Bonne chance, capitaine, dit-il d'un ton bourru. Et essayez de refréner votre côté franc-tireur. Un jour, je ne serai plus là pour vous aider.

-Promis commandant. Au revoir.

Sur ce, Holly quitta l'écran, mais durant les quelques secondes qui précédèrent la disparition de son image holographique, Julius Root crut voir des larmes briller sur ses joues.

"Stupide machine, pensa-t-il. Je vais ordonner à Foaly de toutes les recalibrer."

-Ce sera un plaisir, répondit Holly et elle devint aussitôt transparente, comme une créature faite de l'eau la plus pure.
La dernière chose qui disparut fut son sourire.
"Comme le chat du Cheshire," pensa Artemis.
Quelques phrase d'Alice au pays des merveilles lui revint en mémoire.
"Je ne veux pas aller parmi les fous, dit Alice.
-Tu ne peux rien y faire, répondit le chat. Nous sommes tous fous ici."
Artemis se tourna vers le nain caustique, occupé à chercher des insectes stockés dans sa barbe vivante.
"Ici aussi, nous sommes tous fous", pensa-t-il.

Un calme étrange s'abattit sur le sauna, alors que trois adultes se retrouvaient à flotter vers le trou du plafond. [...]
Le dernier de la bande regarda en bas, en se demandant, avec une sorte d'indifférence, pourquoi il ne bégayait pas sous l'effet de la panique. Car quand même, il y avait de quoi devenir hystérique.
"Ca va sûrement venir plus tard, décréta-t-il. Si plus tard il y a."
Au milieu de la vapeur du sauna, il crut apercevoir une petite forme humanoïde couchée sur le sol. Une minuscule silhouette dotée d'une paire d'ailes, qui se releva d'un bond, puis se précipita vers les hommes volants.
"Tout est vrai se dit l'homme. C'est comme dans Le Seigneur des Anneaux. Des créatures imaginaires. Mais là, tout est vrai."
Puis l'île explosa et l'homme cessa de se préoccuper des créatures imaginaires pour se soucier de son pantalon, qui venait de prendre feu.

Espresso et mélasse

Artemis était assis dans un fauteuil en cuir rouge sang, face à Beckett et à Myles. Sa mère, légèrement grippée, était alitée ; son père se trouvait dans la chambre en compagnie du médecin. Artemis avait donc été réquisitionné pour distraire les bambins, et quelle meilleure distraction pour des jeunes gens que quelques leçons ?

Il avait choisi de s'habiller de manière décontractée : chemise en soie bleu ciel, pantalon en flanelle gris clair et mocassins Gucci. Ses cheveux noirs coiffés en arrière dégageaient son front et il avait plaqué sur son visage un air enjoué, car il avait entendu dire que ça plaisait aux enfants.

- Artemis veut cabinets ? demanda Beckett, accroupi sur le tapis turc, vêtu uniquement d'un gilet maculé de taches d'herbe, qu'il avait tiré sur ses genoux.