Nous avions laissé Seabearstein sur une île lointaine et paradisiaque, soucieux de bien s'enivrer afin d'oublier Mireilledarc, sa muse et amante. Depuis, il a rencontré celle qui est devenue sa compagne. Epanoui et animé par la conviction d'avoir enfin trouvé sa place, Seabearstein s'étonne d'avoir répondu à une invitation qui l'oblige à rentrer à Paris.
Sur place, il fait la connaissance d'une jeune femme qui lui donne les derniers détails de sa mission. Il est chargé de participer à une expérience particulière. Il apprend notamment que
Salvador Dali est cryogénisé et que ses employeurs ont décidé de le réveiller. Son rôle consiste dans un premier temps à recruter quatre top models qui accepteraient de poser nues puis de leur demander de s'enfermer quatre jours durant avec lui. Pendant que les filles déambuleront, nues, dans une maison remplies d'oeuvres de
Salvador Dali, Seabearstein les dessinera. Durant quatre jours, ils seront totalement isolés du monde extérieur, sans téléphone, télévision, radio ou ordinateur.
Cette mise en scène n'a d'autre fonction que celle de favoriser le « processus magique » qui doit opérer et conduire au réveil du maître du surréalisme. L'huis-clos atypique permet aux quatre femmes de se sensibiliser progressivement à l'oeuvre de
Dali. La prise de stupéfiants sera un vecteur favorisant leur éveil. A force d'être entourées par les toiles et sculptures de
Dali, elles se mettent inconsciemment à incarner les postures représentées dans les oeuvres dalinienne.
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Joann Sfar est partout, tout le temps. Difficile de lui échapper tant il est présent dans les médias, tant il est actif, prolifique, « touche à tout ». Auteur de bande dessinée, réalisateur, romancier… et rien ne nous dit qu'il n'a pas d'autres cordes à son arc. Pourtant, son oeuvre très personnelle, très identifiable (son trait est reconnaissable au premier coup d'oeil) ne fait pas l'unanimité. Et quand bien même on apprécie une de ses oeuvres, on n'est pas certain d'adhérer à la suivante. Cela ne marche pas tout le temps. Il n'est pas simple d'adhérer à son univers, de trouver le rythme, de s'accorder avec le ton. En revanche, lorsqu'on est synchrone, la lecture est un réel plaisir. On profite de chaque respiration, on est partie prenante dans les échanges, on participe en étant posé sur l'épaule d'un personnage ou accoudé à la même table que lui. On se laisse porter sans aucune certitude sur le plaisir ou le déplaisir que l'on ressentira une fois la lecture terminée.
Sur le bandeau de « Fin de la parenthèse », une accroche : « Quand
Joann Sfar réveille
Salvador Dali », suivie d'une invitation à venir découvrir l'exposition « Une seconde avant l'éveil » à l'Espace
Dali (Paris) qui s'est ouverte le 9 septembre 2016… soit une petite semaine avant la sortie de « Fin de parenthèse » en librairie. Programme ambitieux, le timing en impose et – pour ne pas en rajouter – je me réserverais de parler de l'arrivée de son dernier roman autobiographique «
Comment tu parles de ton père » (sorti le 1er septembre dernier) …
Joann Sfar est partout… son cerveau bouillonne…
Il y a 5 mois [à peine], les lecteurs découvraient «
Tu n'as rien à craindre de moi » (Editions Rue de Sèvres) et faisaient la connaissance de Seabearstein. Un artiste qui vit par et pour son art. Ce nouvel album nous permet de savoir ce qu'il est devenu.
Dès la deuxième de couverture, la lecture commence. Habituellement cet endroit est vierge mais ici, des figures de tarots de Marseille surgissent et nous interpellent tandis que deux personnages conversent. Place à la lecture avant même d'avoir tourné la page de garde !! … le lecteur, compliant et amusé, est invité à abandonner les préliminaires habituels ; cette fois, il ne tournera pas mécaniquement la page de garde, puis l'austère page de titre avant de s'imprégner timidement des premières impressions produites par l'histoire. Sans tarder, le scénario nous plonge au coeur du sujet.
« – Et je suis là pour quoi ?
– Vous êtes là pour s'il ne se réveille pas. »
Faire revivre un artiste. N'est-ce pas ce qu'un artiste contemporain fait lorsqu'il revisite l'oeuvre d'un de ses pairs ? Explorer des oeuvres, les visiter, observer.
" Notre civilisation se terminera sans qu'on ait compris pourquoi nos semblables ont pu encore une fois se laisser empapaouter par l'idée absurde qu'un prêtre saurait mieux qu'un peintre.
Dalí parlait de cryogénie. On lui disait « Maître, pourquoi répétez-vous sans cesse que vous allez être cryogénisé ». Et
Dalí répondait, je le cite de mémoire, que le jour où l'on annoncerait son décès, il se trouverait toujours un con, au fond d'un bistro, quelque part dans le monde, pour balbutier « Non, il n'est pas mort, il est cry-o-gé-ni-sé ». le con, c'est moi. Je le crois réincarné dans ses oeuvres, je suis persuadé que rien n'est plus vivant que l'émotion qui vous retourne au moment où vous comprenez enfin une peinture que vous avez sous les yeux depuis toujours."
[
Joann Sfar dans le préambule de l'album]
J'ai été troublée par les similitudes entre
Joann Sfar et Seabearstein. Tous deux sont fascinés par
Dali. Quand l'un rendre compte de ses explorations par le biais d'une exposition, l'autre s'isole quatre jours pour faire revivre l'esprit du Maître. Et
Sfar lui-même n'a-t-il pas décoré un espace de telle manière à ce qu'il semble familier à
Dali s'il venait à se réveiller réellement ? Et que dire de ce mouvement dans lequel on perçoit
Sfar qui se fond dans
Dali pour mieux en appréhender la démarche… et qui se fond ensuite dans Seabearstein pour rendre compte du fruit de son expérience ? Seabearstein est une projection fictive de son auteur mais les deux semblent se nourrir de leurs expérimentations respectives ; les défis que se lance l'auteur influencent les choix osés par son personnage… à moins que ce ne soit le contraire…
L'idée de départ de l'album est une photo de
Dali. Sur le cliché, on y voit le peintre nous fixer du regard tandis qu'en arrière-plan, quatre femmes nues prennent la pose.
Joann Sfar a rejoué cette photographie.
On y retrouve les thèmes de la religion et de la croyance, chers à
Sfar. Ce dernier inclut également d'autres sujets d'actualité comme le consumérisme, le conformisme, le racisme et le terrorisme. On sent d'ailleurs l'impact qu'ont eu, sur
Sfar, les attentats de
Charlie Hebdo et du Bataclan. La narration est rythmée et alerte malgré le contexte de la claustration et les sujets abordés. Les temps morts nous permettent de nous approprier ce qui a été dit voire de prolonger certains propos et ainsi suivre notre propre réflexion. Puis, au détour d'une page, au beau milieu des illustrations de
Sfar et de son trait claudiquant, les oeuvres de
Dali surgissent. On les regarde d'un autre oeil, on les déchiffre grâce à l'aide bienveillante de Seabearstein.
Une expérience de lecture originale, décalée qui pourtant va au coeur des sujets qui font l'actualité aujourd'hui. Très bel album qui, je pense, ne fera pourtant pas l'unanimité auprès des lecteurs.
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