A la fin du XIXè siècle, vit un jeune poète, Masaki. Il est rêveur, mélancolique, et même neurasthénique. Pour se soigner, il entreprend un voyage dans les monts du sud de Kyôto habités de quelques moines bouddhistes.
Son voyage commence par un échange de regards, silencieux, avec une belle femme croisée à la gare, qui le laisse sidéré. Il aimerait la revoir, mais un étrange vieil homme l'aborde dans le train et va le coller un temps. Etrange homme, car il semble avoir comme domestiqué un beau papillon aux ailes marquées chacune d'un point rouge. Descendu du train, son périple dans les monts est vite interrompu par un accident, lorsqu'il est mordu par un serpent venimeux. Il est alors recueilli un temps dans un ermitage où vit isolé le vieux moine En'yû.
La suite est une succession incessante de rêves et délires qui habitent Masaki blessé, comme des hallucinations répétées liées à la souffrance…Il y voit toujours le fameux papillon et ses points rouges, et surtout une belle jeune femme dans une scène qui se répète, la femme se dénude au bord de l'eau pour se laver aux rayons de lune, le rêve s'évanouissant lorsqu'elle va se retourner à son appel. Cette femme rêvée (ou réelle ?) devient son obsession amoureuse…En'yû l'autorise à rester quelques jours de plus le temps que sa blessure guérisse, tout en lui interdisant de s'approcher d'une cabane proche où vivrait recluse une vieille femme lépreuse. Masaki tient promesse, semble aller mieux et tenir un instant pour simple rêve ce qu'il a vécu, et redescend vers un village proche. Pourtant, sa blessure se ranime. Il est soigné dans une auberge. Alité et souffrant, la patronne va lui raconter l'histoire de la jeune et belle Takako…dont il réalise qu'elle est sa bienaimée rêvée. Comme appelé en songe, il file rejoindre l'ermitage d'En'yû, toujours guidé par le papillon, et la lune, attiré par la cabane et la femme, fatale, qui s'y cache…
Je qualifierais ce livre de conte pour adulte. Son grand atout est une qualité de style absolument superbe. Il comporte de nombreux passages d'une très grande beauté d'écriture, restitués à merveille par la talentueuse traductrice Corinne Atlan. C'est une belle histoire d'amour et de rêve, à l'esprit très japonais par l'importance de la nature, dont les composantes, la montagne, l'eau, la lune, les mystérieux papillon et serpent, constitue un véritable ensemble personnifié.
Je n'ai en revanche pas la prétention d'avoir parfaitement tout compris, le doute est maintenu en permanence sur l'état de conscience de Masaki, qui évolue entre rêve et réalité.
Un étrange et beau livre cependant, pour se délecter des très belles pages d'une funeste histoire d'amour qui prend des allures de mythe.
Commenter  J’apprécie         410
Fin du XIXème siècle... Masaki Ihara, jeune homme de 25 ans, étudiant et poète neurasthénique, a pour habitude d'effectuer des voyages sans but précis pour retrouver son équilibre. Mais ce voyage-ci va être différent des autres. Des rencontres mystérieuses, l'apparition d'un superbe papillon que Masaki va suivre au point de se perdre dans la montagne et dans la nuit,.. C'est là qu'un étrange serpent le mord.. tout s'effondre en un instant... On perd toute notion de rêve, de réalité, d'espace et de temps...
Un roman très bien écrit, avec des grands moments de poésie, mais aussi de réflexion. le vocabulaire, surtout dans les descriptions, paraît banal au premier abord, mais en fait, il est choisi avec une précision extrême, et laisse deviner une fin inéluctable.
Où se trouve la frontière entre le rêve et la réalité ? Vaut-il mieux rester sur les chemins ordinaires et continuer sa vie banale tout en étant malheureux ? Ou bien.. vaut-il mieux se lancer dans la poursuite de son rêve et ne vivre qu'un court instant de bonheur ? C'est la conclusion que j'aurai tendance à tirer de ce livre.
Commenter  J’apprécie         50
Oeuvre qui m'a absolument emportée, je l'ai dévorée.
Un nombre affolant de métaphores et comparaisons, très.. surprenantes, et inattendues mais surtout superbes, l'auteur nous dessine un tableau grandiose plein de couleurs, de douceur, qui transportent et transpercent.
L'auteur utilise des personnages qui ont réellement existés mais aussi beaucoup de symboles qui reviennent régulièrement pour donner une certaine atmosphère, à savoir :
Le coucou : très utilisé dans la poésie japonaise depuis des siècles. Lié à l'amour, la nostalgie, la mélancolie mais surtout la tristesse de ne pas voir la personne aimée, au désir des esprits des morts de retourner auprès de leurs proches, il fait le lien entre le monde des mort et des vivants.
