Par cet ouvrage,
François Jost tente d'explorer et de comprendre ce qu'il appelle
le culte du banal. de Duchamp à la télé-réalité. L'art sut intégrer le banal et le promouvoir. L'histoire de la télévision montre également un glissement, dans les années 1980-90, d'une télévision sans point de vue à une réalité habitée et réduite au témoignage. Dès lors, ce glissement explique l'arrivée de la télé-poubelle, la télé-réalité. Mais l'auteur va plus loin et propose une thèse intéressante : l'avènement de la télé-poubelle, plutôt qu'un fait marquant l'entrée du XXIè siècle dans une ère nouvelle, ne serait-il pas le prolongement d'une intégration et même d'un culte du banal démarré dès le début du Xxè siècle avec un artiste comme
Marcel Duchamp ?
La Fountain de
Marcel Duchamp, en 1917, est un événement marquant de l'histoire du Xxè siècle. En 1917, Duchamp achète un urinoir et le propose comme oeuvre d'art à l'exposition des Artistes Indépendants qui le refuse. L'objet disparaît du coup de la circulation et n'existe plus aujourd'hui que par ses copies. Or, en 1993, l'artiste Pinoncelli entreprend un geste artistique de prolongement de l'oeuvre en urinant sur une copie dans un musée. En 2006, il s'attaque à une copie de l'oeuvre au marteau. Il est bien sûr à chaque fois condamné. Or là où les actes de Pinoncelli constituaient un prolongement de l'acte de Duchamp, restituant à l'objet sa véritable qualification et lui faisant apparaître sa fonction utilitaire (uriner), le geste de Duchamp consistait précisément d'une part à écarter cette fonction utilitaire en introduisant l'objet dans un musée, à lui conférer le caractère d'oeuvre d'art par un processus associant l'objet au titre, enfin à ne pas fabriquer l'oeuvre mais à utiliser un objet qui n'a en soi rien d'unique.
Cette mise en exergue du banal n'est en réalité pas le fait exclusif du Xxè siècle. Dès avant, l'on trouve des exemples de situations ou d'objets distinguant la curiosité du banal en mettant en avant la banalité. Mais le geste du Duchamp a la particularité de modifier le rapport entre l'oeuvre et le musée, de déplacer la frontière entre l'original (l'ancêtre du musée est le cabinet de curiosités qui excipe ce que la nature produit d'extraordinaire) du banal (qui se rencontre au quotidien et n'est donc pas digne d'intérêt).
Dès lors, l'auteur est gêné dans sa progression par la thèse de
la transfiguration du banal d'
Arthur Danto. L'oeuvre d'art, selon Danto, est en soi représentationnelle mais ce qui distingue l'objet ordinaire de la réplique artistique, c'est le fait que l'oeuve est porteuse d'un aboutness, un « à propos de quelque chose » qui transfigure l'objet banal en lui donnant une signification autre que celle d'origine. C'est un peu gênant car on ne pourrait traiter de la même manière l'objet banal exposé dans un musée et la peinture représentant un sujet banal. Or la particularité du Fontain de Duchamp, ce n'est pas le fait qu'il représente le banal mais plutôt qu'il ne le représente guère. Au contraire, il le présente tel quel, l'exhibe. C'est pourquoi l'exposition des indépendants refusa le Fountain de Duchamp (faute d'avoir une oringinalité) mais accepta une toile de Béatrice Wood présentant une femme portant un savon, l'oeuvre pouvant être resituée dans une tradition picturale. Au contraire, le geste de Duchamp présente les contours d'une révolution. C'est cette conception, ce culte du banal, qui s'est ensuite instauré auprès d'autres artistes.
Cette instauration du banal a également profité des évolutions techniques de reproduction. L'irruption de la photographie, du cinématographe avec l'apparition d'une vraie narration, la télévision ont facilité l'émergence du banal.
Baudelaire s'opposait en son temps l'émergence de la photographie dans l'environnement artistique et opposait l'art par la peinture à la reproduction du banal par la photographie.
Aragon pensait la relation entre le cinéma et la peinture, entre la représentation de la réalité quotidienne et le montage, dans un cadre de magnification d'un art par un autre, invitant à avoir un regard de poète ou de peintre sur les objets quotidiens.
Andy Warhol va beaucoup plus loin et désacralise l'art en l'entraînant dans le sillage des médias, s'exclamant au passage que les médias sont de l'art. le Sleep de Warhol en est un bon exemple.
La représentation du sommeil est peut-être porteuse d'une nouvelle attitude esthétique. le sleep de Warhol posait ainsi une question qu'en 1967, l'homme qui dort de George Perec renouvelle. L'auteur analyse ensuite le cas du Nouveau Roman afin d'expliquer comment, dans les années 1970, il s'agissait d'inventer le quotidien et de refuser d'être original.
Les deux derniers chapitres de cet ouvrage en viennent au monde actuel des médias. D'abord, si l'auteur a expliqué comment le banal s'est imposé dans les représentations artistiques et littéraires puis dans la télévision, peut-on dire que Loft Story est une suite logique de l'esthétique Warholienne ? En partie.
Ensuite, l'auteur montre comment les médias ont conduit à une banalisation du banal au travers de l'histoire du média audiovisuel : les débats télévisés des années 980, l'émission c'est mon choix, le parcours de
Jacques Pradel, la télé-réalité.
Cet ouvrage a le grand mérite de la clarté et de proposer une analyse claire qui explique pourquoi le banal a pu émerger, se développer et aujourd'hui prospérer. L'ouvrage propose une approche claire