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André Bridoux (Préfacier, etc.)Georges Bénézé (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070100057
1533 pages
Gallimard (31/03/1958)
4.56/5   9 notes
Résumé :
Histoire de mes pensées ; Système des Beaux-Arts ; Vingt leçons sur les Beaux-Arts ; Entretiens chez le sculpteur ; La Visite au musicien ; Lettres au docteur Mondor ; Stendhal ; En lisant Dickens ; Avec Balzac ; Définitions ; Préliminaires à la mythologie ; Les Dieux
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Revenant sur cette expérience, qui fut, il me semble, sans aucune idée, je crois que j’y formai et fortifiai pourtant une idée d’importance, à savoir que l’émotion n’est en fait que du mouvement. Car c’est la même chose de mépriser la première peur, et de distinguer, à la façon de Descartes, son âme de son corps; et c’est par le mouvement du courage que l’on se prépare à comprendre dans la suite, si l’occasion s’en trouve, qu’il n’y a point de pensée dans l’émotion, qu’elle ne dit rien ni ne prouve rien. Et tel est selon mon opinion le véritable examen des preuves. Et, comme je le remarquerai plus d’une fois, ce n’est pas au fantôme qu’il faut demander des preuves, car dans ce cas nul ne peut parier qu’il ne verra jamais un fantôme irréfutable. Mais plutôt il faut savoir que toute pensée commence par un fantôme qui jamais n’est rien. Ils sont donc tous renvoyés d’abord et par provision dans le corps humain, où se trouve leur vrai lieu; ils n’en reviennent plus.
On verra dans la suite que je n’ai réfléchi sur aucune chose autant que sur la liberté du jugement. Dès cette époque la liberté vive et prompte dans l’action était comme mon geste favori. J’ai remarqué ce même geste en beaucoup d’autres. Et jamais la perspective d’une contrainte ou seulement d’une délibération n’a fait qu’éveiller cette riposte foudroyante qui, en changeant la situation, rend inutiles aussi et hors de lieu toutes les réflexions qu’on allait y faire. Ce trait de caractère, qui est une sorte de violence qui devance la colère, est encore aujourd’hui la seule chose qu’on puisse craindre de moi. A qui veut empêcher ma liberté, je la prouve témérairement. Ce genre de décision équivaut souvent à une extrême méchanceté, quoique dans le fond il n’y ressemble point du tout. Or, ayant depuis réfléchi à ces brusques changements de direction, et irrévocables, j’ai compris qu’ils m’avaient surtout été utiles dans la conduite de mes pensées. L’art de ne plus penser à ce que je veux déposer résulte de ces brusques changements de corps; l’effet en est étonnant, quoiqu’on ne veuille point y croire. Et dès que je suis buté à ne plus penser à une certaine chose, je ressemble à un tyran qui a donné l’ordre d’écarter à jamais un importun. Cet esprit de simplification est excellent dans les pensées. C’est ainsi que j’ai toujours pris parti, me jetant souvent dans la première décision qui s’offrait, et n’y revenant plus. L’écriture traduisait cette décision dans le geste, et j’étais délivré d’irrésolution. Encore maintenant dans l’action d’écrire je choisis souvent ce qui, à délibérer, serait incertain. Et tant pis pour moi.; il faut que je m’arrange de ce choix, car j’ai horreur de revenir. D’où l’absence de ratures. Et ce que je remarque, c’est qu’il n’y a point de différence entre décider et faire. Bien plus tard, et comme je proposais à des garçons déjà instruits d’écrire des définitions en bon style et sans rature, je leur disais : « Surtout ne réfléchissez pas; écrivez, engagez-vous. » Cette méthode rompt tout esclavage. L’inconvénient c’est qu’on manque souvent. Mais ma règle constante fut toujours de tout recommencer, plutôt que de corriger. Or cette sorte de méthode assez brutale avait, de première vue, quelque chose d’inhumain dès que je l’appliquais aux problèmes pratiques. Il est dur de ne jamais revenir. Mais je fus trop souvent en difficulté avec moi-même pour n’apprendre pas à abolir le rétrospectif. C’est se délivrer des repentirs, comme parle Descartes. Aussi ai-je bien reconnu en lui le maître qui me convenait; non pas que je l’aime tant; mais il ne s’agissait pas ici d’aimer ou de n’aimer pas. Il fallait promptement s’enfuir de ses premières pensées, et prendre parti. J’ai su depuis qu’en prenant parti on retrouve tout ce qu’on avait laissé. Ici se montre, autant que je sais, la philosophie véritable. Et à cet âge que j’avais quand je cessai de croire, je ne me souciais ni de philosophie ni d’aucun savoir. J’apprenais latin, grec et français par contrainte quoique sans ennui. Mon attention était toute aux plaisirs des vacances, comme participer aux travaux des hommes, faire ma part de moisson, aider à dresser des chevaux, être rabatteur et porte-carnier, pêcher le gardon ou l’écrevisse.
(Histoire de mes pensées)
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Le destin est la fiction d'un être qui sait l'avenir et qui pourrait l'annoncer ; c'est une manière de dire que nous ne pouvions pas changer l'avenir. Cette fiction est théologique, elle résulte de la perfection divine, qui ne peut rien ignorer.
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Ceux qui me connaissent savent que je mets les livres en pièces; de la même manière je mets les auteurs en pièces, exception faite pour Platon, qui s’est mis lui-même en pièces. Et toutefois après les avoir longtemps défaits et retournés, j’ai le bonheur souvent de les retrouver tels qu’ils furent. Et c’est une aventure qui m’arriva bien des fois dans mon métier, d’expliquer quelque page difficile, en m’éloignant, croyais-je, beaucoup de l’auteur, en sorte que j’avais l’air d’inventer, mais souvent la page suivante disait comme moi.
On forme, d’après cela, l’idée d’un travail harassant; cela fut vrai dans la suite, par la toute-puissance du métier. Mais au temps de mes études je ne me cassais point la tête; je construisais et je détruisais, et tout compte fait j’accordais beaucoup à la paresse. Je ne le regrette pas. Encore maintenant me faire inattentif et me reposer, c’est tout mon art. J’ajourne de penser. Cela permet des prises hardies. On peut dire que ce n’est rien, quoique personne ne l’ait dit. Mais pour mon compte j’admire mes pensées de paresseux, elles dépassent de bien loin ce que j’ai rêvé dans les temps de l’ambition.
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Celui qui ne se dit pas finalement « que dois-je penser » ne peut être dit penser. La conscience est toujours implicitement morale, l’immoralité consiste toujours à ne point vouloir penser que l’on pense
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J’ai su depuis qu’en prenant parti on retrouve tout ce qu’on avait laissé. Ici se montre, autant que je sais, la philosophie véritable.
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Vidéo de  Alain
"Alain et le bonheur" par André Maurois. Première diffusion le 13/09/1954 sur la Chaîne Nationale. La mauvaise humeur est une maladie, il ne faut jamais parler de ses malheurs, de ses malaises moraux, il ne faut jamais se plaindre…et, certes, il y a un héroïsme à bâtir son bonheur ! André Maurois parlait en 1954 de celui qui avait été son professeur de khâgne au lycée Henri IV, à Paris : le philosophe Alain.
Source : France Culture
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