Une histoire d'ours captifs qui écrivent sur trois générations entre douceur et ennui. Une histoire d'ours acteurs de leurs vies et de leurs shows, menant des carrières entre cirques et zoos. Leur souffrance disparait derrière leur imaginaire. On s'y perd avec eux, où est le vrai, où est le faux? Pas de méchants ni de gentils dans ce roman où hommes et animaux se mélangent et s'oublient.
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Les réunions, c’est comme les lapins : en général, on constate lors d’une réunion qu’une autre réunion est nécessaire et les réunions se reproduisent à toute vitesse. Si on ne fait rien contre, elles seront bientôt tellement nombreuses que même si chacun de nous sacrifiait chaque jour la plus grande part de son temps à des réunions, nous n’arriverions plus à couvrir les besoins. Il faut que nous trouvions quelque chose pour abolir les réunions. Sinon, nos derrières s’aplatiront à force de garder la position assise, et par-dessus le marché, toutes les organisations et les institutions s’effondreront sous le poids de nos derrières. De plus en plus de gens finissent par utiliser leur tête principalement pour imaginer une excuse crédible pour sécher la prochaine réunion. Le virus du prétexte se répand plus vite que n’importe quelle grippe dangereuse. De fait, tous les parents réels et fictifs doivent mourir plusieurs fois dans leur vie pour que leur enterrement puisse servir d’excuse. Je n’ai pas de famille que je puisse expédier vers une mort fictive. Ma constitution physique est, par nature, incompatible avec la grippe, donc je n’ai aucun prétexte.
La bicyclette est sans nul doute la plus grandiose invention de l’histoire de notre civilisation. La bicyclette, c’est la fleur du cirque, l’héroïne de la politique écologique. Dans un avenir assez proche, toutes les grandes villes du monde seront conquises par les bicyclettes. Et pas seulement cela : chaque foyer possédera son propre générateur branché à une bicyclette. On produira du courant tout en s’entraînant. On pourra aussi monter sur son vélo pour aller voir spontanément ses amis au lieu de les appeler depuis son portable ou de leur envoyer un courriel. Il suffira d’utiliser la bicyclette de manière multifonctionnelle pour que la plupart des appareils électroniques deviennent superflus.
L’énergie hautement inflammable de la colère est propice à la production d’un texte. Elle permet d’économiser la force qu’il faudrait pour aller chercher cette énergie ailleurs. Le combustible qu’est la rage ne se trouve pas dans les forêts. Aussi suis-je reconnaissante à quiconque me met en rage. J’avais dû écrire avec trop de pression dans mes doigts. Le bout de mon porte-plume ne la supporta pas et se tordit. Le sang du Mont-Blanc, couleur bleu-des-cimes, jaillit et colora mon ventre blanc. J’avais commis l’erreur de me dévêtir complètement à cause de la chaleur. Une autrice ne devrait jamais travailler nue. Je me lavai, mais ne pus faire disparaître la tache d’encre.
C’était une curieuse sensation que d’écrire son autobiographie. Jusque-là, je m’étais servi du langage avant tout pour transporter mon opinion vers l’extérieur. Désormais, le langage restait auprès de moi et touchait des endroits endormis en moi. J’avais l’impression de m’adonner à des actes interdits. J’avais honte, je ne voulais pas que l’histoire de ma vie soit lue par quiconque. Mais quand je vis toutes ces lettres proliférer sur le papier, je ressentis le besoin de les montrer à quelqu’un. Besoin peut-être comparable à la fierté d’un petit enfant qui exhibe son caca.
Écrire ne se distinguait pas beaucoup d’hiberner. Peut-être donnais-je aux observateurs extérieurs l’impression de dormir, mais dans la tanière de mon cerveau, c’était ma propre enfance que je mettais au monde et que j’élevais en secret.