Adam Olivier –
Les lisières – Flammarion J'ai lu, 2012 (ISBN 978-2-290-06848-9)
Ce roman m'a carrément mis en colère, tant il est mal écrit et négligé, geignard et nombriliste, vicieux et hypocrite, imbécile et idiot, ignoble et vil.
Commençons donc par le commencement, à savoir l'écriture : c'est un texte dépourvu de style, qui se traîne sans rythme, selon un déroulé chronologique simpliste, un texte perclus de longueurs ennuyeuses, un texte très peu si ce n'est pas du tout travaillé, surtout de la part d'un auteur qui n'en est pas du tout à son premier essai. Il a bien au contraire déjà derrière lui une longue et prolifique carrière littéraire : le lecteur est donc en droit de s'attendre à un texte de bien meilleure qualité, même s'il est clair que cet écrivain n'aura jamais le talent permettant d'atteindre les rivages modianesques. Dans le genre odieux et décadent, il n'a pas non plus les moyens stylistiques d'un
Houellebecq, soit, mais ce ne sont pas là des raisons justifiant un texte aussi bâclé.
Geignard et nombriliste : dans la droite lignée des étalages indécents devenus monnaie courante depuis Sigmund et la presse du coeur, l'auteur campe un narrateur uniquement préoccupé de son nombril, de ses lubies infantiles qu'il dénomme pompeusement "la Maladie" avec un grand M dramatique, s'employant constamment à geindre sur son pôvre sort. Pire encore, digne héritier du JJ Rousseau des Confessions et tout spécialement de l'odieux épisode du ruban volé, toutes ces jérémiades visent à rejeter ses propres bassesses sur les autres ou plus largement sur "la société" (minable lieu commun ressassé par une certaine intelligentsia). Tout aussi décadent et faiblard, le personnage archétypal à la
Houellebecq a au moins le mérite de ne pas chercher à rejeter ses veuleries sur d'autres.
Vicieux et hypocrite : en présentant de façon faussement apitoyée ses pôvres amis d'enfance restés dans leur milieu d'origine qu'il prend soin de salir le plus possible, le narrateur veille constamment et hypocritement à se mettre lui-même en valeur, sur le mode
"ah, ah, voyez comme j'étais génial dès ma jeunesse, car moi, j'en suis sorti, hein ! et d'abord, j'écoutais pas les mêmes musiques, je lisais pas les mêmes livres" et tout et tout.
Plus vicieux encore, ce cuistre prend soin d'insérer des personnages comme le frère, le mari trompé ou l'épouse qui lui sortent "ses quatre vérités" de façon à les détourner ensuite vers des réponses oiseuses dont chacun(-e) appréciera la mauvaise foi involontaire.
D'ailleurs, il réserve sa noble compassion aux victimes japonaises de l'explosion du réacteur de Fukushima, bien plus dignes évidemment de son attention que ses ex-amis pataugeant dans leur misère de banlieue. L'exhumation de l'héroïne d'un amour de jeunesse tourne carrément à la misogynie la plus sordide, la plus odieuse.
Imbécile et idiot, comme par exemple dans les longues tirades sensées revêtir un contenu politique, typiques d'une certaine gôôôche intellectuelle se saoulant de vaines paroles ; à plusieurs reprises, le narrateur nous inflige de ces généralités velléitaires sur le thème "la gauche face à la droite".
Le comble de l'imbécillité est atteint lorsqu'il met en cause "La Blonde" dite aussi "la fille du borgne" pour évoquer
Marine le Pen : caractériser ainsi un adversaire par une dépréciation fondée sur un critère physique est l'un des pires aveux de crétinisme et de faiblesse argumentative qui soit, surtout de la part d'un (pseudo) intellectuel.
Ignoble et vil : loin de se limiter à l'exhibition complaisante de ses propres geignardises, le narrateur s'emploie consciencieusement à salir sa propre famille, son père, sa mère, son frère, ses cousines et cousins ainsi que toute la parentèle qu'il peut atteindre, dans un lynchage ignoble aussi systématique que nauséabond. On rejoint là un phénomène devenu massif avec les "réseaux sociaux" ouverts aux adolescent(-e)s, qui ne se contentent plus d'étaler leur petite vie privée mais n'hésitent nullement à salir celle de leurs proches. Encore les ados ont-elles et ils l'excuse de la jeunesse, ce qui n'est plus le cas de ce narrateur...
Toujours est-il que notre pôvre narrateur découvre qu'il eut un frère jumeau décédé peu après sa naissance, que ses parents ne lui en ont jamais parlé (alors que son frère, lui, est au courant), ce qui n'est guère étonnant au vu des non-relations qu'il entretient avec ses parents, qu'il a toujours méprisé…
Personnellement, je tenais à lire ce roman suite aux critiques lues çà et là, dans lesquelles se dessinaient un thème fort intéressant : que sont devenus ces cohortes fort nombreuses de gens nés dans les années cinquante et soixante ayant pleinement bénéficié de "l'ascenseur social" qu'offrit alors (c'est bien loin, tout ça) le passage par une scolarité plus ou moins réussie (j'en fis partie, comme des millions d'autres). En effet, l'arrachement géographique, social et culturel est l'une des caractéristiques de nos générations dites "du baby-boom".
Hélas ! Trop préoccupé par sa seule petite personne, le narrateur de ce récit passe complètement à côté de ce thème.
Pire du pire : dans la mesure où ce texte semble largement autobiographique, il est fortement à craindre que toutes les caractéristiques énoncées ci-dessus ne s'appliquent pas seulement au narrateur du texte, mais aussi à son auteur... Il est loisible à tout un(-e) chacun(-e) de vérifier en allant lire d'autres livres de cet écrivain, mais pour ma part je me réserve un délai visant à laisser ma colère s'évaporer un peu...
Il y a tant d'autres écrivains à lire, femmes ou hommes, honnêtes et talentueux... En effet, sur une thématique similaire, le roman – magistral – de
Claudie Gallay intitulé «
Une part de ciel » est autrement plus convainquant !