Un hiver à Paris est ma première incursion dans l'univers de
Jean-Philippe Blondel. Depuis longtemps, plusieurs amis d'ici m'y encourageaient, c'est chose faite et je ne le regrette pas.
Dès les premières pages, le ton donné au récit est celui d'
une autobiographie ou quelque chose qui y ressemble fortement. On est pris, happé par cette voix douce, un peu en retrait comme une confidence, un chuchotement parmi les bruits de l'existence. C'est une tranche de vie que le narrateur nous décrit comme un récit d'apprentissage.
Le narrateur, qui s'appelle Victor, partage son temps entre l'enseignement et l'écriture de romans. C'est une lettre d'un certain Patrick Lestaing qui l'amène à revenir en arrière sur les pages de sa jeunesse, lorsqu'il était encore étudiant en Lettres Modernes à Paris. C'est l'année 1984 qui resurgit brusquement des brumes du passé...
En ouvrant cette lettre, il avait déjà reconnu l'écriture tremblotante, celle du père de Mathieu. Brusquement, parmi les mots qui tremblent sur le papier, c'est une émotion souterraine et tellurique, le sol qui vient se dérober. C'est comme une trappe qui s'ouvre et le voilà plongé dans le souvenir douloureux trente ans auparavant lorsque, jeune étudiant provincial, il vient d'être admis en hypokhâgne dans ce lycée parisien prestigieux et austère. Au bout d'une année scolaire laborieuse, il parvient tant bien que mal à passer en khâgne.
Mathieu et cette amitié effleurée. Mathieu et leurs cigarettes partagées. Mathieu et ce rendez-vous manqué. Mathieu, cet élève d'hypokhâgne, réservé comme lui, qui ne trouvait pas sa place ici comme lui non plus... Mathieu et le drame ce matin-là qui l'amena à quitter le cours précipitamment, en criant « connard », et à enjamber la balustrade pour s'écraser aux pieds de l'escalier. Victor était à côté, dans une salle d'études et a attendu ce cri, le bruit de la chute, a dévalé les escaliers...
Les souvenirs ont la vie dure. Comment ne pas oublier un tel drame, ce cri longtemps qui résonne la nuit comme une déflagration... À qui était destiné ce mot de « connard » ? Au professeur qui harcelait et humiliait sans cesse Mathieu, à lui-même, à quelqu'un d'autre ? Un membre de sa famille peut-être ? Son père, sa mère... ? Qu'importe... Comment ne pas se dire alors : « je n'ai rien vu venir », « je n'ai pas fait attention », « si nous nous étions vus lui et moi la veille au soir, peut-être qu'il n'aurait pas commis ce geste ». Un jour, je me suis posé ces questions-là à propos d'un ami, où étaient les signaux faibles qui annonçait ce qui fut...? Souvent, ils sont invisibles... C'est peut-être pour cela aussi que ce récit m'a touché...
Durant les jours qui suivent et qui se vivent comme une chappe de plomb, Victor apprend à mieux connaître la personnalité de Mathieu au travers des mots du père de ce dernier
J'ai beaucoup aimé ce récit amer et nostalgique, il m'évoque une année que je n'ai pas aimée, 1984, la fin de ma vie estudiantine, scellée par la maladie et la mort de mon père. Je me souviens aussi de l'esprit de compétition et de la dureté des professeurs qui régnaient en classes préparatoires. Pas facile de trouver sa place parmi des étudiants d'un milieu social nettement plus aisé que toi, où chacun est un loup pour l'autre... Dans cette description implacable du narrateur sur l'univers des classes préparatoires, je me suis retrouvé, replongé pour ma part quarante ans en arrière... Et puis dans une jungle obscure aussi effroyable que celle-là, il y a toujours des rencontres improbables entre ceux qui se reconnaissent, des histoires qui se nouent ou qui s'effleurent, comme celle de Victor et de Mathieu.
Le temps a passé, et pourtant, après toutes ces années, c'est
un hiver à Paris qui résiste encore dans les souvenirs de Victor. Les fantômes de sa jeunesse reviennent et Victor se demande encore, après toutes ces années, quelle est cette force qui l'a empêché, à son tour, de basculer par-dessus la balustrade d'un escalier ? Peut-être une lucidité, un penchant pour le monde des vivants...
C'est un texte sensible et désabusé, le récit d'un adolescent qui dit sa difficulté à chercher, à trouver sa place. Il nous livre ses atermoiements, ses doutes et ses lâchetés, sa culpabilité, il est sans concession avec lui-même. Ce sont peut-être ces doutes et cette difficulté à s'assumer dans un monde hostile où il n'a pas su trouver ses repères, c'est peut-être cette période fondatrice qui l'a amené vers le monde de l'écriture, du roman, à trouver dans les personnages qu'il imaginait le sel de la vie.
Même trente ans plus tard, quand il découvre la lettre de Patrick Lestaing, sa première attitude est de se tenir en retrait comme il l'a toujours fait.
J'ai aimé la manière dont l'auteur nous raconte cette histoire, avec ses filtres, son émotion tenue à distance comme quelque chose qui lui fait peur, étrangère à lui-même, venant parfois plus tard à fleur de peau dans le frémissement des pages.
Et puis j'ai aimé aussi la bande-son qui traverse ce roman : U2, America,
Neil Young, The Police, Sweet Dreams... Pour le coup, j'ai une vraie nostalgie de ces années-là.
On the first part of the journey
I was looking at all the life
There were plants and birds and rocks and things
There was sand and hills and rings
The first thing I met was a fly with a buzz
And the sky with no clouds
The heat was hot, and the ground was dry
But the air was full of sound
I've been through the desert
On a horse with no name
It felt good to be out of the rain
In the desert, you can remember your name
'Cause there ain't no one for to give you no pain
La, la, la, la, la, la
La, la, la, la, la, la
La, la, la, la, la, la
La, la, la, la, la, la