Livre VII ,
Cette année et la suivante, sous le consulat de C. Sulpicius Péticus et de C. Licinius Stolo, la peste continua. Il ne se fit rien de remarquable; seulement, pour demander la paix aux dieux, on célébra, pour la troisième fois depuis la fondation de Rome, un lectisterne. Et comme ni les remèdes humains ni la bonté des dieux ne pouvaient calmer la violence du mal, la superstition s'empara des esprits, et c'est alors, à ce qu'on rapporte, qu'entre autres moyens d'apaiser le courroux céleste, on imagina les jeux scéniques, ce qui fut une nouveauté pour ce peuple guerrier qui n'avait eu jusque-là que les jeux du cirque. Au reste, cette innovation, comme presque toutes les autres, fut dans le principe une chose de fort peu d'appareil, et qui on avait même empruntée à l'étranger. Des bateleurs venus d'Étrurie, dansant au son de la flûte, exécutaient, à la mode toscane, des mouvements qui n'étaient pas sans grâce; mais ils n'avaient ni chant, ni paroles, ni gestes. Bientôt nos jeunes gens s'avisèrent de les imiter, tout en se renvoyant en vers grossiers de joyeuses railleries, accompagnées de gestes qui s'accordaient assez à la voix. La chose une fois accueillie se répéta souvent et prit faveur. Comme en langue toscane un bateleur s'appelait hister, on donna le nom d'histrions aux acteurs indigènes, qui déjà ne se lançaient plus comme d'abord ce vers semblable au fescennin, rude et sans art, qu'ils improvisaient tour à tour, mais qui représentaient des satires mélodieuses, avec un chant réglé sur les modulations de la flûte, et que le geste suivait en mesure. Quelques années après, Livius qui, le premier, renonçant à la satire, avait osé s'élever jusqu'à des compositions dramatiques, et qui était, comme tous les auteurs de cette époque, acteur dans ses propres ouvrages, Livius, souvent redemandé, ayant fatigué sa voix, obtint, dit-on, la permission de placer devant le joueur de flûte un jeune esclave qui chanterait pour lui, et il joua avec plus de vigueur et d'expression, n'étant plus gêné par le souci de ménager sa voix. Dès lors l'histrion eut sous la main un chanteur, et dut réserver sa voix pour la déclamation. Depuis que cette loi prévalut dans les représentations, la libre et folâtre gaieté des jeux disparut, et par degrés le divertissement devint un art. Alors la jeunesse, abandonnant le drame aux histrions, reprit l'usage des anciennes bouffonneries, entremêlées de vers, et qui, plus tard, sous le nom d'exodes, empruntèrent leurs sujets aux fables Atellanes. Ce genre d'amusement qu'elle avait reçu des Osques, la jeunesse se l'appropria, et ne souffrit point qu'il fût profané par les histrions. Aussi demeure-t-il établi que les acteurs d'Atellanes ne sont exclus ni de la tribu ni du service militaire, n'étant pas considérés comme de véritables comédiens. Parmi les humbles commencements des autres institutions, j'ai cru pouvoir aussi placer la première origine de ces jeux, afin de montrer combien fut sage en son principe ce divertissement aujourd'hui si follement coûteux, et auquel suffit à peine la richesse des plus opulents royaumes.