Correspondance de l'auteur à un ami, Philippe, rencontré peu avant les événements qui ont commencé à déchirer la Syrie en 2011, ces lettres content par le menu la cascade de faits qui ont amené
Bachar Alkazaz à vouloir dès la fin 2012 fuir son pays afin de sauver sa famille, son épouse et leurs cinq enfants.
« 20 juillet 2012 Damas
Hier, j'ai fait la queue pendant 2 heures pour chercher du pain.
Le soir, je suis allé chez mes parents habitant à 5 minutes de chez moi, les rues quasi désertes et d'un calme méchant diffusaient une mauvaise odeur de peur. Les poubelles débordent. Elles n'ont pas été ramassées depuis au moins cinq jours. Les mouches, les guêpes et les gros chats y partagent leurs repas sous une chaleur intense qui dure depuis une longue semaine. »
Il prend très vite la mesure du danger à demeurer en Syrie, « car la mort commençait à se cacher à tous les coins de rue, et surtout écoeuré et révolté par ces deux jours où j'avais été arrêté pour avoir osé un jour répondre, avec beaucoup de civilité à une insulte d'un chien d'al-Assad. Alors, j'ai pris la décision de partir, de quitter la Belle Syrie, je ne supportais plus de la voir gémir entre la main d'un ogre. » p 74
Grâce à l'aide matérielle reçue de certains amis, l'auteur va pouvoir installer les siens pendant quelques mois à Amman, en Jordanie voisine, pour préparer minutieusement sa fuite vers la liberté, en passant par Istanboul, la Grèce afin d'atteindre l'Eldorado suédois, terre d'accueil pour lui et les siens.
Parfaitement bilingue, amoureux de la littérature française, de
Flaubert et
Maupassant, l'auteur s'exprime dans une langue littéraire souple, aisée et imagée en un récit de plus en plus haletant et poignant, où il nous fait partager ses interrogations, ses émotions ; on y sent sa farouche volonté de s'en sortir à tout prix.
Ayant eu la chance d'échapper aux griffes des passeurs qui transforment la Méditerranée en cimetière, il nous détaille son périple angoissant pour gagner la Suède, s'y installer, s'y intégrer, ses efforts quasi surhumains pour apprendre rapidement la langue et pouvoir obtenir les diplômes lui permettant d'exercer son métier d'enseignant et faire vivre dignement les siens, dont deux enfants en bas âge et une épouse violemment déstabilisée par ce changement si radical d'existence.
Ces lettres de plus en plus chaleureuses envers son ami Philippe, retracent ce parcours du combattant mené tambour battant par un homme au courage indomptable, qui force la sympathie du lecteur !
C'est un récit poignant, sans concession, qu'il nous livre jusqu'en 2018, de ses efforts colossaux pour parvenir à son but tout en exprimant dans l'urgence les interrogations douloureuses sur l'avenir chaotique du monde qui va être laissé aux enfants !
« ici, maintenant, je ne peux oublier une seule minute la chance que j'ai d'avoir les enfants dans ce pays. Ils auront toujours leurs racines dans le sol syrien et des ailes pour voler vers de nouveaux horizons en Europe » p142.
Que ce voeu d'espoir puisse se réaliser au mieux pour lui et toutes ces familles chassées de leur pays par la nécessité et accueillies (ou pas, ou mal et à reculons) dans cette Europe, malade et frileuse, Terre Promise pour tous ces déracinés sans autre choix que s'adapter pour survivre, se construire une autre vie, en dépit de tout, loin de leurs racines !
« Je suis en train de faire l'expérience de l'exil, mais je n'ai pas la moindre envie de faire la rencontre du vide. J'aurais tellement eu envie de me trouver dans un pays, où la double culture, la double identité, ainsi que la double émotion puissent sortir et s'exprimer » octobre 2017 - p 160
Témoignage bouleversant que nous nous devons de méditer, enfermés que nous sommes dans nos confortables certitudes de nantis occidentaux, préservés de la violence impitoyable et destructrice qui lamine le Moyen-Orient !