ATOME OR NOR AT HOME ?
Il ne surprendra évidemment personne - du moins chez les gens suivant de près les débats relatifs à l'écologie en France - de voir
Hervé Kempf affirmer que «
Le nucléaire n'est pas bon pour le climat». En effet,
Hervé Kempf, dont les talents de journaliste et d'essayiste ne sont plus à démontrer avec des titres volontiers polémiques tels que «
La guerre secrète des OGM» (2003), «
Comment les riches détruisent la planète» (notons que ce titre date "déjà" de 2007 tandis que ce n'est, pour aller vite, qu'aujourd'hui que le fait est non seulement démontré mais aussi acquis que les 1% les plus riches de la planète sont aussi ceux qui, et de très loin sur les 99% "restants", la détruisent le plus), ou encore le très emporté «
Que crève le capitalisme» (2020),
Hervé Kempf, donc, est tombé dans la marmite écologiste assez tôt, et plus précisément avec le drame de Tchernobyl (rappelons que l'explosion du tristement célèbre réacteur 4 de la centrale alors soviétique date de 1986).
Aussi, il ne faut surtout pas s'étonner de ce que le cofondateur et actuel rédacteur en chef du webzine écolo "Reporterre" ne soit guère enthousiasmé à l'idée d'un retour en force du nucléaire civil sur notre sol français. Par ailleurs, sans aller jusqu'à le soupçonner de collapsologie primaire,
Hervé Kempf est indubitablement de ceux qui pense que le Capitalisme doit passer le relai à d'autres formes de relations économiques et sociales, que le productivisme est en train de jeter ses derniers feux, que la terre dans son entier doit être le centre de nos préoccupations - et pas nos petites, indigestes et indigentes, mortifères et polluantes fuites en avant consuméristes, industrielles, égoïstes et mortellement polluantes.
Bien évidemment, quiconque ne partageant pas ou très peu cette vision du monde (à venir ?) risque de se retrouver, très vite, en opposition à la philosophie et aux démonstrations d'
Hervé Kempf.
Ceci étant, résumons les propos qu'
Hervé Kempf nous présente dans ce "libelle" (c'est le nom de la collection aux éditions Seuil et ce n'est pas innocent).
En premier lieu, il rappelle une évidence qui, à l'exception de quelques rares négationniste du réel, fait aujourd'hui consensus : que l'urgence climatique est le combat écologique numéro 1 (non que les autres ne soient pas de première importance, mais qu'avec des températures, un climat général devenant totalement fous, c'est l'idée même de vie sur terre qui est remise en jeu). Que les (sur)activités humaines de ces deux derniers siècles en sont une des causes prépondérantes. Qu'au coeur de ces activités, ce sont nos rejets de gaz à effet de serre, au premier rang desquels le CO2, que l'on peut accuser de provoquer ce bouleversement climatique à la fois général et parfaitement inédit à une échelle de temps aussi réduite.
Il faut donc IMPÉRATIVEMENT diminuer drastiquement ces rejets.
Hervé Kempf rappelle quelles sont les trois pistes majeures, en matière de production d'énergie (l'utilisation de la triplice pétrole-gaz-charbon étant la source prédominante en ce domaine) :
- Les énergies dites "renouvelables" (
Kempf pense, à ce propos, le solaire bien plus efficace que l'éolien, même s'il est loin de l'éliminer)
- Les économies d'énergies (via de meilleurs rendements, via l'habitat, via la technologie, etc)
- le nucléaire !
Car
Kempf ne le nie pas : si l'on prend le seul décompte de la production nucléaire elle-même, le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'elle est très peu dispensatrice de gaz à effet de serre. C'est d'ailleurs à ce titre que notre actuel président, devenu nucléophile avec le temps, a imposé, via un "lobbying de dingue" que l'Europe mette le nucléaire au rang des "énergies durables (avec le gaz, ce qui est au moins aussi délirant)... On croit rêver !
Car le nucléaire n'est ni vert, ni durable et c'est ce qu'
Hervé Kempf explique dans les quelques cinquante pages de ce rapide opuscule, véritable vade mecum de la pensée anti-nucléaire.
