Tchinghiz Aïtmatov est kirghize. Son grand-père était un berger nomade et son père - haut-fonctionnaire - a été exécuté en 1938 pendant les Grandes Purges staliniennes alors que lui-même n'a que dix ans. Pendant la guerre, il travaille dans les champs. Viendront des études d'agronomie, puis il se tourne vers des traductions littéraires et se met à l'écriture également.
Pourquoi est-ce que je vous dresse une biographie très exhaustive de cet écrivain ? Parce qu'en connaissant, ne serait-ce que ce très peu de sa vie, on comprend et on saisit davantage la teneur et l'implication des thèmes de ses écrits. Ce qui est tout particulièrement vrai pour ce recueil de nouvelles.
Chaque texte de ce livre parle de sentiments forts : de l'affection filiale comme partie intrinsèque de l'âme, de l'amour qui n'est pas partagé et qui brise celui qui en est exclu, du sentiment de perte, du manque quand celui qui devrait accompagner, celui qui devrait être a péri.
Ces nouvelles sont un reflet d'une existence dans cette république misérable, vécue par un peuple attaché à ses traditions et pour lesquelles les récits oniriques, les rêves, les chants, les mythes sont restés, malgré le poids des conditions de vie, une part intime de l'identité.
La description des paysages, des steppes à perte de vue crée une nature changeante et riche en nuances, parfois violente. La vie quotidienne au pas des bêtes, liée à leur sort dit le labeur, mais également le travail communautaire, la solidarité qui habite les actes. Une vie tout en écoute des éléments, tout en regard des saisons, en quête d'une harmonie à laquelle s'accrocher quoiqu'il advienne.
Deux des nouvelles m'ont paru particulièrement poignantes : deux textes qui disent avec une immense sensibilité le sentiment de l'absence.
L'absence du père pour le petit garçon - dans "Le fils du soldat" - qui prend soudain conscience en visionnant un documentaire cinématographique, que son père, mort à la guerre, n'est plus et que l'abîme qui se crée, après cette révélation ne peut être comblé et fait naître en lui des sentiments dont il n'avait jamais éprouvé la douleur et l'étouffement.
Tout comme la détresse de ce père - dans "Rendez-vous avec le fils" - qui souhaite, une dernière fois, marcher dans les pas de son fils que la guerre a emporté et le faire revivre parce qu'il a décidé qu'il en avait le droit et peut-être aussi le pouvoir.
Dans une communauté oubliée et niée par le Pouvoir pendant très longtemps, exploitée, vivant de peu, cette exaltation des valeurs humaines et cet attachement aux principes transmis par les aïeux nomades donnent à découvrir la steppe comme une terre de légendes et de superstition vibrant aux couleurs des feuillages qui varient au fil des mois, au mouvement perpétuel et indompté des nuages, à la lueur du scintillement évanescent des étoiles.
Une abnégation, tout en humanisme qui force le respect, tisse les phrases de ce très beau recueil.
"La journée était chaude et paisible. C'était cette période de l'automne où l'air va se refroidir d'un jour à l'autre, mais les journées, comme un signe d'adieu, sont d'une luminosité et d'une pureté exceptionnelle."