Le papillon : est l'incarnation de l'âme des défunts, il représente aussi l'éclosion de la féminité chez les jeunes filles.
Le serpent : chose amusante, au Japon il représente surtout une protection contre les maladies.. peut-être autre chose ? Je ne suis pas assez informé sur le sujet.
Et j'en passe, la lune, la nature, la montagne etc..
Je le conseille vivement !
Commenter  J’apprécie         10
Un jeune homme qui ne sait ce qu'il cherche et une jeune femme à l'ombrelle : un incipit entre rêve et réalité. C'est un peu le fil directeur de ce récit où le poète Masaki va se perdre.
Guidé par un papillon à travers les lieux et une montagne mystérieuse, le héros oscille entre les mondes : le coeur et le corps, les vivants et les morts. C'est un trajet vers une fin annoncée qui constitue l'ensemble du roman : une quête perdue d'avance qui met en branle les mécanismes tragiques qui conduisent à la mort au travers de la souffrance et de la jouissance.
Un récit classique mais enivrant comme un dernier rayon d'automne...
Commenter  J’apprécie         30
Masaki s'était arrêté et avait levé la tête pour contempler le ciel entre les branches. La lune restait invisible. Pourtant son éclat vif se réfléchissait à l'instant même de manière aveuglante dans les yeux de Masaki. Comme si elle voulait couler dans ses prunelles pour les teindre de son éclat d'or vif. Cet éclat si riche qu'il semblait avoir aspiré toute la lumière que portait la terre pour la concentrer en elle. Cet éclat glacé et lointain, cet éclat cruel qui continuait à inviter les hommes en secret, alors même qu'ils savaient que nul ne pouvait l'atteindre. Cet éclat qui mourait sans cesse pour renaître à nouveau. Qui dissimulait d'innombrables mystères...Ce miroir d'illusion était devenu la femme vue en rêve que Masaki voulait tellement posséder. Au fond de cette montagne déserte, il voyait les prunelles langoureuses de la femme solitaire et hantée par la mort lancer des éclairs. Elle battait lentement des paupières, comme un papillon bat des ailes, et attendait avec impatience l'arrivée du jeune homme.
Masaki distinguait nettement sa silhouette, il la voyait se dessiner clairement dans les ténèbres au loin, avec la clarté vive du rêve.
Aucun doute n'était permis. Ce qu'il voyait maintenant étinceler sous la lune, c'était le corps nu de la femme qu'il avait contemplé en rêve, nuit après nuit.
Le torrent impétueux d'une joie folle, qui ressemblait à de la douleur, courut à travers lui, toutes digues brisées. Masaki se pinça fortement la poitrine de la main droite, comme si l'émotion qui le traversait était insupportable s'il ne la partageait pas avec une autre souffrance. Les battements de son coeur s'accélérèrent. La mâchoire tendue en avant, il respirait en haletant. La ligne du cou blanc de la femme, que sa position faisait ressortir, semblait flotter sous la lumière splendide de la lune comme une statue d'albâtre.
La femme, tournant le dos à Masaki, posa lentement les mains sur sa chevelure. Ses doigts délicats, en façonnant sa coiffure, semblaient pincer les cordes d'une harpe. Des mèches glissaient entre ses doigts, et chaque fois qu'elle les rattrapait, ses coudes tremblaient comme des ailes.
Ses souvenirs se précipitèrent, tandis qu'il regardait la femme les imiter avec grâce. Chacun de ses gestes était exactement semblables à ceux du rêve.
Masaki était persuadé que les mots même devenaient impuissants dès l'instant que l'on était véritablement touché par la beauté la plus profonde de la nature. Il pensait que dans des moments pareils, aucun poème ne pouvait naître. Non pas que l'extase prit le pas sur la pensée, absorbant le langage, ce valet pointilleux de la raison. Dans l'idée de Masaki, à l'instant où il atteignait ce point, l'homme, sujet connaissant, se trouvait en accord si parfait et si intense avec la nature, objet de la connaissance, que cela rendait du même coup toute cognition caduque. La différence entre le sujet parlant et l'objet dont il devait parler disparaissait, dans une communion totale.
Si j'en fais un secret, votre désir d'aller jeter un coup d'œil dans cette cabane n'en sera qu'augmenté, ce qui est parfaitement normal. Aussi vaut-il mieux vous le dire franchement.
On parle de rêve, de réalité, comme de deux choses totalement différentes. Pourtant, il me semble qu'il s'agit d'une seule et même illusion.