Il rappelle ainsi que si sa production est assurément peu polluante, il n'en est rien, évidemment, de la construction des centrales - gageons que c'est, hélas, le problème de toutes nos productions - mais que c'est encore bien plus problématique en terme de "retraitement" des déchets, dont nous ne savons, en réalité, que faire, si ce n'est que de les envoyer très loin - en Russie, par exemple !!! -, que c'est encore plus problématique en terme de démantèlement et que la question va se poser cruellement les prochaines années, l'immense majorité de nos actuelle centrales n'en ayant plus que pour une décennies, deux tout au plus, d'exploitation.
Le nucléaire, ce sont aussi des problématiques de sécurité (dans absolument tous ses aspects), de coûts économiques, sociaux énormes et à n'en plus finir, lesquels tendent à devenir sérieusement problématiques dans un monde instable, un monde où la guerre peut - on le voit bien depuis six mois - ressurgir n'importe où, y compris à quelques encablures de notre "douce France", un monde où des faillites d'État (et les conséquences internes innombrables) ne sont jamais de l'ordre de l'improbable, et même, sans aller jusque-là, un monde où la "voilure" de l'État est plus à la réduction et au désengagement qu'à la générosité sans fin, etc.
(Pour mémoire, et même si
Hervé Kempf ne la mentionne pas, il faut savoir que la minuscule centrale de Brennilis, sise au coeur de la Bretagne finistérienne, attend depuis 36 ans son hypothétique démantèlement, tandis que, si elle a bien été bombardée de radioactivité, elle n'a pour ainsi dire jamais produit le moindre mégawatt !!! Cela laisse songeur quant à notre capacité technique et technologique à nous débarrasser sans mal de monstres comme celles qui ont été mise en service depuis...)
Il y a, aussi, le risque non négligeable d'accident... Vous savez, celui qui ne devait pourtant JAMAIS advenir, comme c'était le cas à Fukushima. Il y a aussi cette manière vraiment propre au nucléaire et à ses défenseurs de systématiquement minimiser les dégâts, les coûts humains, environnementaux et économiques de ces deux exemples, quand bien même de nombreuses preuves du contraire auraient été avancées ou que, pour le cas notoire et désastreux de Tchernobyl, cette catastrophe n'a jamais pu être documentée à hauteur du désastre (même si de nombreux études converge vers un passif infiniment plus dramatique que celui annoncé par les nucléocrates) car, faut-il le rappeler, celle-ci eu lieu dans les moments même de la fin de l'Empire soviétique et du véritable chaos social qui en découla.
Il y a enfin que l'énergie nucléaire civile, de part son lien direct avec le nucléaire militaire, ne peut, ne pourra jamais être une énergie comme les autres, en terme de recherche, en terme de géopolitique, en terme de stratégie, en terme de démocratie (alors même que les énergies carbonées ne sont pas des phares en la matière). C'est donc tout autant dans des termes strictement politique que seulement environnementaux et techniques qu'il faut aborder le nucléaire. Faire l'économie de cette réflexion, c'est se promettre des lendemains capable de déchanter pitoyablement.
Le Nucléaire, c'est aussi, assurément, l'énergie la plus en phase avec le capitalisme financiarisé, vertical, autoritaire. C'est, à lui seul, l'idée que l'on peut se faire d'un certain projet de société, lequel demeure forcément du côté de la surexploitation des ressources, de la croissance quasi sans fin, d'un monde où surproduction et consumérisme effréné prime tout, etc. C'est, bien entendu, un point de vue que l'on peut tenir. Ce n'est, vous l'aurez compris, pas celui d'
Hervé Kempf... ni le mien.
C'est donc un peu tout cela, et bien d'autres détails d'importance, qu'
Hervé Kempf rappelle dans ce Libelle. Ce n'est bien entendu pas l'ouvrage le plus complet sur le sujet (même s'il dispose tout de même d'un petit appareil de sources documentaires), mais il résume fort bien la position des opposant au retour du nucléaire dans notre "mixe énergétique", tel que semble le vouloir l'actuel président de la République.
Un petit opuscule très utile, à défaut de faire découvrir des faits véritablement nouveaux.