Versus un roman noir, très noir.
Antoine Chainas, j'en avais entendu parlé à l'occasion d'un entretien donné par
Aurélien Masson pour le 70ème anniversaire de la collection Série Noire dont il est le directeur chez Gallimard, dans le cadre du festival Toulouse polar du sud, en 2015, au même titre que
DOA et d'autres auteurs de littératures policières.
Ainsi sur l'étal d'un bouquiniste,
Versus d'
Antoine Chainas me faisait des appels phares, et donc après avoir lu la quatrième de couverture, j'ai foncé à la rencontre de l'Inspecteur Nazutti, de son petit nom Paul.
Ah tiens ! Paul, popaul, le popol c'est peut-être pas un hasard si l'auteur a choisi ce prénom…
Car ma fois, nous suivons Nazutti pour les besoins de son enquête, dans un lieu où le popol fait figure de carte d'identité et là, vous me croirez ou pas, trois mémères tiennent les comptes, en les photographiant et les collectionnant ad vitam aeternam.
Dans ce lieu glauque, décadent et sordide, le client se présente nu comme au premier jour.
Sur les traces d'un tueur en série dont les victimes sont des pédophiles, et les pédophiles il les connaît, il les traque depuis quarante ans. Toujours en chasse, Nazutti est prêt à tout.
Bref après avoir lu l'incipit j'ai failli calé mais la curiosité m'a amené à continuer ; et j'ai bien fait car au final après avoir trouvé mon rythme de croisière (après accélération et quelques rétrogradations) j'ai été appâtée par cet homme, Paul Nazutti : ce major d'une Brigade des mineurs qui est contre tout, qui a la haine et ne s'en cache pas.
Comme certains de ses collègues, j'ai été fascinée et non répugnée par cet affreux personnage , ce type peu recommandable : un véritable bulldozer, un bouledogue, un rouleau compresseur :
« On le disait misogyne, homophobe, anti-jeunes, misanthrope, raciste… à croire que le bonhomme cristallisait à lui tout seul les peurs et les haines de ses camarades. Comment il avait arrêté autant de malfaiteurs ? Ca tenait du mystère. Certains lui prêtaient une pratique des réseaux et des techniques d'infiltration sans égale. D'autres le trouvaient proche… trop proche des gens qu'il pourchassait. »
Son terrain de prédilection, les bas-fonds et les rues d'une ville qu'il aime, surtout la nuit, une mégalopole de la côte d'Azur.
La nuit Nazutti se transforme en prédateur, le justicier de l'obscurité.
J'ai particulièrement apprécié dans ce roman les différents niveaux de langage ou registres de langue et de tons, en fonction des personnages, des ambiances et des situations.
Un protagoniste qui au sein de son travail et donc du commissariat se définit lui-même comme le témoin d'une espèce disparue :
« Il se faisait l'effet d'un rescapé du crétacé, Nazutti. Un putain de reptile trop gros, trop lourd, égaré dans une jungle inconnue dont il entravait plus les règles élémentaires de survie. »
Mais au de-là de ce personnage central, les personnages secondaires gravitant autour de lui sont aussi très intéressants, leur profil et psychologie sont très soignés et fouillés, servant ceux du major.
Un polar qui se déroule sur sept jours afin d'entrevoir le huitième, espérance d'une résurrection, de la naissance d'un homme nouveau apte à construire un monde meilleur.
Un roman en cinq parties aux titres évocateurs (Incision, Kontamination, Illumination, Fusion, épilogue) qui reflètent tout un programme de remise en forme que le major Nazutti concocte pour son coéquipier favori Andreotti, le jeune agent idéaliste, le seul qui semble-t-il pourrait sortir indemne de la descente dans ce gouffre vertigineux car vous le verrez beaucoup d'entre eux non pas tenus le coup.
Un roman noir urbain où le lecteur bascule dans la fange, la marge, et la cloche .
L'anatomie d'une société au corps malade dont les symptômes sont nombreux.
Un roman empli de haine mais qui dit haine dit sentiment et donc il y aura aussi de l'amour, une étincelle d'amour contre la violence et l'horreur. (le personnage de Rose en témoigne)
Un polar à découvrir pour ceux qui en ont, du courage et de la curiosité j'entends .
Une fleur noire sulfureuse qui nous emmène loin des sentiers battus..
Une surprise et une découverte: je me ferais sûrement un autre
Chainas.. peut-être
une histoire d'amour radioactive.
Pour ceux qui ont le coeur bien accroché et le goût du risque vous pouvez oser, pour les autres passer votre chemin.
Dans tous les cas, un avertissement, la piste est glissante, soyez prudents!
« Rouler, au pas.
Arpenter encore les allées sombres, les rues luisantes des déchets de la nuit.
Scruter les dernières épaves, les extrémistes ou les chanceux qui voulaient encore s'accrocher un peu à l'illusion.
Des mecs lessivés, cassés, au bout du rouleau, qui s'écroulaient dans le caniveau. »